Yo!

Inspiré par cette citation de Sakaguchi qui dit en gros que le jeu vidéo ferait mieux de s'intéresser à lui-même plutôt qu'aux autres (si vous avez la citation exacte hein..), je souhaite parler de 2 ou 3 trucs intéressants en ce début de gen.

  •           Narration jeu vidéo versus narration cinéma

J'ai le sentiment qu'il y a tout un travail d'écriture en amont de la production d'un jeu qui n'est plus fait. L'écriture ce n'est pas seulement le scénario, les personnages et les dialogues, c'est aussi le level design et l'ensemble des mécaniques de progression du joueur. Une bonne narration de jeu vidéo doit laisser carte blanche au joueur dans sa progression tout en l'amenant à l'insu de son plein gré dans une situation souhaitée à l'avance. Le premier Bioshock est une mise en abime très instructive de ce principe fondamental là. Un exemple parfait qui me vient à l'esprit est les premiers épisodes de Resident Evil. La critique a souvent mis en avant la pauvreté de leurs scénarios. Mais la narration de jeu vidéo est bien davantage que le scénario: elle résulte des liens entre l'histoire, le level design et le gameplay. Et elle se doit d'être le fruit d'un long travail d'écriture en pré-production. Sauf que ce travail pourtant essentiel ne se fait plus.

On peut expliquer cela en comparant les maîtres à penser du jeu d'alors et de maintenant. Miyamoto par exemple était un véritable auteur de jeu vidéo. Zelda tout comme Resident Evil est une démonstration de narration vidéo-ludique. À présent, des auteurs comme David Cage ou Ken Levine ont tendance à oublier qu'ils font du jeu vidéo, en ne pensant plus que scénario, et surtout, cinéma: c'est le mal récurrent des jeux d'aujourd'hui, ce besoin de filiation au cinéma, comme si le jeu vidéo n'était qu'un rejeton parmi d'autres du grand écran, au même titre que la télé, et que pour grandir il devait ressembler à papa, afin de gagner en maturité et devenir adulte (la maturité, autre poison gangrenant le jeu actuel). Vous me direz que Resident Evil doit beaucoup au cinéma, certes, mais beaucoup moins que ce que la critique de maintenant ne le souhaite - je pense au papier d'IG Mag sur ce point, complètement à côté de la plaque (IG Mag Numéro spécial Resident Evil, sept/oct 2012, pp.6-17). Le cadrage est inspiré du cinéma, mais il est repensé pour soutenir une narration de jeu vidéo. Toutes les idées de narration de Resident Evil sont inédites, ou inspirées d'autres jeux, mais finalement assez peu du cinéma.

Par ailleurs, si je cite Ken Levine ce n'est pas anodin. Bioshock Infinite est l'antithèse du premier Bioshock: un gros travail sur le scénario au détriment d'idées purement jeu vidéo. Reste la seule idée originale (et très réussie) du jeu, le personnage d'Elizabeth, dispositif narratif à cheval entre cinéma et jeu. D'ailleurs Cage et Levine ont à plusieurs reprises exprimé leur souhait d'être réalisateur de cinéma, ou leur regret de ne pas l'avoir été. Le problème est que ça ne s'improvise pas, ainsi tout le monde s'accorde pour dire que le scénario de Bioshock Infinite est nul. De mémoire, je n'ai pas vu beaucoup de grands scénario de jeu vidéo, à part Portal et Portal 2. Mais ce n'est pas un reproche, un grand jeu n'ayant pas besoin d'un grand scénario (alors que c'est davantage le cas pour un film).

  •           Fun, fun, fun

Autre axe de compréhension majeur du jeu vidéo aujourd'hui, le fun. Le fun est devenu ces derniers temps le vilain petit canard du jeu vidéo: il est synonyme d'abrutissement et d'immaturité. Il représente le jeu pour le jeu, le jeu comme plaisir de jouer, le jeu comme loisir. Il est surtout devenu l'ennemi de wanabee intellos (tels David Cage ou Warren Spector) et d'attachées de presse formatées (Jade Raymond). Les deux derniers cités sont connus pour s'être notamment acharné sur Lollipop Chainsaw, à l'époque de sa sortie, et encore à présent. Ils oublient que le fun est indispensable au jeu vidéo, comme à tout jeu, ou jouet, qui se respecte.

Il est intéressant de le rappeler suite à cette période anniversaire de la Dreamcast. Ici et là on vante son modem intégré, précusseur du jeu en ligne, et ses jeux matures (Shenmue, The Nomad Soul) annonciateurs des tendances actuelles. Mais la Dreamcast, plus qu'une pionnière des consoles actuelles, est surtout la dernière des consoles d'avant, celles de la période bénie de l'arcade, et du fun pour le fun (Crazy Taxi, Jet Set Radio). Pour en revenir à la critique de Jade Raymond, elle est d'autant plus erronée qu'elle a lieu dans le cadre de la promo d'Assassin's Creed, un jeu bon avant tout parce qu'il est fun: fun d'escalader, de bondir, de faire des batailles navales. Mais dans les faits il est tout aussi abrutissant que Lollipop Chainsaw, même plus. Il use et abuse des dispositifs actuels type carte, radar, actions contextuelles, tutoriaux incessants et triche maquillée (la fameuse vision d'aigle). Jouer à Assassin's Creed ne sollicite aucune action cérébrale. Et ne me parlez pas de l'aspect pédagogique. Franchement, qui lit les indications historiques à part Julo. Au moins dans le beat'em all de Suda il faut apprendre les combos.

Tout ceci résulte de l'ambition ridicule que ces gens là souhaitent au jeu vidéo, ambition qui résulte elle-même d'un complexe d'infériorité vis-à-vis du cinéma et de l'art en général, et du sentiment que le jeu vidéo n'est pas reconnu à sa juste valeur par les élites. Certes, c'est une vérité, mais qu'est-ce qu'on en a à faire? Au sein de Gameblog, cette ambition et cette volonté d'intellectualisation transparait notamment dans les propos de JulienC et Julo. Julo qui expliquait dans un ancien podcast accorder davantage d'importance au scénario qu'au level design. Il est intéressant de noter dans cette optique que si aucun mot n'a été écrit sur la sortie française de Senran Kagura sur Vita (un jeu de boobs), paradoxalement le site se complaît depuis un an dans des abîmes de médiocrité people (Mimie Mathy, Lindsay Lohan, Laure Manaudou et j'en passe, fin de la disgression).

  •           Pour sauter, appuie sur X

Le gameplay aujourd'hui se résume souvent à des mécaniques assistées. La notion de gâchis est alors très importante. La présence d'aides et de tutos en permanence n'est pas néfaste pour l'activité cérébrale du joueur que parce qu'elle l'incite à ne pas réfléchir, mais aussi parce qu'elle le limite dans sa capacité à découvrir par soi-même, à être surpris, et à s'émerveiller. L'exemple qui me vient à l'esprit concerne Tearaway. Le jeu fourmille de petites idées de gameplay et de level-design, utilisant notamment les capacités particulières de la Vita. Mais chacune de ces idées est précédée d'un tuto qui explique comment se servir de telle fonction de la Vita pour interagir avec tel élément du jeu. Alors que le joueur voudrait tester les multiples possibilités de la console sur l'environnement et les personnages afin de jouer avec les possibilités offertes par le jeu, le jeu lui spoile la réponse, et lui enlève toute possibilité de découvrir par lui-même. On en arrive à un point d'une gravité extrême: en agissant ainsi, le développeur gâche ce qui fait le sel même du plaisir de jouer à un jeu vidéo: l'inconnu. "Est-ce que je peux faire ça? Est-ce que si je fais ça il va se passer quelque chose? Quelle surprise les développeurs m'ont-ils préparée si j'agis de telle façon".

Les développeurs ont facilité la progression au sein des jeux pour encourager l'achat auprès des joueurs. Mais là où les développeurs actuels se trompent, et c'est indispensable à assimiler si l'on souhaite créer une oeuvre intéressante, quelle qu'elle soit, c'est que le consommateur ne sait pas ce qu'il veut. Il pense vouloir un jeu facile, et des boss parsemés de checkpoints, mais il n'est jamais autant satisfait et fier de sa prestation de joueur que quand il est dans la difficulté, et qu'il a surmonté cette difficulté, même s'il peste sur le moment et en casse sa manette. C'est une règle d'or de toute oeuvre et pour tout auteur de ne jamais offrir au spectateur ce qu'il souhaite, ou plutôt ce qu'il pense souhaiter. Il faut toujours aller en opposition au désir premier de facilité, qui n'est toujours que superficiel, quel que soit le public. J'en reviens à Julo qui disait dans un précédent podcast (à propos de Lords of Shadow il me semble), préférer à présent des boss avec des checkpoints. Certes, entre le taf et la vie de famille, les joueurs de notre génération, moi le premier, avons moins de temps à accorder à des boss souvent difficiles, mais admettons que la fierté de la victoire finale, qui influe pour beaucoup sur l'appréciation générale d'un jeu une fois fini, n'est plus ce qu'elle était: le symbole du bonheur par l'accomplissement.

J'avoue me référencer fréquemment à Julo car tout comme lui je voue un véritable culte à Shenmue. Et quand je vois la passion qu'il a par ailleurs pour Assassin's Creed, qui reste avant tout une série franchement tape-à-l'oeil et plutôt moyenne, et l'entousiasme dont il fait preuve en évoquant un éventuel Shenmue 3 qui de toute façon ne peut-être que nul, peut-être pas dans l'absolu, mais relativement aux deux premiers, je l'invite à rejouer au jeu et à analyser ce qui fait de lui un grand jeu, tout ce qu'on ne retrouve plus dans les productions actuelles, et qu'on ne retrouvera pas dans Shenmue 3.

Indépendamment de l'apparition des checkpoints, les boss actuels sont une autre cause de l'abrutissement des joueurs. Les boss traditionnels, les bons, avaient ce qu'on peut appeler une difficulté intelligente. Ils avaient des schémas d'attaque et de défense particuliers qu'il fallait découvrir (par soi-même, sans tuto). L'analyse de ces patterns permettait au joueur de trouver au boss un point faible, mais ce n'était que la première étape. Il fallait ensuite faire preuve de concentration, de patience et de skills (et avoir un peu de temps devant soi) pour le vaincre. La technologie fait qu'à présent ces boss sont remplacés par des multitudes d'ennemis sans cervelle censés démontrer les capacités d'affichage de la bécane. Ce sont toujours des phases de jeu très difficile, mais plus du tout intelligentes. Je pense par exemple au boss de fin de Dead Space 2, ou plus récemment à celui de Remember Me. C'est une preuve supplémentaire d'un non-travail d'écriture et d'imagination en amont du projet. La création se fait par la technologie et non plus par l'esprit (voir à ce sujet le podcast Gameblog n°285, qui ne fait que survoler le sujet des boss, bien qu'il y ait 2 ou 3 points de vue intéressants).

Pour en revenir aux tutoriaux, moi qui attribuais ce mal à la génération PS360 ai été surpris d'en voir abondamment dans Sonic Adventure 2 que je refais en ce moment sur Dreamcast. J'imagine qu'il y a d'autres exemples, ça craint un max.