Après quelques mois d'attente, l'interview de Yu Suzuki est (enfin) en ligne !

Comme pour l'interview du TGS 2011, le propos se focalise uniquement sur Shenmue et rien d'autre (c'est le parti-pris). L'équipe de Shenmue Master et moi-même espérons de tout coeur que vous apprécierez ces quelques minutes en immersion dans les profondeurs du monde de Shenmue.

Yu Suzuki : Puisque l’on parle de Shenmue, vous en France, et tout particulièrement vous… à propos de Shenmue III… à toujours me parler de Shenmue, encore aujourd’hui, cela me fait vraiment très plaisir ! Vraiment, quand l’environnement sera propice, de tout cœur, je souhaite vraiment réaliser Shenmue III.

Cela ne vous a peut être pas échappé, Yu Suzuki était de passage à Monaco en mars 2013 pour honorer de sa présence le Monaco Anime Game Show aux côtés de personnalités comme Gō Nagai et autres Yoshitaka Amano, autrement dit du beau monde. Une occasion en or pour demander au créateur de la saga Shenmue une nouvelle interview qui ferait directement suite à celle que nous avions pu proposer en novembre 2011 et que je vous invite à voir et à revoir soit dit en passant. Evidemment, si je vous parle en ce moment même, c’est que Yu Suzuki a bien accepté de nous rencontrer à nouveau et même si le temps alloué par les organisateurs fut encore plus court que la dernière fois hélas, l’équipe de Shenmue Master espère tout de même que vous apprécierez ces quelques minutes en immersion dans le monde de Shenmue.

Sans plus attendre, commençons par le thème du développement personnel du héros qui est au cœur de l’oeuvre dans son entièreté. Au départ adolescent complètement renfermé sur lui-même, qui ne prend pas en compte les conseils de son entourage, nous terminons Shenmue (II) avec un Ryo calme et posé, riche de multiples rencontres et qui vient discuter de tout et de rien trois jours durant avec une jeune paysanne. Peut-on voir Shenmue comme une oeuvre dont le héros suit un cheminement philosophique ?

Yu Suzuki : Alors oui effectivement, Ryo Hazuki a quitté le Japon pour traverser la Chine, et il est donc rentré en contact avec une nouvelle culture. Il s’agit d’un voyage pour se trouver soi-même. Comme la Chine a une histoire incroyablement profonde, il y a énormément de choses en Chine. Depuis toujours, les Arts Martiaux ont cristallisé cette histoire et la font passer d’autrefois à aujourd’hui. Il y a au sein même des Arts Martiaux de très importantes façons de penser, de nombreuses valeurs et philosophies. Et en allant apprendre tout cela, c’est un voyage pour se trouver soi-même.

Depuis notre première interview, nous savons avec certitude que Ryo va dépasser ses sentiments impulsifs de vengeance. Pourquoi son père a t-il été tué, quel est ce lien étrange qui l’unit à Shenhua, quel mystère se cache derrière les miroirs du Phénix et du Dragon ? Tant de questions qui nous amènent à nous demander si ce qui motive Ryo dorénavant, ce ne serait fondamentalement pas une quête de savoir ?

Yu Suzuki : Au début puisque tout commence avec le meurtre de son père, Ryo se perd dans sa volonté de vengeance en n’ayant que son « ennemi » pour seule cible. Mais finalement, il n’y a pas beaucoup de sens dans la vengeance. Ryo se rend compte que c’est totalement vain. C’est l’histoire de quelqu’un qui va se rendre compte qu’il y a des choses bien plus importantes.

Au fur-et-à-mesure de ses rencontres, Ryo est amené à délaisser quelque peu sa pratique rigide du jujitsu pour s’ouvrir aux arts martiaux chinois empreints d’un taoïsme millénaire. Impossible d’ignorer l’importance du principe du Tao, particulièrement présent dans la seconde partie des péripéties de Ryo. En effet, Xiuying, Lishao Tao de son surnom, jouera véritablement le rôle de mentor pour Ryo avant qu’il ne quitte Hong Kong pour Kowloon. Comment ignorer la scène symbolisant le point culminant de l’omniprésence de ce précepte dans Shenmue ? Je fais référence à cette cut scene où Xiuying confie à Ryo la partie Yin d’un talisman reçu de son frère, Ziming, qui a lui même gardé le Yang complémentaire. En ce sens, nous souhaitons savoir si la Tao aura une importance dans la suite de l’histoire.

Yu Suzuki : À propos du Tao, en Chine il s’agit d’une façon de penser très répandue. Cette fameuse théorie du Yin et Yang (note : Energies cosmiques complémentaires) constitue vraiment une base fondamentale. Et c’est juste cela !

Tout au long de l’aventure, Ryo, par l’intermédiaire du joueur, est amené à récolter différents objets dans son inventaire et à faire quelques choix. Citons par exemple les photos remises par les quelques femmes qui tombent amoureuses du héros. Ainsi nous pouvons nous demander si ces choix auront un quelconque impact dans la suite de l’histoire.

Yu Suzuki : Il y a des objets que l’on utilisera, et d’autres que l’on n’utilisera pas. Nous avons prévu des objets utilisables dans le futur et il vaudrait mieux les utiliser, et un autre type d’objets inexploitables.

Vous le savez sûrement, Ryo n’a plus aucun parent après qu’Iwao ait été tué. Shenhua vit aux abords du village Miao avec son père adoptif. Les parents de Xiuying et de son frère Ziming ont été tués par les Chi You Men. Wong a été adopté par la bande de Ren, les Heavens. L’orphelinat de Kowloon est l’un des points importants de la ville, etc… Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a beaucoup d’orphelins dans Shenmue. Y aurait-il un sens particulier à cela ?

Yu Suzuki : Les orphelins sont nombreux ?! Qui par exemple ? (Kenji : Ryo est orphelin, Ziming, Xiuying, il y a même un orphelinat à Kowloon). Xiuying est orpheline ?! Ha oui… En fait, cela est fortuit.

Ah… Yuanda Zhu. Shenmue I commence avec une lettre signée de sa main qui arrive trop tard. Mais si, celle qui avertissait Iwao que les Chi You Men étaient après lui ! Érudit respecté, auteur du Wulinshu, cet ouvrage relatant la généalogie du Tiger Swallow Style, le style utilisé par Lan Di et son père Zhao Sunming, Yuanda Zhu attise la perplexité. Je vous rappelle que c’est la cible numéro 1 des Yellow Head et des Chi You Men, que c’est le meilleur ami du père de Lan Di. C’est lui qui aurait ramené le miroir du Phénix de Chine avec le père de Ryo. C’est lui aussi qui nous informe que les miroirs sont en fait des cartes menant au trésor perdu de la dynastie Qing. Pas de doute, ce personnage (Yuanda Zhu) est au centre de l’intrigue de Shenmue et connait énormément de choses que les joueurs rêveraient de savoir. Mais on peut se demander légitiment : est-il réellement sincère ?

Yu Suzuki : Yuanda Zhu ?! Hum… je ne m’en souviens plus. Yuanda Zhu est en fait… Il serait trop simple de dire qu’il raconte des mensonges. En divulguant de fausses informations, il protège ses amis. En utilisant un langage codé, il emploie une technique pour dévier les informations. L’objectif est seulement de protéger ses amis. C’est ce genre de personnage.

Le personnage de Niao Sun fascine les fans de Shenmue. En effet, la jeune femme fut mise en avant aux côtés de Ren, Shenhua et Ryo avant même que Shenmue premier du nom ne sorte. Hélas, à ce jour, sa seule apparition dans l’oeuvre est réduite à une simple figuration picturale à la toute fin de Shenmue II. L’essentiel de ce que nous savons d’elle provient d’une vieille vidéo promotionnelle que je vous propose de revoir.

"Chôjun (Niao Sun), l’un des « 4 leaders » des Chi You Men, en charge de la partie Sud. Elle porte une robe rouge voluptueuse et son attitude séduit les gens. Ses yeux terrifiants sont constamment à la recherche de proies. Elle prend plaisir à réaliser des actes cruels et élimine les gens comme de simples insectes." (Extrait d'une vidéo officielle de présentation de Shenmue en 1999).

Que peut-nous dire Yu Suzuki sur cet intriguant personnage (Niao Sun), objet de moult théories ?

Yu Suzuki : Dans Shenmue, il y a 4 « big boss ». L’Est, l’Ouest, le Nord et le Sud. Chacun d’eux protège l’un de ces 4 points cardinaux. Et celle qui protège le Sud, c’est Niao Sun (Chôjun en japonais). La couleur qui la caractérise est le rouge et l’animal qui la représente est le Phénix. Elle est très effrayante et c’est un boss du genre cruel.

Il a fallu d’innombrables années pour que Shenmue se concrétise en chef d’oeuvre que nous connaissons. De nombreux travaux conceptuels et préparatoires nous sont parvenus et même quelques prémices de la suite qui devait sortir dans la foulée. Toute cette base de travail déjà prémâchée pour Shenmue III et qui dort dans les locaux de SEGA serait-elle encore exploitable ?

Yu Suzuki : Oui, même à ce jour, nous pouvons les utiliser. En obtenant la licence Shenmue chez SEGA, nous pourrons alors les utiliser. Je pense que c’est possible.

De la part des fans de Shenmue Master et de Shenmue Dojo, je remercie profondément Yu Suzuki et toute son équipe de développement pour nous avoir offert tant de rêves et d’inspiration avec Shenmue I et II. Qu’importe Shenmue III à l’instant où je parle.

Yu Suzuki : Comme maintenant, à parler au sujet de Shenmue, à vous en soucier, à me poser des questions, de mon côté aussi je ressens énormément de gratitude. J’ai envie de vous dire « MERCI » en retour (Yu Suzuki dit ensuite « merci beaucoup » en français).

Alors que l’interview, qui a déjà dépassé de loin le temps alloué, se finit sur ce manifeste de reconnaissance partagée entre le créateur et les fans de l’oeuvre, Yu Suzuki coupe soudainement son interprète et affiche son envie de nous parler encore un peu plus sur Shenmue.

Yu Suzuki : Le boss de l’Est est Sôryû (Lan Di) et il est représenté par un Dragon bleu.

Et Tentei ?

Yu Suzuki : Tentei est le boss des boss. Tentei est le boss le plus haut placé.

Un grand merci !

Pour rappel,  Sôryû est le nom de Lan Di au sein de l’organisation Chi You. Nous terminons définitivement sur cela. Ceci dit, je tiens à vous faire part du profond égard que j’ai ressenti de la part de Yu Suzuki vis à vis des fans de Shenmue.

Après notre entretien, Yu Suzuki s’est naturellement éloigné pour poursuivre sa session d’interviews et alors que ma compagne et moi rangions nos affaires, bravant les consignes du planning déjà fort retardé, il s’est rapproché de nous à nouveau d’un pas réservé mais ferme afin de nous serrer la main en nous remerciant une nouvelle fois. Nous venions d’échanger moult saluts et courbettes à la japonaise pas même deux minutes auparavant. Inutile de vous dire que cette initiative m’a beaucoup touché en tant que fan de Shenmue. Ses remerciements d’une sincérité bouleversante que je n’ai pu capturer en image hélas. Soyez bien conscients qu’ils vous sont aussi et surtout adressés.