Fâché avec les studios indépendants à cause de leur politique d'exclusivité, Microsoft tente de rattraper le coup afin ne pas perdre la face vis à vis des multiples jeux que Sony a récupéré grâce à leur souplesse de distribution. Celui qui a lancé la « mode » des « indés » avec Braid a décidé de sortir le carnet de chèque pour soutenir et proposer des exclusivités à travers leur programme ID@Xbox. Ori and the Blind Forest est de ceux là.
Ghibli présente
Avant d'être un jeu du genre « metroidvania », Ori and the Blind Forest est un magnifique univers enchanteur. Largement inspiré de Mononoke Hime qui met en avant les esprits de la forêt, Ori nous conte l'histoire d'un de ces petits esprits devant restaurer la lumière de l'Arbre des Esprits garantissant la vie à la faune et la flore. Narré avec une douceur et un phrasé posé, le joueur découvre lentement au travers de quelques scènes in-game l'histoire du petit Ori, promis à un destin de héros dans un environnement immense qui le dépasse. Comme un Ghibli, le joueur-spectateur se laisse bercer par les mélodies et les travellings du décors riche en détails et en précision. Nous ne sommes pas en face d'un énième jeu « indé » qui se cache derrière un partis-pris graphique. Nous ne sommes pas derrière une copie maladroite des dessins animés (comme Ninokuni). Nous avons des décors 2D d'une richesse inégalée dans le jeu vidéo. Blindé de plusieurs plans ayant subi un soin du détail à part entière, comme si chaque calque devait fonctionner indépendamment, la faune et la flore sont harmonieusement peintes numériquement dans un festival de couleurs et de formes d'une précision ciselée. Graphiquement stylisé mais pas plus qu'un Disney ou Ghibli (les développeurs de Moon Studios affirment cette inspiration), Ori pète de partout tout en ayant la faculté d'être parfaitement intégré. Dans le choix des couleurs (notamment d'un beau vert rayonnant et puissant), la largeur des plans permettant d'afficher beaucoup d'éléments, la multiplication des plans afin de créer plusieurs profondeurs et de la vie, avec certains premiers plans scrollant devant le personnage afin de dynamiser l'ensemble offrent des décors non pas simplement de jeu, mais de beaux tableaux qui fonctionnent seuls. La présence aussi de petits effets de lumière afin d'adoucir au maximum cet univers tout en lui donnant du relief, où l’œil du spectateur balaiera l'écran, Ori est un très très beau jeu. Par cet univers graphique très riche, mais aussi technique par sa netteté et sa quantité d'éléments affichés et sa fluidité exemplaire, on peut affirmer sans trop se fouler qu'il est clairement le plus beau jeu 2D qu'on ait jamais vu. Quand bien même on pourrait ne pas aimer la direction artistique (pourquoi pas), c'est bien techniquement que le jeu est une réussite. Tous les choix conceptuels concernant le visuel sont parfaits.
Bien que la musique soit très répétitive, elle ne lasse pas et permet de plonger le joueur dans cette rêvasserie, peut être un poil mielleuse à force d'aller dans cette direction, mais douce et pas insistante ou grossièrement posé grâce au volume sonore discret (pas comme le piano stéréotypé de Child of Light par exemple). Le design du petit esprit Ori, qui ressemble à une peluche japonaise avec de grands yeux expressifs, des longues oreilles en pointe, une queue de félin et une fourrure blanche, est aussi une réussite. Une sorte de croisement entre le petit Roi Leo et un Moomba de FFVIII… Ou encore l'animal de The Last Guardian. Bref, une peluche toute mignonne dont l'animation extrêmement bien découpée en fera craquer plus d'un. Les premières scènes d'introduction mettent vite dans l'ambiance « choupinette » avec la petite boule de poil se lovant sur lui même, s'étirant après un long repos ou ayant le regard triste d'un Simba essayant réveiller son père font très vite mouche.
Cette direction artistique sublime, cette qualité technique remarquable et cette justesse dans les choix nous amènent alors une histoire de conte rose bonbon, pas très riche puisqu'il s'agira d'aller sauver l'arbre de la forêt d'un méchant corbeau malfaisant, sans grande prétention si ce n'est émerveiller petits et grands. Sauf que contrairement à bon nombre de studios ayant eu cette ambition, Moon Studios n'oublie pas qu'ils ont un jeu à développer. Plein de tendresse pour un monde de brutes. Car ouais, passé l'introduction le mimi Ori il va vite vous faire arracher les cheveux.
Metroidvania de l'extrême
Malgré sa joli frimousse, Ori est un jeu vidéo très complet. Reprenant le principe des « Metroidvania », c'est à dire des jeux d'action-plate-forme dans une univers grande map laquelle il faudra débloquer les accès au fur et à mesure de l'acquisition des compétences. Si les « Metroidvania » sont en général plus action que plate-formes, Ori lorgne plus sur la précision de ses sauts, donc de la plate-forme. Il faudra éviter des ronces pleines de piques, tout en évitant les projectiles ennemis, éviter l'eau empoisonnée, éviter des piliers mouvants, etc. Le but sera de retrouver la lumière de trois éléments de la forêt pour sauver l'arbre. Il y a donc grossomodo trois mondes étalés sur une immense map construite de nombreux couloirs et étages. En suivant la direction de votre quête, vous fouillerez des détours pour quelques bonus de santé (pour rallonger la barre de vie), de « liens de lumière » (permettant des grosses attaques et sauvegarder) et d'expérience. Arrivé aux emplacements imposés de la map, Ori recevra une nouvelle capacité qui va être exploitée dans le niveau suivant et lui permettra d'accéder à de nouveaux endroits à son retour. Le level design allie ainsi habilement la libre exploration et le directionnel comme le veut la coutume du « Metroidvania ». Ce qui n'est pas chose aisée, puisque pour que l'exploration soit intéressant, il faut renouveler le gameplay pour inciter le joueur à revisiter des lieux. Le fait d'avoir la possibilité de débloquer des morceaux de carte pour découvrir de nouveaux endroits pousse beaucoup le joueur à partir à l'aventure.
Heureusement, Ori a un très large éventail d'éléments de gameplay. Comme le veut le genre, il gagnera de nouvelles compétences mises en avant par les niveaux suivant, ça passe du double-saut, dont sa gestion est old school, il faudra laisser appuyer longtemps sur la touche pour aller plus loin, la possibilité de taper sur le sol, de renvoyer des projectiles tout en se propulsant dans le sens inverse. Ce dernier élément est très bien foutu qui permet d'aborder la plate-forme et le combat différemment, plus aérien puisqu'on sera confronté à devoir s'accrocher de projectiles en projectiles pour avancer. Reste des choses plus basiques comme planer ou courir. Le fait est que la règle du genre est parfaitement assimilée offrant au joueur un bon rythme entre exploration, donjon obligatoire (sortes de mini boss ou niveaux de fuite où le joueur doit s'échapper de la menace remplissant l'écran) et acquisition et découverte de nouveaux pouvoirs. Pour compléter tout ça, Ori a un arbre de compétences à remplir de chaque orbe d'expérience acquis. Cet arbre permet de renforcer ses bases. Par exemple, l'attaque du héros pourra durer plus longtemps, être plus costaud, consommer moins d'énergie, etc. Des bonus pour l'exploration seront déblocables comme attirer les orbes vers le héros plutôt que d'aller les ramasser, visualiser les objets sur la map, etc. Enfin il sera possible d'augmenter les capacités du « lien d'âme ». Un lien d'âme est en fait un checkpoint. Le jeu n'est muni d'aucun checkpoint ou sauvegardes automatiques sauf à quelques rares cas, comme entrer dans un donjon. Le joueur a une barre d'énergie qui se remplit au fil des ennemis tués ou cristaux brisés et elle sert à créer un checkpoint (sauvegarde). Le but du jeu étant de gérer ses sauvegardes tout en sachant que vous êtes limités et que le jeu a une difficulté régulière. C'est un excellent choix de game design car cela permet de donner les clés au joueur. Il pousse à fond la liberté d'exploration sans filet de sécurité. Le joueur ne pouvant s'en prendre qu'à lui même s'il juge les checkpoints mal espacés… Il existe néanmoins des fontaines qui sauvegardent et rétablissent votre santé, mais il faudra les dénicher. L'arbre de compétences permet de faciliter la vie du joueur bien que pour le remplir intégralement il devra fouiller les recoins de la map. On en revient au principe même des « Metroidvania » : l'exploration est la clé pour non pas « finir » le jeu, mais le finir dans de bonnes conditions. Contrairement à un Hell Yeah Wrath of the Dead Rabbit par exemple, le level-design est réellement bourré de chemins alternatifs qu'il vous sera impossible de trouver au premier passage (puisqu'accessible avec un pouvoir ultérieur). Nettoyer la map devient un objectif secondaire à part entière.
Beauté aveuglante
Superbe direction artistique, très bon gameplay… Quel peut être le grain de sable qui fait grincer le mécanisme ? Et bien, c'est l'ensemble des deux. Le jeu a une difficulté particulière. Dans un premier temps, on remarquera que les développeurs ont préféré créer un parcours d'obstacles sur l'intégralité des chemins, plutôt que de créer des petits moments cools pour se calmer les nerfs. Il arrive très souvent de s'y prendre à plusieurs fois pour faire trois mètres à cause des ronces partout ou des ennemis aux attaques directionnelles imprévisibles. Des ennemis qui parfois se ressemblent tellement qu'on ne sait plus quelle genre d'attaque ils lanceront (il y a les projectiles simples et il y a les projectiles qui restent collés au sol par exemple, ainsi que les projectiles qui se sub-divisent). Mais le plus gros de la difficulté provient d'un manque de lisibilité. Vous serez obligatoirement surpris par un élément du décors nocif qui se fond trop bien au reste : une ronce, un ennemi un peu plus sombre que d'autre, avoir le regard attiré à endroit pour se faire piégé de l'autre. La très grande richesse graphique joue beaucoup de mauvais tours au gameplay. Et c'est très frustrant. Car les niveaux ne sont pas en soit très difficiles, ils sont surtout peu lisibles. Il faudra alors accepter un die and retry basé souvent sur du par cœur. Ce qui pour un genre d'exploration n'est pas forcément cohérent. En plus d'un manque de lisibilité agaçant, les développeurs se permettent aussi de jouer avec le hors-champs où l'on ne voit pas les menaces. On se met alors régulièrement à appuyer sur le bouton d'attaque comme un bourrin, par précaution au cas où la caméra qui met un peu de temps à scroller révèle un ennemi au bout du pied. Pour couronner le tout, l'attaque du héros est de très courte portée avec lock automatique. Il va éliminer les ennemis dans son rayon d'action, en contournant parfois des petites plate-formes. Mais la courte portée de l'arme oblige à jouer très offensif, ce qui combiné avec des menaces tardives car hors champs peut vite énerver le joueur.
La physique de la bestiole est aussi assez glissante et il vous arrivera plus d'une fois de tirer le joystick vers l'arrière à cause de son inertie. Même s'il est très précis dans ses sauts (encore que le fait de laisser appuyer très longtemps sur le bouton n'est pas commode dans les niveaux sous limite de temps), Ori se laisse vite emporter. Son attaque en piqué est aussi mal gérer puisqu'il demandera de sauter et d'appuyer immédiatement vers le bas. Ce qui provoque des conflits avec les sauts orientés, altérant donc la souplesse de jeu. On notera aussi des problèmes de timing dans les séquences sous pression. Il ne sera pas rare de voir des attaques ennemis (servant d'élan au héros) démarrer légèrement en retard ou viser à côté. Et comme ces séquences manquent de lisibilité et se joue sur du par cœur, il y a beaucoup d'agacement à voir que les projectiles ne se lancent pas en rythme. On a ainsi une difficulté souvent artificielle car étant la conséquence de manque de visibilité, de petits retard de timing ou de manipulation pas des plus ergonomiques. Le joueur comprend parfaitement ce qu'il a à faire, il sait que ce n'est pas difficile mais il y a toujours le petit détail qui ne colle pas, comme l'ennemi qu'on ne remarque pas, ou le décors trompeur, le script d'animation un poil en retard… On n'est pas dans une volontaire difficulté progressive, ou d'apprentissage mais une difficulté d'ordre technique, pas très fair-play. Cela va néanmoins booster la durée de vie du jeu à une belle douzaine d'heures pour visiter les recoins de la forêt.
Ori and the Blind Forest est assurément un très bon jeu. Très bon car techniquement et artistiquement d'une cohérence sans failles. Très bon car avec un gameplay connu mais totalement assimilé par son réseau de chemins à passer et repasser. Il se permet aussi d'originaux éléments de gameplay, comme sa gestion des checkpoints ou le renvoi de projectiles propulsant le héros dans le sens opposé. Conceptuellement parlant, le game design du titre est parfait, justifiant à merveille ce level design ouvert. Seulement, en pratique, le jeu souffre d'une difficulté injuste car causé par des problèmes de lisibilité. C'est là la problématique des jeux visuellement trop chargés connue depuis des années. Il faudra donc jouer à Ori non pas comme un touriste mais avec beaucoup de concentration, nous empêchant parfois de profiter des décors fouillés. Une alternance avec des petits passages de calme aurait peut être été appréciable, plutôt que de disperser des pièges tous les deux pas. Ça ne retire pas les grandes qualités du titre, mais ça l'empêche d'être intouchable et même pour certains joueurs d'être agréable.
16
(Re)lire l'article, mis en page, sur PG Birganj : en Une ou dans la rubrique Critiques.