Bon, avec beaucoup beaucoup de retard, je me suis enfin essayé à Journey. Ne voyant pas l'édition physique collector thatgamecompany débarquer en Europe, je me suis résigné et je l'ai pris online.
Bien sûr, le jeu est magnifique, comme tous les gens qui l'ont encensé avant moi je pense que tout a été dit et que je ne vous apprendrai rien. Mais mon dernier voyage fut de loin le plus intense pour moi, car au delà de la découverte de l'univers que les créateurs du jeu ont voulu me montrer, j'y ai vu un envers du décor pas si dénué d'émotions.
Certains d'entre vous ont peut-être déjà traversé des murs lors de petits soucis de collisions dans d'autres jeux, vous emmenant dans le monde merveilleux de la matrice des jeux, où les décors sont inversés (forcément, vu que vous êtes de l'autre côté du miroir :) ), et surtout où parfois on se contente juste de chuter infiniment jusqu'à ce que la mort nous atteigne, ou tout simplement où vous êtes incapable de bouger... Journey ne fonctionne pas ainsi.
Pour information, il existe une façon d'obtenir l'habit blanc, pour cela il suffit de réunir tous les symboles lumineux (que ce soit en un seul ou en plusieurs cheminements), et dans le hub principal vous pouvez vous changer. La particularité de cet habit est que votre capacité de saut, votre énergie se recharge d'elle-même au bout de quelques secondes d'inactivité. L'envers du décor étant complètement dénué de tissu regénérateur, il vous faudra forcément cet habit (et si possible un compagnon lui aussi en blanc pour que vous vous rechargiez mutuellement via vos cris lors des longues phases de vol).
C'est donc investi de ce pouvoir que je me suis lancé dans un voyage, mon but premier étant de faire tout le jeu avec un seul compagnon. Coup de chance ou manque de pot, je tombe sur le petit phénomène qui va me faire découvrir plus profondément le jeu, G-V_I_R_U_S (G is for Glitch). Rien que dans son commentaire, on sait que son trip c'est de trouver les glitchs et de les exploiter. Mais le nom de votre compagnon ne se dévoile qu'à la fin. Je ne savais pas ce qui m'attendais lorsque je le rencontrai, aussi décidais-je que mon leitmotiv serait "tel la puanteur du phacochère, je lui collerai au derrière". Le récit qui suit pourrait contenir des spoilers, avis à ceux qui n'ont pas fait le jeu...
De prime abord, nous traversâmes le pont brisé sans en reconstituer un seul morceau, juste en récupérant à chaque fois les symboles (sur ce point nous étions sur la même longueur d'onde, bien que nous soyions de blanc vêtus, nous mettions un point d'honneur à récupérer ces symboles). Cela me fit glousser de voir que nous pouvions totalement hacker le fonctionnement du jeu grâce à cet habit. Nous continuâmes, dans le désert il n'y eut pas vraiment de folie si ce n'est qu'aucune créature de tissu ne fut libérée, et nous atteignîmes la tour finale sans encombres en un temps presque record (malgré quelques promenades au gré du vent).
C'est dans la cité engloutie que vint pour la première fois un étrange sentiment sur mon compagnon. Après avoir passé la première descente, encore une fois n'avoir libéré aucune créature et avoir terminé la seconde descente, je m'attendais à aller directement au cercle de méditation, mais lui s'obstinait à vouloir monter le mur du fond de cette salle... L'accompagnant, parfois je le voyais traverser le mur. Il se trouve d'ailleurs que les poutres de cette salle ne sont pas palpables, nous passons au travers (un fait qui arrive souvent dans ce jeu : il existe des sols palpables invisibles dans l'envers du décor, et des éléments visibles impalpables dans le jeu, allez comprendre...). Il m'était extrêmement difficile de l'accompagner, je n'arrivais pas à trouver l'endroit où il s'arrêtait, et pour moi il ne faisait que passer à travers un mur... Les noms d'oiseaux commençaient à fuser dans ma tête, mais au final il me rejoignit, comprenant que je restais interrogatif sur ses intentions...
Mais dans le chapitre suivant, ce fut un tout autre spectacle. Après avoir récupéré les trois premiers symboles du niveau, à notre première rencontre avec des méduses, il continua à monter par dessus les montants des portes, puis par dessus des poutres bien palpables, pour encore s'arrêter contre des murs. Ces éléments étaient plus simples à viser, et pour l'instant nous ne faisions de mal à personne, nous continuions juste d'explorer de façon un peu plus profonde l'environnement offert par les développeurs. Puis soudain, il passa à travers un mur. Je le suivis de près, et à partir de là nous commençâmes une ascensions dans des déserts vides, dans des montagnes de débris, et au gré de nos pérégrinnations, nous rencontrions tantôt une tour égarée mais que nous pouvions traverser, tantôt la statue géante du désert qui tourne inlassablement dans sa tour...
Magique, intriguant, et très perturbant. Nous étions vraiment au milieu de nulle part, nos descentes incessantes faisaient suite à des montées très erreintantes. Certaines zones semblaient faites de la même matière indéfinissable dont baigne le temple lorsqu'on l'active pour atteindre les étages supérieurs : nos sauts étaient décuplés, notre énergie jamais perdue. Nous pouvions franchir des gouffres immenses, et s'attendant à atterrir sur le versant qui nous faisait face, nous le traversions et jamais, jamais mon guide ne semblait perdu. Il m'amenait inlassablement d'un intérêt à un autre, sans jamais hésiter, à tel point que je me demandais si ce n'était pas le concepteur du jeu. Et derrière, cette même crainte constante : et s'il se déconnectait ? Si nous nous perdions ? Je serai complètement incapable de retrouver le chemin me ramenant à la sortie de ce dédale de bugs graphiques. Mais toujours il revenait me chercher lorsque je me bloquais sur un chemin, et nous parlions énormément, même si ces petits cris étranges que poussent nos compagnons ne veulent rien dire, je pense qu'il a bien compris que j'étais vraiment heureux et éberlué face à cette beauté informatique sauvage.
Je ne sais pas vraiment comment décrire ce sentiment. Qui aurait l'idée d'avancer pendant dix minutes à l'aveuglette pour tomber sur un mur farceur qui se désintègre selon l'angle de la caméra, et qui saurait qu'à partir de ce mur, il faut aller dans une certaine direction pendant sept autres minutes puis tourner à angle droit pour continuer sur deux minutes afin d'arriver à la statue tournante, elle-même enfermée dans un bloc de granit que l'on peut traverser, obligeant à jouer avec la caméra pour s'apercevoir que nous sommes collés à elle... Pourquoi tous ces éléments sont-ils là ? Et une question m'intriguait d'autant plus : ce jeu n'était-il qu'un seul niveau, ou chaque zone était-elle instanciée à part ? Car lors de notre périple dans les murs de la grotte souterraine, je suis sûr d'avoir vu le temple qui faisait suite à ce chapitre.
Mais après une grosse demi-heure à errer dans les limbes de ce niveau, mon guide me fit sortir dans un endroit que je ne soupçonnais absolument pas : le dernier symbole de ce chapitre. En somme, nous avions évité quatre rencontres des ennemis du jeu, ainsi que la cinématique permettant de les découvrir la première fois. Nous étions au niveau de la descente finale, nous menant en sûreté dans le cercle de méditation. Et là, je m'écriais au génie, car je savais désormais que je pouvais le suivre les yeux fermés, et qu'il savait ce qu'il faisait. Que non seulement il se repérait dans ces méandres incompréhensibles de graphismes décharnés, mais qu'il connaissait les entrées et les sorties de ces mondes alternatifs.
Le temple, vous vous en doutez, fut expédié sans allumer un seul étage, là encore me faisait sourire face aux détournements que nous autorisait clairement le jeu. Les différentes parties de l'histoire ne voulaient plus rien dire : le pont était toujours brisé, les cerfs-volants n'étaient pas libres, nous n'avions pas rencontré les serpents, et le temple n'était toujours pas allumé. Nous avions faussé l'histoire. Nous étions les dieux de ce petit monde, et nous en faisions ce que nous voulions (enfin surtout ce que mon guide voulait en faire mais bon...)
Il faut savoir que ce périple, je l'ai fait alors qu'il était 1h30 du matin et que je rentrais de soirée d'anniversaire (non je n'avais pas bu, je ne bois pas d'alcool, donc je n'ai pas halluciné ce voyage ;) ). Je comptais faire le jeu rapidement avec un gugusse pour débloquer mon trophée et aller me coucher. Du coup, arrivé à la montagne, j'en espérais qu'il n'y aurait pas d'autres escapades aussi folles : j'étais fatigué. Mais une autre moitié de moi, un peu plus grosse, espérait clairement voir d'autres folies. Et mon guide ne m'a pas déçu. En arrivant dans ce chapitre, mon avatar leva la tête et je me dis "là, il va clairement me trouver un moyen de monter directement sur le pont là-haut" (oui, pour ceux qui ne l'avaient jamais remarqué, on peut tomber du pont de tissu, ça nous ramène au début du niveau, mais qui dit qu'on peut en tomber dit qu'on peut y monter directement :) ).
Évidemment, mon compagnon m'amena d'abord au début du niveau, ma faisant comprendre que nous ne pouvions traverser la grille qui nous amenait normalement au temple (ce qui est logique, les niveaux ne se font que vers l'avant, Supamario Style). Puis nous gravîmes la falaise à droite de l'entrée. Il y avait une sorte de champ de force terriblement puissant arrivé en haut, que mon collègue avait dépassé mais je n'y arrivais pas, j'insistais, je cherchais à passer sur chaque pixel pour trouver le point faible, et à force de persévérance, environ deux minutes plus tard, j'atteignais enfin mon collègue qui criait pour m'encourager (ou pour m'engueuler, mais c'est toute la force de ce jeu : on voit ce que l'on veut y voir :) ).
Après quelques détours beaucoup plus courts que dans la grotte souterraine, nous arrivâmes... Derrière la grille, et nous pouvions donc traverser l'élément graphique représentant le temple. Et c'est dans cette configuration que je reconnus les lieux. Nous étions déjà passé par là. Lors de notre périple souterrain justement, il m'avait fait traverser une grille, le fameux endroit où j'avais reconnu le temple. Les deux grilles étaient fermées alors mais impalpables, et là j'étais désormais derrière la première grille bien palpable, et je voyais la seconde marquant le début du niveau levée. Ce qui accentua mon doute sur la gestion des niveaux et des éléments graphiques par le programme. Puis nous continuâmes à traverser ou à grimper des montagnes, des gouffres, et finalement nous arrivâmes devant le dernier obstacle, une gigantesque pente à gravir. Il me devançait en faisant des zigzags, mais impossible d'avancer, je criais, je le voyais s'éloigner, et je me disais qu'il ne devait plus me voir... Je savais qu'il était toujours là, car de toute manière dans ce no man's land graphique, je ne recontrerai jamais personne à part lui... Et au bout de deux minutes à ne pas me voir arriver, il redescendit, preuve qu'il reste quand même un glitcher avec le coeur sur la main (bien que ça devait aussi être dans son intérêt de ne pas m'abandonner car il doit aimer partager ses découvertes). C'est seulement là que je compris que je ne devais pas rester appuyé pour un saut long, mais tapoter croix : mon envol fut immédiat, et nous atteignîmes la dernière section du chapitre, mais depuis le côté droit. Nous avions esquivé absolument tout le passage de la montagne, et encore une fois ça me fit rire.
Inutile de dire que le passage dans le ciel fut d'autant plus fort du périple que nous avions traversé. Il voulut me montrer un dernier glitch sur la montagne où notre écharpe s'échappe, mais il était extrêmement difficile à atteindre et je n'eus pas le courage de l'essayer trop longtemps. Il était plus de 3h du matin, nous venions malgré nous de faire un voyage complexe pour mon cerveau habitué à un monde sans bug (encore que je viens de faire Assassin's Creed 3 donc bon il était presque préparé finalement)... Mon guide quitta le jeu ainsi, et je finissais mon voyage seul, tel un mirage énorme sans personne sur qui appuyer mes dires.
Quelques heures avant, j'avais déjà remarqué que le jeu avait des mécaniques étranges, comme le fait de pouvoir sauter infiniment même si nous n'avons pas d'écharpe, du moment que les deux compagnons sont collés l'un à l'autre (coeur qui brille, etc). Nous avions fait le test avec un autre voyageur et nous heurtions face à un plafond invisible, ce qui m'avait fait abandonner d'autant plus vite les envies de G-V_I_R_U_S concernant l'escalade de la montagne. Il se trouve qu'après avoir communiqué avec lui via des vrais mots (il est américain au passage, en tout cas c'est ce que laisse croire ses langues parlées), on peut escalader la montagne et voir au loin, mais c'est très difficile. Je me demande désormais ce qu'il y a de l'autre côté de la montagne. Mais n'est-ce pas la question que tout le monde se pose, après avoir joué à ce magnifique jeu ? Peut-être parfois doit-on savoir arrêter la recherche pour laisser la magie faire son travail. Bien sûr, cette phrase reste vrai quand elle est prise à titre personnel : chacun doit voir sa limite où il veut. Je préfère ne pas avoir cette image "gâchée" par une exploration graphique. Il y a des autels que l'on ne doit pas toucher dans la vie d'un gamer.
J'espère que ce récit, complètement authentique (alors oui niveau conjugaison je sais pas je me suis lâché, mais étant une brêle en passé simple faut pas hésiter à me faire part des immenses fautes ^^) vous a autant satisfait que j'ai eu de plaisir à le vivre et à l'écrire.