Il y a trois mois, mon premier jeu est sortie. J’ai fais un shoot-them-up de la famille des twin-stick shooter.
Je me suis dit que cette expérience, d’autres voudraient peut être la tenter. Donc aujourd’hui je vais prendre le temps de vous parler de ce qui s’est passé pendant le développement de Gaijin Charenji 1 : Kiss or Kill (et pour éviter les répétitions parfois j’utiliserais le terme KissOrKill pour le désigner).
Pourquoi j’ai commencé.
J’ai commencé à bosser sur Gaijin Charenji 1 : Kiss or Kill en octobre 2017. À ce moment là, le jeu ne portait pas encore ce nom. Qu’est ce qui m’a poussé à faire un jeu vidéo ? Plusieurs raisons.
En tant que salarié d’une entreprise, je ne suis pas passionné par mon travail. Avec le temps qui passe on apprend à se connaître, et je pense que mon épanouissement (et donc mon bonheur au quotidien) passe par un boulot qui m’intéresse, m’amuse, me passionne. J’ai donc cherché, dans les tréfonds de mon âme, un autre terrain d’épanouissement.
Pour cela rien de mieux qu’une petite introspection.
Quand j’étais gamin, j’aimais me raconter des histoires et jouer seul. J’aimais aussi faire des blagues, des surprises et voir la réaction des autres.
Plus tard, quand j’ai découvert les jeux vidéos, sur Game & Watch, atari 2600 puis ensuite avec mes premières consoles japonaises et les salles d’arcades, j’ai découvert la passion. Je me suis alors goinfré de magazine de jeux vidéo et je fréquentais énormément les salles d’arcade.
Je suis né en 1978, en 2017, il était temps de prendre une décision. Au regard de ce bref bilan, l’idée m’est venu de faire un jeu vidéo.
Il faut se lancer.
Se lancer dans le développement d’un jeu vidéo, tout seul, sans être du métier, sans formation particulière, c’est un choix que j’ai eu du mal à assumer. Ça ne semble pas être le choix de l’évidence, du rationnel, du raisonnable. D’autant qu’en tant que passionné de jeux, je suis au courant des difficultés rencontrés par les développeurs indépendants. Beaucoup de travail, beaucoup de concurrence, aucune garantie de vente et de rentabilité, beaucoup de projets abandonnés. Et puis avec tous ces gens qui veulent bosser dans le jeux vidéo, ça ressemble à un secteur bouché, pourquoi moi j’y arriverais alors que tant d’autres échouent.
De toute façon la décision était prise, donc il faut assumer. Il faut prendre les encouragements des gens qui vous poussent à le faire, ignorer les craintes de ceux qui sont surpris (inquiets) à l’idée de vous voir y aller seul. J’ai assez de mes doutes pour ne pas s’encombrer de ceux des autres.
Concrètement, comment j’ai commencé.
J’ai très rapidement opté pour Unity comme moteur. J’avais eu l’occasion de toucher un peu à “la bête” et ça me semblait être un environnement assez polyvalent et adapté à ce que je voulais faire. Toutefois mes connaissances en programmation de jeux vidéo étant assez limitées, j’ai commencé par me former à Unity.
J’ai cherché un tuto sur udemy et pour la modique somme de 10€ je me suis acheté des cours qui m’ont mis le pied à l’étrier.(https://www.udemy.com/course/unity3d-formation-complete-developpeur-de-jeu-video/)
Ce type de cours n’est pas parfait. Ce qui y est décrit n’est pas toujours optimisé, ce n’est pas toujours la meilleure manière de faire mais, dans mon cas, ça m’a permis de me lancer.
Le début du développement.
Mon idée de base était de proposer un shoot-them-up dans lequel on aurait la possibilité/ le choix de tuer les ennemis ou de les rendre pacifiques. Je n’étais pas arrêté sur le type de graphisme ni sur le scénario. Les idées sont venues au fur et à mesure du développement. Et pour trouver ces idées je me suis appuyé sur mes contraintes, c’est-à-dire quels sont mes points forts, quels sont mes points faibles.
Mes principaux points faibles
- je ne m’y connais pas en graphisme
- je ne suis pas pointilleux dans les finitions
Mes principaux points fort :
- je m’adapte en apprenant vite
- je suis débrouillard et imaginatif
Pour palier à mon manque de compétence en graphisme je me suis dit qu’il fallait faire simple. Pour que le côté simple du jeu soit acceptable d’un point de vue joueur, il fallait de la variété.
Pour avoir de la variété, il faut changer souvent et que ce changement soit justifié. J’ai donc défini différents types d’univers graphique. Mais il ne fallait pas que ce soit juste du changement de skin, il fallait que chaque changement d’univers amène son lot de nouveauté. C’est en cherchant ces particularités que j’ai eu l’idée de faire des clins d’oeil aux classiques du jeux vidéos d’arcade (centipede, space invader, pac-man). À ce moment là, je me suis imposé une règle, chaque niveau doit surprendre le joueur d’une manière ou d’une autre. Ceci dans le but d’éviter la lassitude. Arrivé là il était certain que le jeu ne serait pas un jeu avec une grande durée de vie, mais plutôt un jeu très typé arcade qui peut se terminer en une heure ou deux.
Autre défaut, je n’ai jamais été très minutieux. Que ce soit pour bricoler ma maison ou faire à manger, j’aime faire, mais les détails et la finitions au millimètre, ce n’est pas mon fort. Cela dit, pour vendre un jeux vidéo, il est nécessaire d’avoir un produit fini. Comment faire en sorte que mon jeu ai un rendu visuel qui donne envie d’y jouer et qui soit cohérent. Pour y parvenir j’ai ajouté un effet visuel graphique qui donne un rendu CRT d’écran cathodique. Cela cache les défaut du jeu et permet en plus d’ajouter une cohérence transversale aux différents univers graphique. C’est aussi à partir de ce moment que l’idée du scénario du jeu m’est venu. L’histoire d’un jeu commencé il y a 20 ans par un homme, puis repris et terminé deux décennies plus tard par son fils.
Les étapes et outils du développement
Concrètement comment se sont déroulées ces deux années de développement.
Après une formation d’un mois, je me suis lancé dans le développement du prototype. Première chose mettre en place les mécaniques de gameplay dans un premier niveau. On contrôle un personnage, ses actions impactent son karma, le temps défile. Si le personnage contrôlé par le joueur se fait toucher par un ennemis ou si le temps est à 0 c’est le game over.
Au bout de 3 mois j’avais un premier prototype que j’ai fait tester à quelques membres de ma famille à l’occasion des fêtes de noël 2017. Le jeu ne ressemblait vraiment pas à grand chose à ce moment là. Ces premiers tests m’ont toutefois permis de recueillir pas mal de feedback. Ce type d’étape est très important pour réorienter le développement du titre et se motiver pour la suite.
Peu de temps après, j’ai proposé mon jeu pour une démonstration au stunfest 2018 dans le coin des indépendants. Nous somme alors en février 2018 et Kiss Or Kill est retenu par le Stunfest pour être exposé dans la partie prototype du village indé. Ce fut une très bonne nouvelle mais aussi un moment de stress, car cela voulait dire que j’avais à peine plus de deux mois pour présenter une démo qui ressemble à quelque chose.
Une démo digne de ce nom doit présenter un début, une fin, plusieurs niveaux, un tableau de high score, un générateur de pseudo et avoir une certaine cohérence. Bien entendu toute ces nouveautés doivent être développées et intégrées rapidement sans créer (trop) de nouveau bug.
Les mois qui ont précédés le Stunfest furent assez éprouvant, mais le jeu a beaucoup avancé grâce à cela. Le fait de se fixer des ultimatums est essentiel au développement d’un jeu, s’engager à présenter son jeu est un bon moyen de se contraindre et de s’imposer des jalons (d’autant plus quand on est seul).
Pour me tenir à jours dans mes tâches à faire je me suis appuyé sur un tableau d’avancement du type scrum board. Dans mon cas j’ai utilisé celui proposé par github pour la gestion du projet. Ça ressemble à ça.
Je m’étais fait plusieurs colonnes :
- backlog avec toutes mes idées.
- todo avec les idées prioritaire à développer
- in progress avec les tâches que je suis entrain de faire
- to test avec les features qu’il fallait tester
- done avec les features terminées.
Dans ce tableau j’y ai mis tout, que ce soit du graphisme, des sons, de la paperasse à faire ou des features à développer.
Ça n’a l’aire de rien mais ce type de tableau permet de s’organiser et de voir le boulot abattu.
Puis, est arrivé le mois de mai 2018 et le salon du Stunfest. J’étais très stressé à cause de mon putain de sentiment de non légitimité. J’allais seul montrer mon premier jeu à des gens que je ne connais pas, en me disant développeur de jeux vidéos…
Et puis les joueurs sont arrivés. Et là il s’est passé quelque chose. Ils prenaient le pad par curiosité et, pour la majorité d’entre eux, ne le lâchait pas avant plusieurs minutes de jeu. Certains ont même fini la démo. Le public semblait intéressé par le pitch du jeu, ils aimaient l’ambiance, l’originalité, bref beaucoup de signes rassurants. Bien entendu, ils sont tombés sur de nombreux bug et blocage que je n’avais pas vu. Mais ça c’est normal sur une démo.
Au final il n’est ressorti que du positif de ce Stunfest. https://indie.stunfest.fr/2018/#KissorKill
A l’issue du festival, je savais ce qui plaisait, ne plaisait pas, et j’avais une idée précise de comment mon jeu devait évoluer avant la commercialisation. il ne restait plus qu’à corriger les bugs, ajouter quelque effets, décliner les niveaux (simple, à priori).
Si le plan était clair, la mise en oeuvre s’est très rapidement compliquée. Jusque là j’avais géré un temps partiel avec mon employeur pour me libérer deux jours par semaine. Mais cela a pris fin, je n’avais plus que les soirs et week-end pour faire avancer KissOrKill.
Puis la vie à jouer aux dés avec le destin et des événements personnels majeurs sont venus prendre la priorité sur tout le reste. La deuxième moitié de 2018 fut très compliquée pour faire avancer le jeu. A tel point qu’en novembre 2018 je me suis dit que la version bêta était suffisamment aboutie pour envoyer une première version à microsoft et leur proposer d’intégrer le programme id@xbox.
Je crois à ce moment là que j’ai du patienter deux semaines avant d’avoir une réponse de leur part. Avant d’apprendre que oui, Xbox est intéressé par un jeu que j’ai créé. En tant que joueur passionné, ce moment était un aboutissement. Un succés dévérouillé. Et une fois les contrats signés, la découverte des kit de dev fut un vrai bonheur.
En février 2019, j’ai commencé à intégrer les services xbox (authentification, sauvegarde dans le cloud, succès, leaderboard). Je ne vais pas rentrer dans le détail mais ce n’est pas la partie que j’ai préféré. C’était très technique et moins ludique que d’inventer des univers, des pièges ou des blagues. Toutefois l’équipe de test/validation xbox m’a été d’une grande aide à ce moment là. Une fois tous les services intégrés, j’ai envoyé mon jeu pour la validation en juin 2019. La période de validation a également était assez longue et encore une fois id@xbox m’a fait plein de retour utile assez rapidement. La validation de KissOrKill a duré un peu plus de deux mois. Deux mois a corrigé de petits bugs et à fignoler l’intégration des API xbox. Je bossais le matin avant le boulot, à la pause de midi et le soir après que les enfants se soit couchés.
Et finalement, de manière un peu rock n roll, un peu à l’arrache, j’ai accouché de mon premier jeu le 4 septembre 2019.
Je n’étais pas prêt, pas de communication de prévue et un état de fatigue avancé, et tout n’était pas fini…
Maintenant il faut vendre.
Mon jeu, je comptais le sortir en été, une période relativement creuse. Avec le retard pris, il est sortie au mois de septembre, c’est à dire au début du grand bal de fin d’année des AAA du jeux vidéo. La semaine où KissOrKill est sortie sur Xbox, il est sortie parmis une liste de 13 jeux :
- Restless Hero
- NBA 2K20
- Creature in the Well
- Monster Hunter World
- Gears 5
- River City Girls
- Throne Quest Deluxe
- Monochrome Order
- Himno
- Post War Dreams
- Gaijin Charenji 1 : Kiss or Kill
- Final Fantasy VIII Remastered
- Torchlight II
Vous noterez que dans cette liste il y a de très gros titres et aussi des titres indépendants qui sont assez connus.
Alors comment faire pour vendre avec toutes cette concurrence, d’autant que lors de la phase de validation, je n’ai pas vraiment eu le temps de prendre des contacts et de faire de la communication.
Ce qui est sûr c’est qu’il faut communiquer dans tous les sens possibles. Personnellement j’ai fait des posts sur twitter et facebook. J’ai aussi contacté des sites spécialisés dans les jeux vidéo pour tenter de décrocher une news et/ou dans le meilleur des cas un test (une review ) de mon jeu. Clairement cette étape n’est pas facile. Les gros sites ne prennent pas la peine de répondre. Même s’ils ont des mails de contact, ils sont certainement trop occupés avec les sorties de jeux majeurs pour porter leur attention sur un jeu sorti de nul part et dont personne n’a entendu parlé. D’autant que des propositions comme la mienne ils doivent en recevoir plusieurs chaque jour.
Cela dit j’ai réussi à contacter quelques site spécialisés à l’audience plus modeste, plus des “fan site” que des sites professionnels. Metacritic est un bon moyen de rechercher des sites de ce type. Je me suis alors fixé comme objectif d’avoir un score metacritic. Pourquoi pas ? Si je dois faire un seul jeu dans ma vie autant le faire jusqu’au bout. J’ai donc essayé d’avoir suffisamment de review pour avoir un score metacritic (il en faut 4 minimum). J’ai contacté énormément de monde pour au final réussir à avoir un score de 80/100 (https://www.metacritic.com/game/xbox-one/gaijin-charenji-1-kiss-or-kill) en octobre 2019.
Avec tout ça combien ai je vendu de jeux ?
Après 3 mois de commercialisation j’en suis à 200 exemplaires vendus. C’est un chiffre assez décevant. J’aurais vraiment aimé en vendre plus. Je travail actuellement sur la version PC (Steam), peut être qu’elle me permettra de m’en sortir mieux financièrement.
Le point positif, c’est les retours que les joueurs m’ont fait. Il y a vraiment des gens qui ont aimé mon jeu et qui en ont fait des critiques plus qu’intéressante. Ça fait réellement plaisir.
Peut être que KissOrKill est un jeu trop à part. Il est peut être trop atypique pour se vendre plus ? moi je pense qu’il gagne à être connu. Je sais que c’est un jeu à part, bizarre et atypique mais je pense sincèrement qu’il a au moins autant de qualité que de défaut.
Si c’était à refaire
Est ce que je le referais. Financièrement l’opération n’est pas intéressante. Humainement, j’ai appris beaucoup sur moi. Techniquement j’ai appris énormément sur le développement de jeux vidéos. Je n’ai donc pas de regret. J’ai même envie d’en faire d’autres. En revanche, je crois qu’il est vraiment important de communiquer tôt dans un projet et d’essayer de créer une communauté. Plus facile à dire qu’à faire, et puis cet aspect demande beaucoup de temps. De plus, physiquement, KissOrKill m’a épuisé. Je ne pense donc pas repartir sur un projet de développement de jeux en plus d’un emploi à plein temps. Il faudra trouver une/des solutions.
Affaire à suivre.
Si vous des questions sur le développement de jeux vidéos ou sur Gaijin Charenji 1 : Kiss or Kill, je suis disposé à vous répondre.
Merci d’avoir lu l’article jusque là.
Si vous voulez plus d’info sur le jeu :
Le site du jeu => www.kissorkillgame.com
La page steam => https://store.steampowered.com/app/1187950/Gaijin_Charenji_1__Kiss_or_Kill/
La page Xbox => https://www.microsoft.com/en-us/p/gaijin-charenji-1-kiss-or-kill/9nl1bjrkn9p8?activetab=pivot:overviewtab
Et pour voter pour Gaijin Charenji 1 : Kiss or Kill comme indie of the year sur le site indieDb
https://www.indiedb.com/games/gaijin-charenji-1-kiss-or-kill