Une fois n'est pas coutume, ce nouvel article ne concerne pas des objets de collection, mais plutôt la campagne promotionnelle du prochain Metal Gear Solid, qui nous mène en bourrique depuis près d'un an. Le teasing porte la signature de Hideo Kojima et confirme son talent pour les jeux de piste. En attendant de savoir jusqu'où mèneront les traces, j'ai voulu m'arrêter sur trois influences majeures qu'on retrouve dans ce teasing... Trois fragments parmi tant d'autres.
 
 
Puisqu'il faut bien lui donner un titre, sans pour autant sombrer dans le piège de ses multiples appellations, autant s'en tenir à son nom de code initial, celui de l'affiche de la GDC 2012 : The "Next" MGS. C'est sans doute la manière la moins hasardeuse d'évoquer ce jeu (ou plutôt cette "production", dirons-nous, puisque le flou est total) auquel semblent faire référence les trailers de Ground Zeroes et The Phantom Pain, ainsi que l'artwork initial de Yoji Shinkawa.
 
Bref, dans le genre énigmatique, The "Next" MGS commence très fort, avec une ambiguité sur son identité réelle et sur son titre définitif, comme s'il avait été déchiré en plusieurs parties : pas étonnant, puisqu'on peut considérer le teasing de Kojima Productions comme une succession de fragments ("fractions de quelque chose qui a été brisé").
 
Dans ces fameux trailers alambiqués, dont on s'acharne à reconstituer le contexte, rien n'est certain ni "entier", tout est morcellé. Ce n'est pas un hasard si on y voit, par exemple, un membre amputé, des parcelles de territoire étranger sur des îles... ou même une queue de baleine, symbole de l'iceberg géant dont on ne voit qu'une petite partie émergée.
 
 
Alors, à défaut de pouvoir connaître les dimensions réelles de cet iceberg, autant se concentrer sur quelques détails qu'on distingue à la surface... et notamment, trois influences principales qui ont retenu mon attention et me semblent déterminantes pour appréhender The "Next" MGS.
  • Le conte japonais L'Ogre de Rashomon
  • Le roman américain Moby-Dick
  • Le contexte géographique, politique et historique des divers éléments du teasing, où l'enclave (dans des conditions précises) est un décor récurrent
 
 1. L'Ogre qui cache le projet
 
On l'a bien compris, le projet "Ogre" occupe Hideo Kojima depuis un bon moment. Régulièrement, il envoie des tweets ou accorde des interviews pour rappeller l'ampleur de cette tâche et la décrire par des propos mystérieux. Petit florilège :
 
"It's a little bit different to what I've done up until now. On the surface it will look similar, but once you get into it, it will be a different experience."
"(...) a very open entrance (containing enough content to reward 100+ hours of free exploration)"
" (...) set in a very open world where players can wander around and explore freely"
"Ogre does not appear in MGS Ground Zeroes trailer."
 
... Vraiment ? "Ogre" ("Oni" en japonais) n'apparaît pas dans le trailer de MGS Ground Zeroes ? Cette phrase n'est peut-être pas aussi claire qu'elle voudrait l'être...
 
Les autres déclarations mettent également la puce à l'oreille, puisqu'elles décrivent un jeu qui pourrait tout à fait être The "Next" MGS (un open world à la fois similaire et différent des précédents jeux de Kojima). En partant de ce principe, difficile de ne pas se poser la question : et si, contrairement à ce que prétend avec la citation ci-dessus, un ogre apparaissait bel et bien dans le trailer de Ground Zeroes ?
 
 
J'ai entendu parler pour la première du conte japonais L'Ogre de Rashomon par le biais d'une théorie de fan, suite à la sortie du trailer de Phantom Pain. Aucun doute possible, ce récit est une influence majeure du travail récent de Kojima Productions.
 
En résumé : un chevalier nommé Watanabe affronte un ogre par une nuit sombre et pluvieuse. L'ogre perd un bras dans la bataille avant de s'enfuir. Le chevalier conserve le membre amputé chez lui tout en redoutant que le monstre vienne le réclamer un jour. L'ogre finit par reprendre possession de son bras en se faisant passer pour une ancienne connaissance de Watanabe. Le trophée disparaît ainsi avec la créature, qui ne reviendra jamais. Mais les hauts faits du chevalier deviennent une légende et ne seront jamais oubliés.
 
 
Cette histoire atypique (et peut-être un peu glauque...) pourrait être reliée de plusieurs façons à la campagne promotionnelle du "Next" MGS
  • Une nuit d'orage : Un guerrier solitaire part au combat en pleine nuit, sous une pluie battante... Est-ce le chevalier Watanabe de L'Ogre de Rashomon, ou bien Big Boss dans le trailer de Ground Zeroes ? S'il y a bien une chose que le travail de Kojima nous a appris, c'est qu'il ne laisse jamais rien au hasard. Alors, Big Boss est-il ce chevalier des temps modernes, venu anéantir une menace et sauver la veuve et l'orphelin (Chico) ? Pourtant, les lunettes de vision nocturne de Snake lui donnent moins une allure de gentil héros que de cyclope monstrueux...
  • Un bras amputé : "Il a perdu un bras et fuit son ennemi" : voilà comment on peut résumer à la fois le trailer de Phantom Pain et l'issue du combat entre Watanabe et l'ogre. L'aura légendaire de Big Boss est totalement inversée dans le trailer de Phantom Pain, où il est présenté (si c'est bien lui...) comme un infirme à la carrure étroite. Le bras qu'il a perdu, c'est le gauche : celui qu'une "cavalière" et guerrière, The Boss, lui a brisé jadis, à la fin de la "Virtuous Mission" de MGS3... Si c'est un rêve que Big Boss vit dans ce trailer, devra-t-il affronter son passé pour se réveiller et "récupérer" son apparence initiale ? En tout cas, il y a au moins autant de références à MGS3 qu'à L'Ogre de Rashomon dans cette vidéo.
  • "The Rashomon effect" : Cet effet désigne l'inévitable subjectivité de la perception lorsque plusieurs personnes se souviennent du même événement, et en fournissent des récits différents mais plausibles. Le nom est tiré du film japonais Rashomon (en partie influencé par le conte dont nous parlions ci-dessus). Il s'agit également d'un ressort narratif intéressant, dont plus d'un roman ou scénario a fait son beurre. Sans surprise, "The Rashomon effect" est l'un des principaux arguments en faveur de la théorie selon laquelle plusieurs personnages principaux seraient contrôlés par le joueur dans The "Next" MGS - plusieurs points de vue sur le(s) même(s) événement(s). Mais il s'agit aussi d'une formidable métaphore du décryptage systématique des trailers par les fans de MGS. Tout le monde y va de sa propre théorie, subjective mais plausible, construite en accord avec les souvenirs que chacun a conservé de la série. A ce sujet, insistons encore sur le fait que le personnage de Phantom Pain perd son bras gauche : il semble que dans Metal Gear Rising Revengeance, le bras gauche des cyborgs soit celui qui contient leur "mémoire"... D'où le bouleversement des repères, lorsqu'on visionne le trailer de Phantom Pain pour la première fois ? Tout a l'air confus mais les souvenirs tentent de se raccrocher à l'un ou l'autre fragment visible (depuis le clin d'oeil évident de l'allure générale du personnage, jusqu'au plus petit détail, comme le carrelage constitué d'hexagones).
  • La figure de l'ogre : D'un point de vue psychanalytique, l'ogre "constitue l'image inversée et cauchemardesque du père". Ceci rejoint la théorie selon laquelle Big Boss, père biologique des "enfants terribles", mais aussi père spirituel d'autres personnages (Ocelot dans MGS3, Chico dans Peace Walker...), recruterait des enfants soldats dans The "Next" MGS. Cet élément (peut-être le fameux "tabou" dont parlait Kojima en référence au projet Ogre) serait central dans le gameplay et le scénario, à tel point qu'il serait possible d'incarner ces enfants dans le jeu (cf. les anciennes photos du Fox Engine), ou qu'ils formeraient l'équipe des boss. Pourquoi pas ? Après tout, les trailers de Ground Zeroes et The Phantom Pain mettent en scène deux gamins quelque peu... inquiétants. Remarquons, au passage, que l'écusson Diamond Dogs fait référence à un album du même nom de David Bowie, où les chansons décrivent une futur apocalyptique peuplé d'enfants charognards. Bref, Big Boss endosserait-il le rôle peu enviable du Capitaine Crochet qui accueille sous son aile les "enfants perdus" sur les champs de bataille ? A noter aussi qu'il existe une analyse alternative de la figure de l'ogre : "le symbole du retour au ventre maternel"... Une obsession de Big Boss depuis qu'il a assassiné sa mère spirituelle ?
 
Pas de doute, la figure de l'ogre (sous ses formes les plus diverses) plane sur les deux trailers... Indice, clin d'oeil ou fausse piste ? En tout cas, ce n'est pas une coïncidence si L'Ogre de Rashomon s'infiltre dans le teasing de Kojima. Ce conte partage au moins un point commun avec le roman Moby Dick : son dénouement. Au terme des deux histoires, la situation est la même (et elle n'est pas sans rappeler la vie de Big Boss après l'opération Snake Eater) : il n'y a pas de place pour la victoire. Mais le "héros" gagne quelque chose de plus précieux qu'un trophée : une légende dédiée à son courage, qui traversera les âges.
 
 
2. The Phantom Whale
 
Ce n'est pas uniquement parce qu'il passe tout son temps sur Twitter que Hideo Kojima a décidé de glisser une baleine dans le teasing du "Next" MGS. D'ailleurs, le trailer de Phantom Pain ne constitue pas la toute première évocation de cet animal dans l'univers de la série. Liste non exhaustive, en vrac :
  • Dans un dialogue de Metal Gear 2 (MSX2), Campbell dit à Snake de ne pas parler à Kasler de viande de baleine (une référence à Snatcher, autre jeu de Kojima, où une enquête est menée sur le décès d'un personnage qui avait mangé du cétacé)
  • Dans MGS2, Raiden traverse l'Arsenal Gear, de l'estomac au rectum (dans le genre référence à Pinocchio/Jonas, on ne peut pas faire plus clair)
  • Dans MGS2 encore, la mention du nom de l'hélicoptère KA-60 Kasatka ("orque" en russe)
  • Encore plus anecdotique, le nom de code "Baleine", que le joueur peut recevoir dans Twin Snakes, MGS2, MGS3 et Peace Walker (en dévorant des tonnes de ration, si mes souvenirs sont bons)
 
En revanche, The Phantom Pain constitue bien la première véritable présence d'une baleine à l'écran, au coeur de l'action. Et sans nul doute, cette apparition restera dans les mémoires...
 
 
La scène, inattendue et envoûtante, montre le cétacé de feu, "lancé" tel un missile nucléaire, avaler un hélicoptère au vol. Il s'agit sans aucun doute de l'effet visuel le plus surprenant du trailer, et peut-être de l'une des signatures les plus évidentes de Kojima : on retrouve, en un seul et unique plan, l'obsession de la menace nucléaire, le "lens-flare" typique du trailer de Ground Zeroes (avec l'hélicoptère adéquat) et la jeep renversée à la sortie d'un tunnel (le décor final du premier Metal Gear Solid).
 
Autre élément, plus discret dans le trailer mais tout aussi important : le logo de Moby Dick Studio.
 
 
Cette queue de baleine attire l'attention par son tracé inhabituel, qui semble presque représenter les côtes maritimes d'un pays nordique... peut-être la Norvège ? Ou alors, la Suède, d'où est censé être originaire le studio (ainsi que le compositeur du trailer de Ground Zeroes, Ludvig Forssell). Ou peut-être les deux pays ensemble, comme s'ils étaient vus sous une loupe déformante.
 
Et bien sûr, il y a le nom du studio lui-même, qui fait référence à l'oeuvre de Herman Melville, Moby-Dick. Désormais, le folklore de la série MGS sera indissociable de ce roman du XIXème siècle : un rapprochement que rien ne semblait présager... hormis l'éventuel parallèle entre Big Boss et Ahab (Achab dans la version française), le capitaine du baleinier Pequod qui part chasser le cachalot blanc.
 
  • Tyrannique et irrascible, Ahab est mû par un désir de vengeance monomaniaque : tuer le cachalot blanc qui lui a croqué la jambe au large des côtes du Japon (la douleur fantôme n'est pas loin...)
  • "Ni Dieu, ni maître", c'est un peu la devise d'Ahab, qui va entraîner dans sa perte tout l'équipage du Pequod, hormis le narrateur Ishmael
  • C'est ce dernier qui, lorsqu'il entend pour la première fois le patronyme d'Ahab, fait remarquer la similitude peu flatteuse de ce nom avec celui d'un roi d'Israël impie... ce à quoi on lui répond qu'Ahab "ne s'est pas nommé lui-même"

  • Big Boss, lui aussi, agit par vengeance, après avoir perdu une partie de lui-même : à première vue son bras gauche dans le trailer de Phantom Pain, mais plus vraisemblablement son oeil dans MGS3 ainsi que, d'une manière métaphorique, son "âme soeur", The Boss. Pour Big Boss, l'équivalent du cachalot blanc, c'est peut-être Zero, l'ennemi insaisissable qui l'entraînerait dans une course aux quatre coins de monde (The "Next" MGS va-t-il nous faire traverser le globe, de Cuba au Japon ?)
  • Big Boss est également caractérisé par le refus de se plier à toute autorité supérieure, comme le montrent les scènes finales de MGS3 et Peace Walker. Victime de son obsession, il va aussi entraîner ses troupes loyales à leur perte (dans Metal Gear 1 & 2, mais peut-être aussi déjà dans The "Next" MGS ?)
  • Notons, enfin, que Big Boss "ne s'est pas nommé lui-même" non plus : son nom de code lui a été décerné suite à l'opération Snake Eater

A titre anecdotique, on peut remarquer que le narrateur du roman Moby-Dick n'est pas Ahab lui-même, mais la "nouvelle recrue" Ishmael : ce procédé n'est pas sans rappeler le grand "twist" de MGS2, qui mettait le joueur dans la peau de Raiden, et le rendait témoin du comportement de Solid Snake. Il est peu probable que Kojima répète deux fois cette même astuce scénaristique (quoique...), mais on peut facilement imaginer le joueur, à un moment ou un autre dans The "Next" MGS, diriger une recrue de Big Boss et devenir le témoin impuissant de la descente aux enfers du fondateur d'Outer Heaven.

Dans Moby-Dick, le voyage du Pequod l'emmène pourchasser le cachalot blanc jusqu'au pays du soleil levant, qui fait partie des trois seuls Etats dans le monde qui chassent encore la baleine aujourd'hui à des fins commerciales (avec la Norvège et l'Islande). Le Japon s'est donné les moyens de poursuivre cette activité, après l'interdiction de 1986, en invoquant des fins scientifiques. A cet effet, un programme de recherche sur les baleines, "destiné à assurer une chasse durable" (ou pas...), a vu le jour il y a une vingtaine d'années. Son nom ? Le JARPA... Eh, pourquoi pas !

De l'autre côté du Pacifique, dans la symbolique des animaux chez les Indiens d'Amérique, la baleine est la gardienne des secrets de la Terre. Nul doute qu'elle détient l'une des clés du teasing de Kojima. En anglais, une queue de baleine est désignée sous le terme "fluke", qui peut faire référence à une coïncidence, un coup de chance ou une découverte fortuite.

Une chose est sûre, on n'a pas fini d'entendre parler de cétacés dans le teasing du "Next" MGS, et on n'a pas fini d'en voir le bout de la queue... notamment autour de certains territoires insulaires...

3. Un "open world" enclavé
 
Les décors des trailers de Ground Zeroes et The Phantom Pain partagent un contexte bien précis... trop précis pour qu'il s'agisse d'une simple coïncidence. A deux reprises, l'action se déroule dans :
  • Une base militaire étrangère (et contestée) enclavée sur le territoire d'un Etat insulaire
  • Cette île est située dans une zone en proie à des séismes (merci à MetalGearSolid.be pour ce détail crucial), et même "enclavée" entre deux plaques tectoniques
  • Curieusement, une forme de queue de baleine est visible sur le globe terrestre à proximité du lieu de l'action (le "hasard" fait bien les choses)
  • L'enclave militaire "virtuelle" existe bel et bien dans la réalité, et l'actualité (plus ou moins) récente y a fait référence
  • De manière moins systématique (car non avérée dans l'un des deux cas), mais éventuellement pertinente si de nouveaux éléments étaient dévoilés en ce sens, l'île possède un lien avec l'arme nucléaire. Ce rapport n'est pas évident à cerner, mais il se pourrait que l'île soit (ou était à une certaine époque) une zone exempte d'armes nucléaires
  • Dans Ground Zeroes :

    - Le lieu de l'action est ostensiblement dévoilé : il s'agit d'un camp de prisonniers à Cuba, vers fin 1974 (les indices temporels liés à Peace Walker, ainsi que les dates de la saison des pluies sur l'île, laissent supposer cette date approximative). D'après certains dialogues et détails visuels, ce camp est situé à l'intérieur d'une enclave militaire américaine au sud de l'île, qui serait un équivalent virtuel de la base navale de la baie de Guantanamo
    - Le statut de cette base a toujours été nébuleux. Le gouvernement cubain est opposé à sa présence, ainsi qu'une partie de l'opinion publique mondiale depuis qu'un camp de détention de "combattants irréguliers" y a été installé en 2002... Le décor du trailer est précisément celui d'une prison en plein air qui n'est pas sans rappeler, visuellement, le Camp X-Ray (voir les deux photos de cette page Wikipédia, la ressemblance est troublante)
    - Cuba se situe dans une zone régulièrement touchée par des tremblements de terre, à la limite nord de la plaque tectonique des Caraïbes
    - Cuba a ratifié le Traité de Tlatelolco en 2002, ce qui fait de l'île une zone exempte d'armes nucléaires (ce traité est d'ailleurs cité dans une conversation entre Miller et Snake dans Peace Walker)
    - Une forme de queue de baleine est visible, sinon à proximité immédiate, tout du moins sur les côtes du Costa Rica, théâtre de Peace Walker (adresse exacte dans Google Maps : Marino Ballena National Park, Uvita, Puntarenas 60504, Costa Rica). A noter que cette presqu'île naturelle a été endommagée par le tsunami de mars 2011, celui qui a provoqué la catastrophe nucléaire de Fukushima. Rappelons aussi que Kojima a effectué un repérage intensif au Costa Rica en 2011, certainement dans le cadre du Projet Ogre. Sans doute trouve-t-on là-bas le genre de paysage qui rendrait bien avec le Fox Engine...

  • Dans The Phantom Pain :

    - Le lieu de l'action est dissimulé mais on sait désormais, grâce à de nombreux indices (bâtiment, décor extérieur, drapeau britannique, carte attachée sur un mur, accent des voix...), qu'il s'agit d'un équivalent virtuel du Princess Mary's Hospital à Chypre, à une date indéterminée mais supposée proche de celle de l'autre trailer en raison de certaines similitudes (comme les uniformes des soldats)
    - Il s'agit d'un hôpital militaire situé dans l'une des deux enclaves britanniques de l'île, celle d'Akrotiri. La présence militaire de la Royal Air Force à Chypre fait l'objet de contestations, qui ont été ravivées depuis les années 2000. Concrètement, ces bases sont les résidus d'une stratégie du Royaume-Uni en Méditerranée autour de l'invasion turque de Chypre en 1974, qui a laissé le pays divisé en deux : au nord, les territoires turcs et au sud, les territoires grecs. Cette époque mouvementée correspond plus ou moins à celle du trailer de Ground Zeroes
    - Comme la Grèce et la Turquie, Chypre se situe dans une zone favorable aux séismes, à la frontière entre la plaque eurasienne et africaine. Des cartes sismiques de l'île ont montré une très forte activité autour d'Akrotiri au cours du XXème siècle
    - Une forme de queue de baleine est visible à proximité immédiate du lieu : c'est la forme du barrage Kouris, qui n'a cependant été construit qu'en 1988. Un monstre des mers aurait été aperçu à plusieurs reprises à cet endroit : voilà qui pourrait intéresser Chico...
    - Et en bonus... A Limassol, non loin de l'hôpital militaire où est censé se dérouler le trailer de Phantom Pain, on trouve un établissement culinaire japonais au nom bien particulier... Le Kojima Restaurant ! Incontournable lors de votre prochain voyage à Chypre...

Chasse à la baleine, séismes et catastrophe nucléaire : ces trois éléments récurrents du décor des trailers sont indissociables du Japon, lui-même un Etat insulaire où subsistent des enclaves militaires contestées. Quoi de plus naturel, pour un jeu originaire du pays du soleil levant, que de traiter de ces thématiques intimement liées à l'histoire japonaise... et à son actualité récente.

Les tremblements de terre et les explosions atomiques partagent le même terme, "ground zero", pour faire référence à leur centre, ou origine. Il n'y aurait rien d'étonnant à ce que Hideo Kojima et son équipe, au coeur de la tourmente qui a suivi le tsunami du 11 mars 2011, aient entendu à de multiples reprises les mots "ground zero" dans les médias. Les diverses associations de cette expression, mêlées aux centres d'intérêt de Kojima et aux craintes récurrentes de tout un peuple, ont pu faire germer (ou faire évoluer) le scénario et le "game plan" du "Next" MGS. C'est en tout cas loin d'être impossible, et ça expliquerait la récurrence de ces éléments dans le teasing, tellement systématique qu'elle en devient tout de suite suspecte.

Nous avons donc peut-être déjà en notre possession les quelques indices majeurs qui permettraient de faire la chasse aux différents "ground zeroes", que Kojima évoquait peu de temps après la sortie du premier trailer, par les mots suivants :

Ca, c'est un véritable discours de game designer. C'est même la base d'un "game plan" : comme si on entendait Kojima briefer ses troupes en pré-production du "Next" MGS. La pluralité des "ground zeroes", liée au concept d'open world qui semble être la principale mécanique du jeu, implique la création de plusieurs zones dans lesquelles le joueur pourra évoluer. Comme l'a bien démontré le passage de gameplay du premier trailer, un hélicoptère servirait de transport libre entre ces zones.

Serait-il possible d'identifier dès maintenant quelques-uns de ces "ground zeroes", sur base des caractéristiques communes aux deux lieux déjà dévoilés, Cuba et Chypre ? Je me suis prêté au jeu.

Mais par où commencer ? Une liste des enclaves militaires à travers le monde ? Ou plutôt des Etats insulaires ? Et ensuite, par où continuer ? Des cartes sismiques de la région étudiée, son histoire nucléaire et, pourquoi pas, ses anecdotes liées à la baleine ? En recoupant ainsi divers éléments, j'ai fini par trouver plusieurs lieux potentiels qui m'ont laissé rêveur. Que ce soit bien clair : je ne peux être sûr d'aucun d'entre eux et, comme Watanabe ou Ishmael, je termine cette chasse bredouille. Mais le jeu en valait la chandelle, avec la découverte de nombreuses coïncidences étonnantes et bien sûr, le plaisir de recouper la géopolitique du XXème siècle avec la mythologie de la saga MGS (certainement l'un des passe-temps favoris de Hideo Kojima...).

1) Japon : la piste d'Okinawa

L'archipel japonais est un lieu de prédilection pour la recherche d'un "ground zero". Pays d'origine de la série, il n'a pourtant pas encore été le théâtre d'un MGS de Hideo Kojima. Il est sans doute grand temps de rectifier cette injustice, et c'est ce qu'un élément du trailer de Phantom Pain semble indiquer : la fameuse réplique de l'homme aux bandages, "on your feet soldier, the whole place is coming down".

Cette phrase est la copie exacte d'une ligne de dialogue de Call of Duty: World at War... on se doute bien qu'elle n'a pas été utilisée par hasard. Dans World at War, les mots sont prononcés par Roebuck (alias Kiefer Sutherland), un soldat américain accompagné d'un certain Miller (ça ne s'invente pas). Ils participent tous deux, entre autres, à l'invasion d'Okinawa (nom de code "Iceberg"... tiens, tiens...) en 1945, "la dernière bataille de la Seconde Guerre mondiale".

L'année 1945 marque la "naissance" de la base aérienne américaine de Kadena sur l'île d'Okinawa. Cette base fut initialement "dérobée" aux Japonais et encore aujourd'hui, sa présence fait l'objet de vives tensions. Sans aucun doute, il s'agit de la base militaire américaine la plus contestée au Japon... la plus stratégique aussi, et celle qui dérange le plus la population locale. Elle est le symbole d'une époque révolue (années 60-70), lorsque la présence militaire des Etats-Unis dans l'archipel bénéficiait à l'économie japonaise, tandis que les Américains profitaient de la situation-clé de ce territoire pour mener à bien leur politique de dissuasion nucléaire envers l'URSS (Peace Walker n'est pas loin...).

La question du maintien des bases américaines au Japon est extrêmement épineuse et médiatisée : elle a tout à fait pu servir d'inspiration à Kojima et son équipe. Pour se faire une idée de l'ampleur de la situation, il n'y a qu'à imaginer Kadena, cette base aérienne étrangère, par laquelle il est facile d'imaginer l'arme nucléaire transiter. Le comble de l'horreur et de la provocation : un dialogue de Peace Walker entre Kaz et Snake évoque cette situation délicate et la nécessité, pour le peuple japonais, de relativiser les choses.

Un jour, j'aurai peut-être le temps de chercher la forme d'une queue de baleine autour d'Okinawa et de l'archipel des îles Ryū-Kyū. Mais en attendant, Kadena répond bien à la définition des "ground zeroes" qui nous intéressent : base militaire étrangère, contestée, réelle et présente dans l'actualité récente, enclavée sur une île en proie aux séismes, à la frontière entre deux plaques tectoniques (eurasienne et philippine)... et bien sûr, son histoire, comme celle du pays tout entier, est tristement liée à la menace nucléaire. Dans la logique suivie jusqu'ici, ce lieu semble incontournable... mais comme on le voit sur la carte ci-dessous, il y a bien d'autres lieux potentiels aux alentours, sans parler du reste du Japon.

2) Angola : une enclave, mais pas d'île

Une autre zone de recherche logique, en accord avec le scénario de Peace Walker et l'artwork "Diamond Dogs", c'est l'Angola... qui n'est ni une île, ni une région à haut risque sismique. Et pourtant, "There's a site near Angola...", déclarait mystérieusement Kaz à la fin de Peace Walker, faisant ainsi référence à l'un des pays africains où le commerce des diamants de guerre s'est développé le plus largement.

L'Angola a déclaré son indépendance en 1975, sans doute peu de temps après les événements fictifs du trailer de Ground Zeroes. A tout hasard, j'ai cherché un lien entre Cuba et l'Angola : la réponse ne s'est pas faite attendre. L'île des Caraïbes fait partie des acteurs internationaux qui sont intervenus massivement dans la guerre civile angolaise. Ce conflit a ravagé le pays à partir de 1974, lorsque le Portugal a commencé à déserrer son étreinte sur l'Angola, l'une de ses colonies africaines, la rendant vulnérable à ses voisins (notamment l'Afrique du Sud et le Zaïre (à noter également qu'une autre colonie portugaise en Afrique était le Mozambique, où Ocelot est censé avoir combattu). Ce conflit débuté sur fond de Guerre froide a officiellement duré jusqu'en 2001 ; sans entrer dans les détails, Cuba en a été l'un des principaux acteurs, au moins jusqu'au début des années 90.

Au coeur de cette intervention cubaine : l'opération Carlota, le 4 novembre 1975. Fidel Castro envoie des dizaines de troupes par avion jusqu'en Angola pour soutenir son allié sur place, le MPLA.

Il n'est pas difficile d'imaginer Big Boss, lors de son infiltration du Camp Omega à Cuba, apprendre que la Mother Base a été attaquée ou détournée (c'est, en substance, l'événement qu'anticipe le trailer de Ground Zeroes) et devoir fuir sans espoir d'y retourner. Se pourrait-il qu'il prenne place clandestinement à bord d'un avion cubain à destination de l'Afrique ? Tout dépend de la concordance des dates.

L'Angola ne partage que peu de caractéristiques avec Cuba et Chypre : il s'agit d'un pays continental, éloigné des frontières des plaques tectoniques, sans histoire nucléaire notable (si ce n'est son statut de zone exempte d'armes nucléaires, de par son adhésion au Traité de Pelindaba en 1996, comme la plupart des Etats africains).

En revanche, la première chose qui frappe quand on voit la carte de l'Angola, c'est son "exclave" : la province de Cabinda, paradoxalement "enclavée" entre Congo-Kinshasa (ex-Zaïre) et Congo-Brazzaville.

Le Cabinda, au contraire de l'Angola, n'était pas une colonie du Portugal, mais un protectorat. Depuis la décolonisation, son statut est extrêmement nébuleux. Apparemment, il aurait déclaré son indépendance quelque temps avant l'Angola, mais cette indépendance n'aurait pas été reconnue. A défaut d'être un Etat à part entière, il demeure donc une province d'un pays auquel il avait été arbitrairement rattaché par le Portugal dans les années 1950.

Le conflit du Cabinda, débuté en 1975, perdure encore aujourd'hui. Au coeur des revendications des Cabindais : le départ des soldats angolais contre lesquels combat le FLEC, mouvement de libération qui les accuse d'occuper illégalement le Cabinda. Voilà donc potentiellement une "enclave militaire" contestée, à la fois dans l'histoire et dans l'actualité. De plus, le Cabinda n'est pas vraiment situé en Angola, mais presque : d'où la réplique de Kaz, "a site near Angola" ?

En tout cas, bien malin qui trouvera la forme d'une queue de baleine à proximité. Au large de l'Angola, seules les plates-formes pétrolières fleurissent. D'ailleurs, la plus grande au monde s'y trouve. Elle s'appelle... Pazflor (non non, je suis sérieux !). Une petite mission de Snake là-bas permettrait certainement à Kojima de faire pleuvoir les clins d'oeil à MGS2.

3) Scandinavie et Arctique : des îles de glace

Zone peu touchée par des séismes et où subsistent peu de bases militaires étrangères aujourd'hui, la Scandinavie n'est pas la candidate idéale pour accueillir un "ground zero". Et pourtant, avec l'arrivée du nouvel acteur Moby Dick Studio, impossible de passer à côté sans au moins jeter un coup d'oeil.

Au sens le plus large, la Scandinavie comprend les pays suivants : Suède, Norvège, Danemark, Finlande, Islande et îles Féroé. Je n'ai rien trouvé de particulier pour la Suède et la Norvège, hormis le rôle de cette dernière dans la chasse à la baleine, ainsi que le tracé des côtes qui rappelle le logo de Moby Dick Studio. En revanche, la Finlande a attiré mon attention, puisqu'elle a hébergé plusieurs bases militaires soviétiques lors de la Guerre froide. Actuellement, il semble que ces enclaves aient été restituées, en tout cas celle qui m'a intéressé : la péninsule de Porkkala, non loin d'Helsinki, où l'URSS a tenu une base navale de 1944 à 1956, suite à la Guerre de Continuation. Mais visiblement, il s'agit d'une fausse piste, puisque la base a cessé son activité bien avant 1975.

Cette présence russe en Scandinavie met pourtant la puce à l'oreille et donne envie d'en savoir plus. A proximité de la Finlande, Kaliningrad, la fameuse "île russe au sein de l'Union européenne", pourrait-elle être candidate ? C'est probable, puisque sa position d'exclave et ancien satellite de l'URSS (ce qui n'est pas sans rappeler l'histoire du Cabinda) est stratégiquement militaire. Et puis, on se souvient de l'affaire du bouclier anti-missile américain en Europe, qui pourrait théoriquement être brouillé à partir de Kaliningrad. En tout cas, une base navale militaire russe se trouve encore aujourd'hui là-bas, et donne sur la Baltique.

Et puisqu'on évoque la Russie, autant remarquer l'étrange passé de île de Wrangel, en Arctique cette fois, dans la mer de Sibérie orientale. Trois choses à noter : premièrement, l'île aurait été découverte par des baleiniers. Deuxièmement, elle ferait l'objet de contestations entre Russie et Etats-Unis, en raison du flou juridique total en ce qui concerne son identité, suite au démantèlement de l'URSS. Troisièmement, plusieurs autres pays ont eu des vues sur cette île durant le XXe siècle, dont la Grande-Bretagne, le Canada et... le Japon. Cependant, aucune base militaire importante n'a été construite sur Wrangel, qui demeure aujourd'hui une réserve naturelle géante.

L'Arctique n'est pourtant pas une mauvaise piste, car les séismes y sont plus réguliers qu'en Scandinavie. Le Groenland, situé immédiatement à l'ouest de la frontière des plaques tectoniques eurasienne et nord-américaine, est en proie à de nombreux tremblements de terre (ou plutôt de glace...?), à une certaine période de l'année. Sur cette "île", province autonome du Danemark constituée à 80% d'un glacier, se trouve une base militaire de l'OTAN d'une grande importance stratégique : la base aérienne de Thulé (76°31′52″N 068°42′11″W), liée au Camp Century et à l'accident de Thulé, qui forment ensemble une sombre page de l'histoire de la Guerre froide.

Le Danemark, zone exempte d'armes nucléaires jusqu'en 1988, a autorisé les Etats-Unis à construire des bases militaires au Groenland dès la Seconde Guerre mondiale. Afin de créer la base de Thulé, et implanter ainsi une véritable enclave américaine sur le territoire du Danemark, il a fallu déplacer une petite communauté autochtone, ce qui a provoqué la colère de la population inuite (et par extension, une partie de l'opinion publique danoise) contre les Etats-Unis. Thulé est donc une base militaire contestée, encore aujourd'hui, et son histoire peu reluisante n'est pas étrangère à ce fait.

A 240 kilomètres à l'est de la base, le Camp Century, une autre enclave de l'Oncle Sam, a fonctionné à plein régime durant la Guerre froide, afin de mettre en oeuvre le tristement célèbre "Project Iceworm". Dans les années 1950, les États-Unis ne disposaient pas de missiles nucléaires d'une portée suffisante pour frapper l'URSS depuis leur territoire : le projet visait donc à creuser des centaines de kilomètres de tunnels sous la calotte glaciaire du Groenland, afin d'acheminer des ogives au plus près du territoire soviétique. Ce plan top secret, complètement fou, a évidemment été avorté à la fin des années 1960, puisque la glace bougeait et faisait s'effondrer les tunnels.

Le "Project Iceworm" n'a été dévoilé au public qu'au milieu des années 1990. Pour comprendre le scandale qui en a découlé, il faut citer aussi l'accident de Thulé : le crash d'un B-52 de l'US Air Force, le 21 janvier 1968. L'appareil s'est écrasé alors qu'il arrivait en approche de la base de la base de Thulé, avec à son bord, quatre bombes à hydrogène, dont trois ont explosé sur place (et une n'a jamais été repêchée). Cela a entraîné une large pollution radioactive, et cet incident fait partie des plus graves catastrophes nucléaires de l'histoire. La bombe manquante fait l'objet de toutes sortes de théories du complot et, encore aujourd'hui, la question de son existence est au coeur des relations diplomatiques entre Danemark et Etats-Unis... voici qui pourrait alimenter, dans la tête de Kojima, une intrigue militaire de premier choix.

Entre l'accident de Thulé et le "Project Iceworm", l'opinion publique danoise et les populations autochtones du Groenland ont eu l'occasion, plus d'une fois, d'exprimer leur refus de la présence militaire américaine au pôle nord. Tout comme avec l'affaire d'Okinawa, l'ampleur de la réaction populaire est liée au transit d'armes nucléaires dans une zone qui avait déclaré en être exempte.

Notre dernière étape en Arctique, c'est l'Islande : un autre Etat qui, de par son manque de poids militaire, a accueilli à bras ouverts la présence américaine sur son territoire. Plus précisément, l'Islande n'a absolument aucune armée ("a country without an army"), mais une force de défense qui ne dépend pas directement du pays. Un accord bilatéral de 1951 a prévu que la défense du territoire islandais serait du ressort de l'armée américaine : ce fut en effet le cas, jusqu'en 2006. Dès 2008, c'est l'OTAN qui a pris le relais, mais dans une moindre proportion.

N'oublions pas non plus que l'Islande est une île, qu'elle reste aujourd'hui l'un des rares pays à chasser la baleine à des fins commerciales, et qu'elle se situe exactement à la frontière de deux plaques tectoniques, ce qui en fait un "ground zero" non négligeable.

La base militaire qui nous intéresse ici, c'est celle de Keflavík, le QG de la force de défense islandaise jusqu'en 2006, date à laquelle les Etats-Unis ont retiré leur présence militaire d'Islande (l'île leur donnait une position stratégique en temps de Guerre froide, mais n'a présenté que peu d'intérêt par la suite).

Keflavík est donc l'une de ces nombreuses enclaves délaissées aujourd'hui par les Etats-Unis, une relique de la Guerre froide digne d'un roman de Tom Clancy (elle est d'ailleurs l'un des lieux d'action de son Red Storm Rising). Difficile de déterminer précisément l'opinion de la population islandaise face à la présence militaire américaine en Islande, puisque celle-ci a été nécessaire, pendant des décennies, à la protection du pays. Keflavík ne semble pas avoir mobilisé de manifestations aussi importantes que pour Okinawa ou Thulé.

Si l'Islande et le Groenland font figure de favoris pour une zone de jeu en Scandinavie ou en Arctique, leurs pays voisins ne sont pas à négliger. Un décor de glace et de neige trouverait certainement sa place dans The "Next" MGS : à la fois comme clin d'oeil à Shadow Moses, comme démonstration de la puissance du Fox Engine... ou comme théâtre d'une rencontre avec un jeune Vulcan Raven ?

4) Le Pacifique : des renards, des serpents et de l'uranium

S'il y a bien une chose qui caractérise le Pacifique, ce sont ses îles paradisiaques. Pas plus loin que la côte ouest des Etats-Unis, on trouve déjà de superbes archipels tout droit sortis d'une brochure d'agence de voyage, à commencer par les Channel Islands. Au large de la Californie, ces huit îles, à la frontière entre les plaques tectoniques nord-américaine et pacifique, forment un territoire disputé entre les Etats-Unis et le Mexique. Ce dernier aurait cédé l'archipel suite au Traité de Guadeloupe Hidalgo, qui ne contient pourtant pas mention des Channels Islands.

L'île qui nous intéresse, c'est celle de San Clemente. Entièrement contrôlée par la marine américaine depuis 1934, elle peut être considérée comme un territoire à 100% militaire. Elle ne compte d'ailleurs officiellement aucun habitant. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les soldats de l'Oncle Sam y étaient entraînés à envahir d'autres îles du Pacifique tenues par les Japonais. Aujourd'hui, San Clemente abrite le QG d'entraînement des fameux Navy SEALs, qu'on a déjà vu dans MGS2.

Autre élément intéressant, l'île est citée dans plusieurs récits de baleiniers, comme celui du navire "Elbe" : son capitaine Josiah B. Whippey pourchassa "jusqu'à l'île de San Clemente" la même espèce de cachalot que dans Moby Dick. Deux autres bateaux, le "Lansing" et le "California", ont fait la chasse à la baleine à bosse au sud de l'île dans les années 1920 et 1930. Enfin, un baleinier norvégien, "Esperanza", est aussi venu attraper des baleines bleues dans ces eaux décidément riches en cétacés. Encore une fois, difficile de croire aux coïncidences, surtout quand les Channel Islands (et particulièrement San Clemente) abritent également une espèce unique de renard gris...  oui, cet animal qu'on nomme un "grey fox" dans la langue de Shakespeare ! Voilà une apparition plutôt troublante, car nombreux sont les fans qui espèrent voir Frank Jaeger, alias Gray Fox, dans The "Next" MGS.

Les Channel Islands sont loin d'être les seules îles liées aux Etats-Unis dans le Pacifique. Citons, en vrac, l'atoll Palmyra, les îles Samoa, l'île Baker, l'île Howland, l'atoll Johnson, etc. Et bien sûr, le plus gros morceau : les îles Marianne, divisées entre l'île de Guam et les îles Marianne du Nord, au large desquelles se produisent régulièrement des séismes de grande magnitude (entre les plaques tectoniques du Pacifique et des Philippines).

Guam est un territoire non-incorporé de Etats-Unis. Cela veut dire qu'il ne dépend d'aucun des 50 Etats. Pourtant, il appartient bel et bien aux Américains, après avoir été cédé par l'Espagne au terme d'un conflit à la fin du XIXème siècle. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Guam a été attaqué par le Japon trois jours après Pearl Harbour, puis reconquis. Aujourd'hui, l'île est toujours sous influence militaire américaine, puisque les bases de l'armée s'étendent sur près d'un tiers (29% exactement) du territoire. Son économie repose donc sur la présence de l'armée, mais aussi sur le tourisme, notamment en provenance du Japon ! Pour l'anecdote, dans l'actualité récente, on a appris que des soldats US vont être déplacés d'Okinawa vers Guam en 2020. Autre fait marquant : l'île est infestée de serpents "importés" de Nouvelle-Guinée, qui ont décimé beaucoup d'autres espèces animales, sans défense face à ce nouveau prédateur, le "brown tree snake" (ça sonne presque comme un nom de camouflage de MGS3...).

Parmi les îles Marianne du Nord, celle de Tinian attire l'attention. C'est d'elle qu'ont décollé les avions qui portaient Little Boy et Fat Man, les bombes d'Hiroshima et Nagasaki. Conquise par les Américains en 1944, Tinian a abrité la plus grande base aérienne du monde durant la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais dès la fin du conflit, les bases de l'île ont commencé à être désaffectées. Il est peu probable qu'elles aient joué un rôle durant la Guerre froide. Aujourd'hui, bien que la marine US conserve une présence sur place, il n'y a plus aucune trace des bases aériennes "North Field" et "West Field", peu à peu rendues à la nature : la jungle a lentement dévoré les pistes d'atterrissage et de décollage, formant un décor apocalyptique.

Troisième zone digne d'attention dans le Pacifique : la Nouvelle-Zélande. Située à la frontière des plaques australienne et pacifique, elle abrite plusieurs bases militaires de la Royal Air Force, puisqu'elle est membre du Commonwealth. Mais ce n'est pas forcément sur elles qu'il faut s'attarder : ces bases ne font pas l'objet d'une contestation particulière (Christchurch International Airport) et sont, pour la plupart, désaffectées depuis belle lurette (Wigram Aerodrome).

Le coeur de la relation éventuelle entre la Nouvelle-Zélande et la mythologie MGS, c'est plutôt l'histoire nucléaire de ce pays. Le premier détail qui saute aux yeux, c'est l'interdiction de la présence de toute arme nucléaire sur le territoire néo-zélandais depuis le milieu des années 1980 (ce qui n'est pas sans rappeller la politique du Japon à cet égard). Cette période coïncide avec l'affaire du Rainbow Warrior : le chalutier (et non pas baleinier...) de Greenpeace qui explosa à Auckland alors qu'il faisait route vers Moruroa, l'un des deux atolls de Polynésie française.

Moruroa a justement été le théâtre d'un grand nombre d'essais nucléaires de 1966 à 1996. En un mot, ce petit coin du Pacifique était le centre de la stratégie de dissuasion nucléaire française à l'époque... et aussi, comme le veut la légende, l'un des probables lieux de naissance du monstre japonais Godzilla, celui qui symbolise "la" bombe à lui seul (ce n'est pas un secret, Kojima est fan de l'abominable lézard géant).

Au sujet de Godzilla, un détail amusant en provenance du Japon : une organisation de défense des créatures marines, et notamment des baleines, dispose d'un navire autrefois nommé "Gojira", avec lequel ils pourchassent agressivement les baleiniers japonais depuis 1977. Dans leur logo, qui osera constater une vague similitude avec celui de MSF ? Big Boss, l'homme de tous les combats, gardien des cétacés à ses heures perdues...?

Les Channel Islands, les îles Marianne, la Nouvelle-Zélande, Moruroa et bien d'autres encore... Trouver un potentiel "ground zero" dans le Pacifique, c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. En tout cas, l'océan de paix figure en bonne place sur la liste des terrains de guerre potentiels du "Next" MGS.

5) Vers le Pôle Sud : entre Terre de Feu et terre de glace

Les côtes les plus méridionales de l'Amérique du Sud, jusqu'à l'Antarctique, forment une zone incroyablement riche en îles. A la frontière exacte entre les plaques tectoniques sud-américaine et antarctique, la Terre de Feu côtoie la terre de glace : c'est aussi là-bas que se trouvent le Cap Horn et le fameux détroit de Magellan qui relie le Pacifique à l'Atlantique.

La région contient véritablement des milliers et des milliers d'îles, sans parler des "phantom islands", ces territoires à la cartographie erronée ou confuse, comme Elizabeth Island.

La concentration de territoires contestés est également impressionnante. Citons notamment les îles Shetland du Sud, tout près de l'Antarctique : aucune souveraineté n'y est définie, et elles sont revendiquées aussi bien par le Royaume-Uni que par le Chili et l'Argentine. En fait, tout signataire du Traité sur l'Antarctique est théoriquement autorisé à les exploiter pour un usage non militaire.

L'une des îles Shetland du Sud attire l'attention en raison de son nom particulier : l'île de la Déception. Au début du XXème siècle, elle a été le quartier général de plusieurs entreprises de chasse à la baleine, notamment norvégiennes, à une époque où les carcasses de cétacé étaient encore "traitées" sur la terre ferme. De 1944 à la fin des années 1960, l'île fut aussi l'une des principales bases de l'opération Tabarin : la présence militaire britannique y était donc importante, et ne fut chassée que par une série d'éruptions du volcan de l'île. Aujourd'hui, seules quelques bases scientifiques peuplent l'île de la Déception.

Au nord-est, dans l'océan Atlantique, on trouve un autre territoire contesté, au point d'avoir été le théâtre d'une guerre argentino-britannique en 1982 : les îles Malouines (Falkland). Cet archipel est un territoire britannique d'outre-mer (au même titre qu'Akrotiri sur Chypre), revendiqué par l'Argentine et composé de deux îles principales séparées par un détroit. Celle de Soledad est la plus grande, et donc celle où la présence militaire britannique est la plus importante, avec une force de défense locale, une base de la Royal Air Force (Mount Pleasant) et un port (Mare Harbour). La présence britannique s'étend dans la région jusqu'à la Géorgie du Sud et les Îles Sandwich du Sud, où d'autres bases militaires sont présentes. 

La Guerre des Malouines fait figure d'événement incontournable si The "Next" MGS se déroule jusque dans les années 1980. De manière anecdotique (ou pas ?), un roman de Pierre Boule, La Baleine des Malouines, se déroule durant ce conflit. Il met en scène la flotte britannique qui, en approche des Îles Malouines, sauve une baleine d'une attaque d'orques. Celle-ci les escorte ensuite et les aide à remporter la victoire. La baleine finit même décorée par la marine anglaise...

6) Moyen-Orient : entre chien et loup

On y jette un rapide coup d'oeil, tout simplement parce qu'il est intimement lié à l'histoire de la saga : le Moyen-Orient cacherait-il un autre "ground zero" ? Ce qui est sûr, c'est qu'il serait le théâtre idéal d'une scène que les fans espèrent depuis longtemps : la rencontre de Big Boss (alias Saladin) et la jeune Sniper Wolf. Pourquoi pas... car s'il y a des renards gris dans le Pacifique, il y a aussi des loups gris ("gray wolf") au Moyen-Orient.

Autre indice qui pointe vers la même direction : dans le trailer de Phantom Pain, une statue est visible à la toute fin, celle de Saladin, l'alter ego de Big Boss. Cette statue existe vraiment : elle se trouve en Jordanie, à Kerak.

Kerak n'est pas vraiment le genre d'endroit qui partagerait les caractéristiques des autres "ground zeroes", mais c'est peut-être le point de départ d'une piste qui mènerait à... une île ? Pourquoi pas celle de Qeshm, entre le Golfe d'Oman et le Golfe persique, dans le détroit d'Ormuz : l'endroit stratégique par où transitent 30% des ressources pétrolières du monde. Un territoire iranien, et un secteur-clé à contrôler pour les Américains, comme le montre l'actualité récente.

Le détroit d'Ormuz est aussi lié à la Première Guerre du Golfe, celle dans laquelle Sniper Wolf devint orpheline, puis rencontra Big Boss. A noter qu'en 1988, une opération militaire américaine de grande envergure est lancée contre l'Iran dans le détroit d'Ormuz (une offensive navale). Nom de code de l'attaque ? "Praying Mantis"...

Qeshm a causé bien des conflits pour sa possession : tour à tour portugaise, hollandaise et britannique, elle a finalement été restituée à l'Iran pour devenir une pomme de discorde entre les Etats arabes autour du détroit. "Enclave pétrolière" plutôt que militaire, elle appartient à un pays qui est dans l'oeil du cyclone en matière de prolifération d'armes nucléaires. Les Etats-Unis soupçonnent aussi l'Iran d'y cacher des missiles de croisière.

Sans grande surprise, l'île de Qeshm se situe à la frontière de plusieurs plaques tectoniques : eurasienne, persique et indienne. Tout un programme... Coïncidence supplémentaire (mais on commence à s'y faire...), le golfe d'Oman est connu pour ses baleines, et notamment la même espèce que notre cher Moby-Dick. Dernière anecdote : Qeshm abrite dans ses mangroves une espèce de serpent aquatique. "Liquid... Snake ?". Un personnage loin d'être étranger à la région.

7) Outer Heaven : une enclave peut en cacher une autre

A l'image de la Mother Base dans Peace Walker, The "Next" MGS pourrait comporter un "hub" central, un QG auquel le joueur reviendrait entre chaque mission. Si le principe de gestion de la Mother Base est repris (au moins dans les grandes lignes), c'est l'occasion rêvée pour Kojima de laisser le joueur construire Outer Heaven, de manière personnalisée, et s'approprier les lieux comme l'aurait fait Big Boss lui-même, en compagnie de Kyle Schneider... en changeant le logo original de la base, si possible (incroyable mais vrai, il apparaît tel quel dans le manuel de la version MSX).

D'après les informations du Metal Gear original, la forteresse d'Outer Heaven est censée être située en Afrique du Sud, "à 200 km au nord de Galzburg", une région fictive inventée par Kojima. Galzburg se trouve, en théorie, quelque part sur la côte sud de l'Afrique : il se pourrait donc qu'Outer Heaven se situe au Lesotho, un pays enclavé au sein de l'Afrique du Sud, à moins de 300 km des côtes les plus proches.

Big Boss aurait donc construit son enclave au sein d'une autre enclave ? Pourquoi pas ! Après tout, le Lesotho est surnommé "le royaume dans le ciel" (en anglais, "kingdom of heaven", ou "heavenly kingdom") par les populations locales. Son relief est très montagneux : il rappelle beaucoup l'une des premières images du Fox Engine, celle où un personnage est accroupi à côté d'un tank.

   

De plus, le Lesotho est situé dans une région au risque sismique croissant. En Afrique, la frontière entre les plaques de Nubie et de Somalie débute dans l'océan indien (non loin, potentiellement, du fameux Galzburg), et continue ensuite jusqu'au nord-est du continent, en passant notamment par le Lesotho et le Mozambique (un autre "ground zero" probable, comme on l'a déjà vu).

Un "monde perdu" au Lesotho, au coeur des montagnes et de la jungle, permettrait sans aucun doute à Big Boss de construire sa forteresse en toute liberté... cette liberté qui résume toute la philosophie d'Outer Heaven, et qui semble être devenue le slogan de Big Boss depuis son aventure au Costa Rica.

Conclusion : "A battlefield you can find anywhere, anytime"

Cet article ne fait évidemment qu'effleurer la profondeur du teasing du "Next" MGS, qui peut être abordé d'une multitude de façons. Mais puisqu'il fallait bien faire un choix, j'ai voulu mettre l'accent sur ces trois choses en particulier :

  • La thématique de l'ogre, bien dissimulée dans le teasing mais qui soutient la théorie des enfants-soldats et entretient l'ambiguité d'une relation entre le projet Ogre et la série MGS (quelle que soit cette relation ! toute hypothèse reste envisageable...)
  • La référence à Moby-Dick, qui laisse imaginer un scénario riche en inspirations littéraires (comme beaucoup d'épisodes de la série) dans lequel Big Boss chercherait à accomplir une quête qui le mènerait à sa perte : la fondation d'Outer Heaven et la traque de Zero ?
  • Les éléments récurrents du contexte des deux trailers, qui forment un réseau de coïncidences suprenantes et pourraient constituer une panoplie d'indices pour deviner les autres lieux de l'action, ou "ground zeroes"

Sans surprise, le jeu de piste de Kojima ne mène nulle part, puisqu'il est encore incomplet. Mais là où s'arrêtent les traces, l'imagination prend le relais : après toute une année de teasing, on peut commencer à se faire une idée de l'allure générale de ce "Next" MGS.

Personnellement, j'y vois quelque chose qui me rappelle les années 1990, les grands jeux d'aventure et RPGs de l'ère 16-bits, de Zelda: A Link to the Past à Secret of Evermore en passant par Chrono Trigger. Quand Kojima déclare qu'il y aura plusieurs "ground zeroes", sous-entendu plusieurs environnements, reliés par un mode de transport aérien, avec du contenu pour plus de 100 heures de jeu... Ca ressemble vraiment à un "pitch" de jeu des "nineties". Et c'est assez rassurant, en un sens. Kojima le "nerd", l'homme qui aurait retardé le planning de sortie de MGS2 parce qu'il jouait trop à Pokémon, n'a pas peur de faire des promesses de contenu, de longévité et de profondeur pour son prochain jeu (au-delà de la richesse technique qui sera forcément au rendez-vous).

A l'image de Peace WalkerThe "Next" MGS pourrait avoir des allures de bon vieux jeu à l'ancienne, tout en garantissant une évolution des codes de la série. Il pourrait être le parfait mélange entre MGS4 (voyage autour du globe, aventure "grand format") et Peace Walker (morcellement du scénario, quêtes annexes, écoulement d'une certaine durée mais liberté de revenir en arrière à tout moment). Bref, un jeu "open-world-open-time" ?

Je n'ai pas cité Secret of Evermore par hasard : l'une des théories du scénario du "Next" MGS veut que Big Boss y traverse non seulement le monde, mais aussi les époques, d'environ 1975 à 1995... depuis la fin de Peace Walker jusqu'au début du Metal Gear original, ce qui préparerait le terrain pour un remake des épisodes MSX (Original Games REmade)*. On se doute bien qu'il n'y aura pas, à proprement parler, de machine à remonter le temps dans The "Next" MGS (quoique...), mais on est curieux de voir comment le gameplay pourrait s'organiser autour de ce concept de longue durée (quelque chose comme dans Zelda: Majora's Mask et sa pléthore de quêtes annexes ?).

"A battlefield you can find anywhere, anytime" : c'était l'un des slogans du premier trailer de MGS4... et ces mots pourraient prendre une toute nouvelle dimension avec The "Next" MGS !

 

 

 

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* La théorie "Original Games REmade" est un rêve de fan pour le projet Ogre. Dans un premier jeu (Ground Zeroes), le joueur construirait ses propres bases d'Outer Heaven et Zanzibar Land, dans la peau de Big Boss. Ensuite, ce contenu pourrait être transféré vers un deuxième jeu, le remake des deux premiers Metal Gear, où le joueur infiltrerait ces bases "personnalisées" en tant que Solid Snake. Alléchant, mais certainement difficile à mettre en oeuvre...