The Witcher 3 jouit d'une excellente réputation, de quoi le catapulter au rang de meilleur jeu de son année 2015, ou en tout cas de meilleur RPG. Et il faut bien admettre que ce jeu à d'excellents avantages pour prétendre au titre.
Commençons par les points les moins critiquables du titre, à savoir pour commencer le Gwent. Un excellent mini-jeu qui ne souffre pas vraiment de défaut et qui a le bon goût de palier au défaut principal de nombre de mini-jeux pourtant excellents, celui de ne pas être en lien avec le reste du jeu, de couper le rythme et de nous « sortir » effectivement du titre. Au contraire le Gwent reste lié avec le reste de Witcher 3, d'abord thématiquement par les cartes aux effigies des différents protagonistes du jeu, mais aussi par les gains obtenus en cas de victoire chez les marchands. Ainsi si je dévalise le stock d'alcool de cerise d'un tavernier pour me faire ma mouette blanche qui va me permettre de faire plus de potions -au rythme de deux pour une nouvelle concoction avancée- je pourrai continuer à en acquérir en battant à plate couture ce saligaud de tavernier qui me vend à prix d'or son alcool à son jeu de carte favori, encore et encore et avec un plaisir non dissimulé. C'est vraiment un très bon mini-jeu.
De même si on peut trouver à redire sur le mixage du son, les musiques étant parfois trop fort par rapport à des voix trop basses, on reste sur du pinaillage. Graphiquement aussi beau que votre carte le permet, le jeu a un peu vocation à impressionner, y compris durant les cinématiques même si on peut noter quelques bugs d'affichage et de modèles. Des modèles qui ont parfois quelque chose de dérangeant et d'étrange durant certaines scènes où les protagonistes bougent beaucoup et changent d'émotion sans parler, ce qui donne un aspect surprenant à quelques scènes. Les dialogues sont excellent. On en reprend pour des heures et des heures, et bon dieu qu'est-ce qu'on en reprendrait avec des situations cocasses, surréalistes par fois et souvent avec une bonne dose d'humour pour faire passer le scénario parfois assez glauque du jeu. Un scénario ma foi efficace, bon sans être excellent et plus porté par son « cast » haut en couleur que par une trame narrative particulièrement palpitante, bien trouvée ou surprenante. On note pourtant cette fois-ci des élans de connerie totale et absolue par certains personnages, Geralt évidemment de par son ubiquité, mais Yennefer moins présente, elle, cumule un nombre non négligeable de pets de cerveau, surtout compte tenu de son statut de sorcière en chef. Ainsi autant cela peut être romantique comme tout, quand on a sous la main un djinn tout puissant et accès à un souhait, et que l'on est à la recherche de notre fille adoptive disparue et pourchassée comme depuis des années par des elfes génocidaires qui portent sur le monde un regard assez froid et sur Ciri assez lubrique, on ne souhaite pas l'annulation d'un souhait qui n'a jamais, jamais, empêché ruptures, tromperies coups de gueules et dans le dos. Il y a de quoi, à chaque mention de ce gâchis de souhait se taper la tête contre un mur. La chose aurait pu facilement été évitée en plaçant scène beaucoup plus tard dans le jeu, et en limitant physiquement le sort à la localisation du Djinn. Comme il aurait été difficile d'amener la chasse sauvage sur ce pic, la requête de Yennefer aurait pu paraître plus censée et moins criminellement stupide.
Nous arrivons maintenant sur les points moins reluisants du jeu, quasiment tous appartenant à une grande famille : le gameplay. Commençons avec le meilleur, le système d'alchimie tient debout et n'est pas mal du tout dans les limitations qu'il impose aux joueurs, tout en restant bien en deçà du système de Witcher 1. Le système d'expérience et de montée de niveau par contre me laisse beaucoup plus perplexe. Geralt est un sorceleur qui devient meilleur dans le meurtre de monstres non pas en tuant des monstres mais en ouvrant des portes et en épuisant des options de dialogues. Ainsi là où un monstre donne une poignée de points d'expérience, les quêtes diverses et variées dans leurs options de tunnel, en lâchent des centaines à chaque étape, qu'on parle à une sorcière où qu'on finisse une jolie balade à cheval. De plus les niveaux relèvent d'une importance extrême. Nous sommes ici dans un jeu dit monde ouvert avec des niveaux et si par malheur un ennemi dépasse le niveau de notre protagoniste par plus de cinq il obtient un bonus absolument gigantesque et presque ridicule de points de vie, rendant l'exploration un brin plus compliquée, limitée, et chiante. D'autant plus que les niveaux sont distribués par rapport à la zone d'apparition du monstre et non sa nature, ainsi nous avons des goules deux à trois fois plus forte qu'un Katakan, vampire supposé être un vrai défi pour un sorceleur, les goules étant normalement plus un ennemi commun et faible. Le bât blesse évidemment plus face aux ennemis humains, il est surprenant de voir un bandit torse nu encaisser nombre de coups d'épée, car ses points de vie ne sont pas lié à son équipement ou toute forme de bon sens, mais bien à un niveau abstrait déconnecté du jeu.
En effet un Geralt niveau 1 fait parfaitement sens dans The Witcher 1, puis qu'il est amnésique, perdu, et revient d'expériences lourdes, traumatisantes et ayant laissé de nombreuses séquelles. Dans The Witcher 2, nous abandonnons le Geralt que nous avions forgé pour retrouver un Geralt plus proche des romans de Sapkowski, et au niveau gameplay nous abandonnions celui de The Witcher 1 pour un gameplay plus basé sur l'action, voire comme diraient certains plus manette. Il fait donc sens de reprendre Geralt au niveau 1. Dans The Witcher 3 par contre, Geralt sort non seulement des aventures de The Witcher 1, où il a bravé son lot de vampires, loup-garous, membres de la chasse sauvage, ainsi que d'autres mutants aux pouvoirs comparables au sien et un guerrier mage avec des pouvoirs analogues à de ceux de Ciri, mais aussi des ennemis de The Witcher 2, d'autres sorceleurs qui notent au cours du jeu que les capacités de Geralt reviennent et qu'à la fin il retrouve tous ses talents d'antan. Alors quelle pirouette scénaristique cette fois-ci nous justifie un Geralt niveau 1 à qui il faut encore réapprendre à parer des flèches -une capacité qu'il avait de base et gratuitement dans le 1- et qui en plus prend maintenant une des 12 places de talents limitées, ce qui force Geralt à être plus spécialisé que jamais, surtout en comptant l'impact des mutagènes dont les bonus sont renforcés avec des compétences qui leur sont associé au niveau de la couleur et force le joueur à passer à côté des deux tiers des capacités de son protagoniste. Ainsi pour atteindre ma capacité finale que je convoite dans l'arbre de compétences du guerrier, je dois mettre 30 points dans d'autres compétences, beaucoup ont 5 ou 3 niveaux, ce qui veut dire que je suis obligé d'investir ces trente points dans sept compétences différentes, avant d'obtenir la huitième -accessoirement celle qui m'intéresse- et y mettre joyeusement 5 points. J'utilise ainsi, pour ne pas avoir gâché de points, 8 sur les 12 emplacements disponibles. Je peux avoir beaucoup d'affection pour CD Projekt Red, mais qui a playstesté ce système de level up et trouvé que c'était une bonne idée. D'aucuns -racistes- diraient des Polonais ayant forcé sur la vodka, mais nous sommes dans une review de qualité et alors nous ne tomberons pas aussi bas. Surtout que l'incompétence, non disons plutôt les choix discutables sont un peu comme les catastrophes nucléaires : Ils ne s'arrêtent pas aux frontières.
Il en reste néanmoins que c'est un système assez mauvais surtout pour représenter un sorceleur qui est supposé utiliser armes, magies, et connaissances alchimiques de concert. Il est également temps de parler directement du plus gros problème de gameplay du titre, outre les règles de frame d'invincibilité sur la roulade, qui sont complètement démentes et que je ne décrirai pas ici, mais je vous conseille une petite recherche Youtube, pour peu que vous parliez anglais vous allez vos taper une bonne tranche de rigolade, ramenez des amis et des bières. Donc, le plus gros défaut : Geralt a la maniabilité d'un ours léthargique sur des patins à glace. Là où dans un Resident Evil il s'agit clairement d'un choix de game design pour porter l'accent sur l'horreur dans les premiers titres, je tiens à rappeler que faire demi-tour avec Léon de Resident Evil 4 est instantané pour peu que l'on appuie sur arrière et B, autant avec Geralt reculer peut revenir à faire demi-tour avec un 38 tonnes, tant au niveau de la rapidité, que de la boucle que décrit le sorceleur, ou être quasi instantané ça dépend des humeurs du Sorceleur. Restons honnêtes néanmoins, Geralt est bien plus maniable hors de combat et en intérieur. Une belle jambe. Ces problèmes de maniabilité rendent nombre de situations horriblement frustrantes, qu'on parle de course de chevaux et cette Ablette qui s'arrête et bute sur chaque bute ou des séquences de plongée sous-marine, où se tourner vers un coffre flottant accroché à un baril relève de l'exploit, ou ce magnifique pont sur une des îles Skelllige où au lieu de sauter par-dessus le trou, Geralt plonge à travers pour aller chercher l'eau en contre-bas me forçant à abuser des glissades et roulades pour traverser. Ces différents manquements hors de tout combat peuvent néanmoins relever du burlesque, Geralt poussant un petit cri de douleur rauque après avoir vainement tenté de plonger à travers un bateau.
Mais parlons justement du système de combat. J'ai mentionné des règles opaques au niveau des frames d'invincibilité de la roulade, ou de ce qui détermine si Geralt va oui ou non faire un demi-tour convenable, cette instabilité au niveau des règles trouve son exutoire le plus pervers au moment de l'affrontement avec les multiples ennemis du jeu. Ainsi Geralt est lent. Entrer en mode combat ralentit le sorceleur à moins de se mettre à courir et il est ainsi illusoire d'espérer rattraper un ennemi. Geralt est également horriblement lent au niveau de ses attaques. Les pirouettes c'est très bien mais souvent on voudrait que le sorceleur mette simplement sa ferraille entre lui et l'ennemi au lieu de valser avec, et évite ainsi que ma charge, ne soit interrompu par la contre-attaque d'un noyeur qui a déclenché son mouvement bien après le mien. Nous retrouvons toute la beauté du système de combat de The Witcher 2, où il faut gérer la non-gestion des distances de combat par Géralt, qui va tourbiloler pendant deux heures plutôt que de faire un pas en avant, ou au contraire refuser un pas en avant quand il le devrait, m'empêchant d'enchaîner une attaque lourde sur une parade parfaite dans certaines situations, le coup leur rasant les moustaches à la place. De plus, le système de combat est assez limité si l'on occulte l'utilisation de signes. Ainsi mon maître combattant avec 35 points dans ses huit compétences de combat n'a pas de mouvement brise-garde, les coups lourds s'enchaînant moins vite que la régénération de l'endurance ennemie, je dois soit partir sur un contre soit sortir Aard pour briser une garde. Outre le fait que j'ai mieux à faire de mon endurance et qu'un contre en situation de surnombre d'ennemis est assez risqué, et que je ne pourrai pas trop enchaîner l'ennemi avant de déclencher sa reversal, si j'ai mis trente cinq points pour avoir un maître épéiste, il est dégoûtant d'avoir à se baser sur les signes pour effectuer des actions aussi simple. Soit on force le joueur à se bloquer sur un type de gameplay, soit on le force à utiliser armes, signes et potions de concert. Pas les deux à la fois. Non. Ce n'est pas du bon game design. Ceci dit, les coups de grâce de The Witcher 1 reviennent, et c'est un plaisir de les sortir, quand ils marchent. L'arbalète est une addition consensuelle mais agréable, si ce n'est qu'elle brise toute immersion en tirant sous l'eau, et en passant de dégâts minimes à des coups qui tuent en un coup selon si on tire sous l'eau ou non.
Est-ce que The Witcher 3 est un monde ouvert ? Il propose une très grande zone à parcourir, c'est vrai, mais ne l'exploite que très peu. On se rend sur un lieu de quête, on active les sens de sorceleurs, on tape deux trois nigauds, on taille une bavette à un PNJ, on fait un choix moral, et on part ré-enchaîner exactement la même séquence d'actions encore et encore. Une fois qu'on entre dans une quête on ne peut que suivre un couloir, ainsi le monde se fait large menu avec choix de destination, mais découpé en niveaux linéaires soporifiques -si ce n'est encore une fois pour les dialogues qui comme toujours relèvent le niveau. Les développeurs ont clairement cherché à faire un monde vivant, grouillant, qui évolue avec le joueur, comme le montrent les différentes images sur internet où l'on voit une prisonnière condamnée dans une quête sur le lieu de son supplice, ou le seuil de porte de maisons barré de sel après une réplique de Geralt. Pourtant force est de constater que non, le monde n'évolue pas, en tous cas pas au niveau où le joueur peut avoir un impact. Les nids de monstres détruits ne sont pas reconstruits, ou déplacés ailleurs sur la carte, il n y a aucun renouvellement au niveau des « points d'intérêt » -et je ne suis pas loin de les taxer de publicité mensongère sur ce front- le monde est statique. S'il est plein au démarrage du jeu, il se vide petit à petit, avec très peu d'éléments aléatoires pour rehausser notre intérêt pendant nos balades à cheval à travers le monde. Un monde qui n'est pas, ou très peu interconnecté. Quand nous recherchons la femme du Baron Sanglant, et que l'on apprend sa disparition aux mains d'un Fiellon qui a au passage couché bon nombre d'arbres, je me dis qu'il doit y rester une trace, une piste à remonter. Mais non, le monde n'a pas une présence persistante et cohérente qui permettrait de remonter la piste du Fiellon, nous sommes encore et toujours enfermés dans la linéarité des quêtes.
Étrangement, et pour un joueur avide de RPG comme je le suis croyez-moi que cet avis me surprend, ce sont les restes de mécaniques RPG qui nuisent justement au titre. On gagnerait beaucoup à abandonner cette sombre affaire de niveaux et de progression en puissance du personnage principal. Surtout qu'elle est maintenant cloisonnée et limitée par les gains d'expérience des quêtes. Nous avons déjà presque une progression par palier narratif et plus par niveau. Et si dans un RPG tour par tour, passer une demi-heure à encaisser des coups et taper le boss pour le tomber est acquis, normal et pas particulièrement désagréable, ça l'est dans The Witcher 3. D'autant plus que Geralt n'est clairement pas supposé encaisser un bon nombre d'attaques, le jeu est un RPG Action, mais il gagnerait à abandonner ses dernières prétentions de RPG pour adopter un bon gameplay basé sur l'action, tout en gardant ses points forts au niveau de l'alchimie, de l'artisanat, des personnages et des dialogues qui sont clairement les points forts du jeu. Sans parler du Gwent. Le Gwent est souvent le meilleur moment d'une session de The Witcher 3 d'après mes quelques 150 heures sur le jeu.
Tout compris, The Witcher 3 : The Wild Hunt se stabilise vers un bon 6/10. Ou un 13/20 pour l'amour des dialogues parfois tordants, ou des simples oeillades entre les différents protagonistes quand le dialogue corporel marche correctement dans les cinématiques, mais on ne peut décemment donner une meilleure note à un jeu qui est passé à côté de son système de jeu.
Qu'on me traîte d'Ayatollah du Diktat du Gameplay, mais porter aux nues un jeu dont l'aspect vidéo-ludique est le défaut me semble un concept quelque peu étrange.
Edit: New Game + ne relèvant vraiment que d'un intérêt très limité car nous devons à nouveau subir de longs dialogues que nous connaissons maintenant sur le bout des doigts, des temps de chargement impassables, la perte de notre deck de Gwent (et c'est bien là le point le plus négatif du new game +). La rejouabilité du titre est complètement absente, et me ferai même baisser la note à un 4/10 bien senti s'il ne s'agissait pas là d'un DLC complètement optionel, mais qui du coup perd énormément de son attrait.