Cela fait plusieurs mois que j'ai besoin d'exprimer mon ressenti sur l'industrie. Une période suffisamment longue durant laquelle elle ne semble plus nous faire rêver, tant plus rien d'innovant ne semble arriver à l'horizon. Je trouve ici un moyen plutôt accessible de l'exprimer, par le biais d'un premier texte, comme un bilan d'étape d'un parcours de joueur qui dure depuis plus de 20 ans, et pour encore quelques temps je l'espère.

Peut-être plusieurs d'entre vous penseront qu'un autre joueur blasé de vieillir et trop nostalgique vient cracher son venin sur les nouveaux jeux, les nouvelles consoles, auxquels il n'a plus de temps à allouer parce que la vie nous offre par ailleurs d'autres préoccupations. Bien qu'hypothèse plausible, j'aimerais que vous excluiez ce biais de raisonnement. Certes, j'ai 28 ans, un travail, une vie de couple et dès lors un temps très limité pour jouer aux jeux vidéo. En dépit de cela, je continue de suivre l'actualité vidéoludique attentivement. Malheureusement elle me désole. Et ce n'est pas la crise sanitaire qu'il faut accuser (bien que responsable de chamboulements de calendrier) ni même le traditionnel début de génération qui a bien du mal à passer la seconde (ce fut le cas à l'époque de la PS2 après tout). Il y a une difficulté plus profonde mais dont on se rend compte de plus en plus.

En quelques lignes, je vais essayer d'extérioriser un avis concernant la raison pour laquelle selon moi l'industrie du jeu vidéo (comprendre les grands acteurs à l'origine de sa puissance actuelle - 1ère industrie culturelle en poids économique) est en train de tomber en panne et doit urgemment se remettre en question. Pour faire simple, l'industrie n'innove plus.

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Au-delà du danger des coûts de production (souligné par Shawn Layden - vétéran du secteur qui fut chez Playstation pendant 32 ans) qui en effet peut tarir la prise de risque, la créativité et l'innovation, l'autre cause qui me semble à identifier est que le jeu vidéo est tout simplement arrivé à l'âge adulte. Il semble être arrivé à une certaine maturité, peut-être une prudence ou au contraire une assurance, qui l'empêchent de se remettre en question, surtout quand on voit le chemin parcouru. Car en effet, je me plains du manque d'innovations, mais bon dieu qu'il y en a eu. Et c'est justement pour cela que je compare le jeu vidéo à ce que l'on peut considérer comme le stade adulte : si l'enfant a tout à apprendre, est émerveillé par les découvertes, l'adulte par son âge et son expérience, sait faire plein de choses et de mieux en mieux. Mais dans l'industrie du jeu vidéo, le "mieux", on le perçoit de moins en moins ; quant aux découvertes, il n'y en a presque plus.

Or, tout comme le cinéma qui a connu des transformations charnières (ajout du son, technicolor, cinémascope, 3D stéréoscopique, etc.), le jeu vidéo en a connu d'autres aussi phénoménales, et les dernières à mon humble avis commencent à dater. Je les situe au niveau de la 7ème génération de machines, c'est-à-dire l'époque de la Playstation 3 et de la Xbox 360 (j'exclus délibérément la Wii qui disposait d'une manière de jouer unique pour rester sur les consoles plus traditionnelles). Il s'agit sans doute pour moi de la dernière génération de machines innovantes, qui constitue l'aboutissement des mutations et des tâtonnements engendrées par la passage à la 3D (génération PS1/Saturn/N64). Comprenez donc que je regrette justement qu'il n'y ait aujourd'hui (et depuis 10 à 15 ans) plus de tâtonnement, plus aucune hésitation dans les choix créatifs sous-jacents à la construction d'un jeu vidéo. En effet, l'arrivée de la 3D a été un tel bouleversement, au-delà même des graphismes. Il a fallu réinventer des univers, des manières d'interagir avec un environnement plus vaste. Le résultat est que chez les grands acteurs du jeu vidéo, tout est normé : pour faire un FPS, il faut faire du Call of Duty ; pour faire un monde ouvert, s'inspirer de GTA ; pour un TPS, prendre exemple sur Uncharted. Plus globalement, il semblerait que tous les genres de jeux vidéo aient été explorés.

Un exemple symptomatique. Mon ennui profond face à Red Dead Redemption 2 (le premier m'ayant pourtant émerveillé en 2010). Ou encore The Last of Us 2. Deux séries qui illustrent l'absence totale d'innovation s'agissant notamment de la manière de jouer, alors que pourtant une décennie ou presque sépare à chaque fois les deux volets. A l'époque PS3, j'ai adoré les Uncharted, pour leur histoire et leurs graphismes. Ces deux derniers aspects étaient innovants à l'époque, même si le gameplay apparaissait déjà classique. Cependant, à côté de ces blockbusters que l'on plébiscitait (là est notre part de responsabilité dans la suite aussi), certains studios tentaient d'autres choses, et pas seulement les plus petits et indépendants. Je pense par exemple à Mirror's Edge, très bon jeu de parcours sans pareil, financé avec les gros billets verts d'Electronic Arts. Aujourd'hui, ce serait l'exception qui confirme la règle de l'uniformité. Car où sont-elles aujourd'hui ces tentatives de faire autre chose? Certainement pas chez les gros éditeurs en tout cas. Pour ces derniers, avec les deux jeux que j'ai cités, l'innovation de gameplay a disparu et constitue un redit de ce qui est fait depuis des années. Il en résulte une intense lassitude puisque notre appétit pour la découverte de nouveaux horizons créatifs n'est pas rassasié. A cela, vous ajoutez des évolutions graphiques de plus en plus minimes (mais coûtant énormément en ressources humaines et techniques), qui contrastent avec les progrès considérables réalisés dans les années 2000. Le résultat est un sentiment d'immobilisme, de cercle fermé, de boucle infernale. D'ailleurs, en reprenant à nouveau l'exemple de Red Dead Redemption ou de GTA, il est significatif de constater que là où la 3D et les possibilités qu'elle laissait entrevoir en termes de monde ouvert nous faisait tous fantasmer il y a 20 ans, nous en sommes aujourd'hui quasiment à demander moins de mondes ouverts, tant ils ne nous émerveillent plus (le principal défaut à bannir à mon avis étant le guidage et le dirigisme permanents installés dans ce type de jeu avec les cartes, les radars, etc.).

Il subsiste bien sûr des voies de progression en termes de graphisme et d'image. En la matière, la réalité virtuelle d'une certaine façon apparaît comme un chemin qui n'est pas encore exploité et qui a des chances de nous étonner.

Pourtant sur d'autres volets, l'industrie dispose d'un boulevard de techniques inachevées ou à parfaire. Gameplay, intelligence artificielle du monde, etc. Au lieu de travailler comme le fait le cinéma à créer de nouvelles histoires (l'époque étant malheureusement plutôt aux partenariats avec des plateformes de streaming ou des histoires de super-héros qu'à la création de licences vidéoludiques originales) ou de dépenser toujours plus pour améliorer la moindre texture, les créateurs et éditeurs devraient bien davantage se concentrer sur la spécificité du média, à savoir la manière de jouer à un jeu, la capacité à plonger le joueur dans un univers intelligent et cohérent, qui nous donne la pleine illusion d'être embarqué dans un autre monde, dans une autre vie parfois.

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J'en ai terminé pour aujourd'hui. Encore une fois, il ne s'agit pas de me lamenter sur ma vie de joueur. D'ailleurs, il est toujours bon de rappeler que les paragraphes précédents s'appliquent essentiellement aux grandes entreprises du jeu vidéo (les jeux indépendants apportant des fenêtres de respiration parfois notables). Mais n'oublions pas que ce sont ces entreprises, du moins en occident, qui ont placé le jeu vidéo là où il est dans le milieu culturel, et continueront à le soutenir et à en tirer profit encore longtemps. Espérons seulement que ce soit dans une meilleure direction !

Que vous vous retrouviez un peu, beaucoup, ou pas du tout dans ce texte, faites-moi part de votre ressenti dans les commentaires. Merci de votre lecture et de vos éventuelles contributions !

J'espère être en mesure de publier d'autres articles sous peu, en lien avec mon parcours de joueur ou l'actualité.