Il est des films imparfaits, malades, cabossés, et qui pourtant sont de véritables mythes. "Le Treizième Guerrier" de John Mac Tiernan fait parti de ces films, dont l'aura perdure malgré les fêlures. La légende s'est bâtie en partie autour de la production chaotique. Faut dire qu'avec deux capitaines à bord du navire, garder le cap n'était pas évident. Deux hommes se sont opposés tout au long de la production : le réalisateur Mac Tiernan et le producteur (et auteur du livre dont est adapté le film) Crichton. Deux fortes têtes qui se battus pour imposer leur vision du film.
 
On attaque direct avec ce qui obsède la plupart des cinéphiles, une version directors's cut existe-t-elle ? Oui et non... On sait que le père Crichton a effectué des coupes par rapport au montage de Mac Tiernan. Mais si on regarde le script originel (dont les scènes ont été tournées), le film actuel est coupé d'une quinzaine de minutes. Ces scènes se contentent de rallonger certaines séquences, dont la première partie en Orient. Malgré tout, le réalisateur est très content du résultat et n'a pas l'intention de remonter une autre version. Donc nous avons ici, ce qui semble être le résultat final. Et on ne va pas s'en plaindre.
 
Et quel résultat ! Putain que ça fait plaisir de voir un film tourné dans des paysages réels, sans CGI à l'extrême, donnant quelque chose de brut, de sauvage. L'utilisation de la lumière naturelle offre au film, une force unique, je pense notamment aux batailles éclairées seulement par des torches. La photographie sombre donne au film une beauté noire et une immersion dans ce monde crasseux et poisseux. Il y a cette recherche de la réalité qui se retrouve même dans les cadrages de la caméra. Pourtant, le réalisateur n'oublie pas de jouer avec les codes de l'Heroic Fantasy, permettant de rendre iconiques certaines plans et les héros. Jouant avec la brume, le mystère, le fantastique.
 
Cette schizophrénie se retrouve aussi dans le récit, dans la démarche de la construction du héros entre autres. Ahmed Ibn Fahdlan peut être vu comme un personnage secondaire qui contemple le récit. C'est un passeur qui raconte une histoire, celle de Buliwf, roi viking. Pourtant c'est sur cet érudit de l'Orient que se concentre le film. Cet homme qui doit muter en guerrier pour être l'homme qu'il aurait dut être. Mais ce n'est pas le héros invincible tel le viking Buliwf. Mac Tiernan poursuit sa campagne de démolition d'iconisation des héros commencé avec Die Hard. Ahmed Ibn Fahdlan doit trouver un équilibre malgré ses failles pour devenir un guerrier. Les héros surpuissants n'ont plus leurs place, ils se doivent d'avoir leurs doutes et leurs peurs.
 
 
 
 
De l'action, il en est question ici. Notre héros, diplomate, est désigné par un oracle pour faire partie des douze guerriers qui doivent accompagner Buliwf. Cette troupe doit aller combattre des créatures qui ravagent les villages vikings. Autant dire qu'on aurait dû s'attendre à ce que cela gicle de partout... Bah manque de bol, l'action y est réduite au minimum. Les scènes de bataille se comptent sur les doigts de la main et durent moins de 4 minutes chacune. Ceux qui s'attendaient à un torrent de violence devront repasser un autre jour.
 
"Le treizième guerrier" est surtout un récit anthropologique sur la rencontre entre trois peuples, trois cultures, et trois entités mystiques différentes. Il ne s'agit pas là de métissage ni de refus. Il est question de compréhension.
 
Je vous ai parlé de la bande son ? Jerry Goldsmith fournit un boulot remarquable. Une musique épique qui retranscrit à merveille cette épopée qui mélange plusieurs cultures. Pourtant, ce n'était pas du tout le choix de Mc Tiernan. Il a fait enregistrer Graham Revell qui donne à la musique des accents tribaux. Mais Crichton, ça ne lui plaît pas. Et comme c'est un mec cash, il supprime entièrement la bande son pour en avoir une plus traditionnel. Avons nous gagner au change ? N'ayant pas put écouter les musiques de Revell, je ne serais vous le dire. Mais le score de Goldsmith est jubilatoire, donc on ne se plaindra pas.
 
Les failles du film tiennent surtout à sa production. Le réalisateur, assez échaudé par ses rapports avec le producteur, ne veut pas s'embarrasser avec ce film. Si bien, qu'il refuse d'en faire la promotion. Tout comme certains acteurs (dont Omar Sharif qui a vu son rôle se réduire à peau de chagrin). Le film est mal aimé par ses créateurs mais aussi par le public. Tant le film prenait tout le monde à contre pied, ne correspondant pas aux attentes du public. Hé ouais, en déplaise tous les pseudos critiques à pipes (vous savez, ceux qui vous regardent avant de se lancer dans une longue tirade d'un obscur auteur russe tué par des musaraignes sur le bord de la route, tout en fumant), mais le film est bien plus malin qu'il n'en a l'air. Plusieurs niveaux de lectures rendent le long-métrage plus riche et plus intense. Mac Tiernan nous offre un film d'action qui n'en est pas un. Le réalisateur approfondie ses réflexions sur la nature du héros moderne. Bon au final, ce n'est pas un film cabossé ou malade. Oubliez ces conneries ! "Le treizième guerrier" est juste un putain de film !