La génération de consoles PS3-Xbox360-Wii peut être considérée comme lacunaire en matière de J-RPG de qualité. S'il fallait comparer la situation actuelle à celle de la période de la SNES, on pourrait utiliser le terme de "vide". Nous avons eu certes quelques RPG ici et là mais rien de bien exaltant, et Xenoblade Chronicles vient à point nommé. Il aura fallu suer sang et larmes pour que ce jeu arrive dans nos vertes contrées, et ce grâce à l'Operation Rainfall, pétition lancée aux Etats-Unis pour que les trois grands RPG made in Nintendo, à savoir Xenoblade Chronicles, The Last Story et Pandora's Tower, soient traduit et soient localisés. Et Nintendo ont bien fait, car Xenoblade est bel et bien LE mastodonte de notre génération.

On pose un décor original, un monde constitué de deux titans, Mekonis et Bionis, engagés dans un combat sempiternel et tombés au même moment, et qui font apparaître la vie sur leurs carcasses. Sur Bionis, des êtres de matière organique naissent, sur Mekonis, ce sont des êtres mécaniques. Ces créatures se livrent un combat sans merci, Bionis étant constamment victime d'attaques répétées de Mekons, soldats de Mekonis. Le héros, un jeune garçon se prénommant Shulk et ayant la vingtaine se voit être le porteur de la lame de Bionis, Monado, lui seul peut la contrôler, et Monado seule peut briser l'armure des Mekons. Lors d'une attaque surprise des Mekons dans la colonie où vit Shulk et ses amis, Fiora, amie de Shulk et plan cul potentiel se fait tuer par les griffes du Facia Noir. Shulk décide alors de se venger, et pour cela, d'arpenter le vaste monde qu'est Bionis pour se rendre sur Mekonis dans le but de détruire tous les Mekons grâce à Monado et au pouvoir de prescience qu'elle lui a octroyé. Et là, on se détache complètement du scénario classique et niais du RPG japonais, car la seule motivation de Shulk et des autres protagonistes qu'il rencontrera est la vengeance. Pourtant, lorsqu'on connaît l'histoire du studio Monolith Soft, cela n'est guère surprenant, car certaines personnes de Monolith Soft travaillaient au départ chez Squaresoft sur Xenogears, et la vengeance était également le moteur du scénario dans lequel Fei Fong Wong évoluait. La comparaison ne s'arrête pas là, mais nous y reviendrons plus tard.

La réalisation de Xenoblade Chronicles est tout simplement majestueuse, certes elle pousse la Wii dans ses derniers retranchements au niveau graphique, tout comme Shadow of The Colossus l'a fait sur PS2, mais le rendu peut très bien être qualifié de beau. Des couleurs extrêmement bien choisies pour chaque lieu, une gestion irréprochable de la luminosité selon le cycle jour-nuit, des maps toutes plus gigantesques les unes que les autres, des environnements incroyablement variés, bref, du très haut de gamme. Les graphismes n'ont jamais été d'une importance capitale pour moi dans les RPG et dans le jeu vidéo en général, alors ce que je dis n'est peut-être pas totalement objectif. Ce qui a toujours compté dans un RPG, c'est le gameplay, quel que soit le type de RPG, si la jouabilité est mauvaise, le jeu est mauvais, et ce n'est pas le cas de celui-ci.

Xenoblade propose un système de combat en temps réel, mais comme Final Fantasy XII, c'est pour moi du temps réel déguisé. En effet, la rencontre avec les monstres ou les ennemis ne passe pas par un écran de transition, le combat s'enchaîne directement une fois que notre groupe est repéré. S'affichent alors des commandes au bas de l'écran qui représentent les différentes actions que peut réaliser notre personnage : magie de soin, de protection, d'augmentation de l'attaque ou de la rapidité. Des actions très variées donc mais qu'il ne faut pas utiliser comme on le souhaite car il y a un temps de recharge après l'utilisation de chaque commande et c'est pour ce la que je dis que c'est du temps réel déguisé, c'est en réalité du tour par tour avec une jauge ATB cachée, car au-delà de l'attaque basique qui ne nécessite aucune commande car se fait automatiquement par le personnage, il faut attendre que les autres commandes soient rechargées pour pouvoir agir. Ces différentes actions que l'on peut utiliser ne sont pas toutes directement en notre possession, il va falloir aller les chercher en accomplissant des quêtes annexes ou en tuant un monstre en particulier. Puis une fois que ces actions sont acquises, il va falloir les améliorer en répartissant les PA reçus après un combat au niveau de ces actions. Chaque action nécessitera un grimoire pour pouvoir passer au palier supérieur, sachant qu'il y a trois paliers : basique, intermédiaire et avancé. Ces grimoires sont eux aussi à récolter dans des quêtes annexes ou à acheter chez les marchands. En parlant de marchands, on peut aborder ici un autre point fort de Xenoblade : l'équipement. Oui, contrairement aux J-RPG classiques, le changement d'équipement se voit visuellement sur nos personnages, et le changement d'équipement modifie bien évidemment les statistiques nos personnages. On peut par ailleurs améliorer ces statistiques en greffant aux pièces d'équipement des gemmes qui ne sont là que pour augmenter leur efficacité. Ces gemmes sont à recueillir sur les monstres, en réalisant des quêtes annexes ou en récoltant des cristaux d'éther et en les affinant.

Pour en revenir au système de combat, il se trouve enrichi par le pouvoir de prescience de Shulk : contre les boss, il va y avoir des séquences pendant les combats où on va avoir l'occasion d'anticiper une attaque mortelle ou causant de gros dégâts, une jauge apparaît alors en haut de l'écran indiquant le temps qu'il nous reste pour mettre en place une combinaison afin de parer l'attaque du boss. Une particularité dans ce RPG qu'on aurait pu au départ considérer comme étant du flan, mais qui se trouve parfaitement intégrée au gameplay du jeu, car non seulement ce pouvoir de prescience sert de ligne directrice au scénario, mais il reste un véritable atout lors des combats et pendant certaines quêtes annexes.

J'ai beaucoup parlé de quêtes annexes mais sans vraiment préciser en quoi elles consistaient. Et bien Xenoblade propose un monde très vaste, avec des environnements extrêmement variés en allant des plaines jusqu'aux montagnes enneigées en passant par une jungle et une mer, c'est un open world, comme on dit. Et nous allons rencontrer au fil de nos pérégrinations des PNJ dans des villes, des villages ou tout simplement sur le bord du chemin, qui vont nous demander de leur rendre un service. L'appel à une quête est représenté par un point d'exclamation blanc au dessus de la tête des PNJ concernés, on entame un petit dialogue où ils nous expliquent les tenants et les aboutissants de la quête et on y va ! Lorsque la quête est terminée, elle est automatiquement validée ou parfois il faut revenir au PNJ qu'on peut repérer grâce à un point d'exclamation rouge. Alors, contrairement à Final Fantasy XIII qui ne proposait que des quêtes de chasse, Xenoblade est bien plus fourni. Certes il y a des quêtes d'élimination de monstres, mais aussi de recherche d'objets, de discussion avec d'autres PNJ, des quêtes très longues qui s'enchaînent dans une suite logique et qu'on ne regrette pas d'avoir fait. Jamais on ne se dit « ah, j'ai perdu pas mal de temps sur cette quête et au final, c'est tout ce que j'ai », non car la récompense est au niveau de l'effort fourni, à cela s'ajoute un gain de PA et d'XP non négligeable. L'accomplissement de certaines quêtes peut également avoir un impact sur le déroulement de quêtes futures.

Après avoir parlé du système de quêtes annexes, je pense qu'il est nécessaire de faire un bilan sur la durée de vie : comptez 70 à 80heures pour faire le jeu en ligne droite, ajoutez à cela 40 ou 50 heures de quêtes annexes, d'exploration et de discussion. En somme, un véritable RPG, même si je lui reprocherais d'être un peu trop facile, car oui la baisse de la difficulté semble être à la mode dans les RPG actuels, et dans le jeu vidéo en général. Dans le cas de Xenoblade, cette facilité s'illustre par le fait que les heures de levelling, séquences obligatoires dans tout RPG qui se respecte, ne sont pas très nombreuses. On est loin des Final Fantasy de la SNES où il fallait généralement leveller 3 à 4 bonnes heures entre le village et le donjon pour espérer être un minimum à l'aise devant le boss. Ici, on gagne de l'XP en atteignant des lieux, en découvrant de nouvelles zones, en accomplissant des quêtes annexes qui ne nécessitent même pas de combats. Un gros défaut pour ma part, car il dénature la figure du RPG méritant, celui il fallait en vouloir pour être satisfait. Pourtant, ce défaut se trouve rapidement justifié car il sert à entretenir une narration rythmée de bout en bout, à ne pas oublier les événements antérieurs, à servir de fil conducteur efficace entre chaque cut-scene. Ces différentes cut-scenes sont essentiellement des phases de dialogues entre les personnages ou servent à annoncer des évènements importants.

Xenoblade se trouve être efficace dans ce que j'appellerai le cœur d'un RPG, cet élément qu'aucun autre genre ne peut fournir, et c'est en cela que le RPG est le genre noble du jeu vidéo, je parle bien évidemment de l'émotion. On va aborder ici un aspect paradoxal de Xenoblade, car l'émotion qu'il nous fait éprouver ne vient pas du scénario ou des liens entre les personnages ou de leurs histoires respectives, elle vient de l'OST. Les musiques composées par Yoko Shimomura (Kingdom Hearts, Seiken Desnsetsu, etc...) sont tout simplement sublimes, avec un tel niveau de composition on peut clairement affirmer que l'OST est un pilier de ce jeu. Les différentes pistes sont toutes adaptées aux situations et lieux rencontrés: dramatiques, mélancoliques, épiques, joyeuses, chaleureuses. Chaque piste nous fait ressentir une émotion particulière et il peut nous arriver de nous attarder quelques instants sur un lieu pour prendre le temps d'apprécier chaque mélodie. Et, travail de titan oblige, les musiques changent en fonction du jour et de la nuit, chaque map a donc deux musiques différentes et là, je dis respect ! Tout simplement.

L'histoire, comme je l'ai dit prend place dans un univers original, le scénario est calibré au millimètre près jusqu'à la dernière minute, on ne se lasse pas de voir nos compagnons explorer le monde pour venir à bout de leur quête. Au final, nous contrôlerons six personnages, chacun ayant sa propre psychologie et ses propres motivations. Mais ce qui fait la force de Xenoblade, c'est que le scénario ne se concentre nullement sur les personnages, mais sur le monde qu'ils explorent, les personnages ne servent que d'illustration à la guerre qui oppose Mekonis et Bionis. Je ne vais pas entrer plus en détail dans le scénario au risque de spoiler les personnes qui liront cet article, mais je peux vous assurer que les rebondissements sont certes peu nombreux, mais très bien placés et très bien justifiés. Les questions soulevées par le scénario de Xenoblade sont au départ très basiques, on ne voit pas plus loin que le bout du monde (façon de parler), puis elles tendent à s'élever vers une réflexion plus métaphysique, plus religieuse. Et c'est là la patte de Monolith Soft : dans la plupart de leurs jeux, la question de la religion, de la croyance en un être supérieur qui déterminerait à l'avance notre destin a toujours été remise en cause. Dans le cas de Xenoblade, la réflexion, qui se trouve être en somme une affirmation porte sur le fait que le destin n'est pas écrit, que c'est à nous de changer l'avenir et que personne d'autre ne fait nos choix à notre place. Un refus du déterminisme exacerbé qu'ils illustrent en s'attaquant à la figure du Dieu unique. Je ne vais pas plus m'étendre que cela, je pense déjà en avoir trop dit, je vais plutôt laisser les joueurs se faire leur propre idée du scénario et des questions qu'ils soulève car ce que je dis n'est que ma propre interprétation de la narration, ce n'est que mon avis, il ne s'agit nullement d'une vérité générale ou un copié-collé d'une déclaration des développeurs de Monolith Soft. Il n'y a qu'un seul avis qui compte, c'est le vôtre.

En bref, Xenoblade Chronicles est le RPG qui nous a prouvé que le J-RPG n'est pas mort, qu'il est encore là et qu'il continuera à s'imposer car il le mérite. Les joueurs qui ont su apprécier ce jeu sont ceux qui voient au-delà des apparences, qui balayent l'importance des graphismes ici bridés par les capacités de la Wii, qui arrivent à palper l'âme d'une œuvre, et là, on est devant une œuvre intemporelle, un prodige de notre époque. Et son (probable) successeur « X » et certainement attendu avec beaucoup d'impatience par tout fan de J-RPG, non, par tout fan de chefs-d'œuvre.