Edge of Eternity est un jeu français qui a choisi de passer par un accès anticipé sur PC. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que cela a profité à son développeur, Midgard Studio, qui est passé de 4 à 13 employés tout au long de la conception d'un projet assez ambitieux pour ce petit studio français : créer un J-RPG s'inspirant de ce qui s'est fait de mieux dans les années 90. Mais pas en 2D comme on le voit tellement souvent sur l'e-shop ou ailleurs. Ici il s'agit d'un monde ouvert en 3D, dans des décors insolites et grandioses, mêlant SF et fantasy. Un projet ambitieux, à tel point qu'on en oublierait qu'il s'agit d'un jeu créé par un petit studio, alors qu'on est ici plus dans le jeu indépendant que dans le jeu AAA. Reste à voir si le jeu n'est pas trop ambitieux pour son propre bien.
Note : Ce jeu m'a été fourni par un code pour la version cloud sur switch. J'ai joué 35H et je viens d'atteindre la dernière zone du jeu. Je n'ai donc pas fini le jeu et je le rappellerai au moment de critiquer l'histoire, par honnêteté pour le lecteur.
Commençons par parler du cloud, afin de nous concentrer sur le jeu ensuite. Pour ceux qui ne veulent que la conclusion, ça marche très bien. J'habite à Paris et j'ai une connexion ADSL haut débit, soit le niveau en dessous de la fibre. Pourtant le jeu est resté jouable la totalité de mon temps de jeu. Le fait que ce soit un RPG au tour par tour aide à passer l'éponge sur les petits problèmes de réactivité dans les contrôles quand ma connexion décide de faire une crise, mais c'est tout. Par contre il reste les inconvénients du cloud : performances en dessous des autres systèmes (je pense surtout aux chargements), obligation de jouer sans faire de pause, sinon le jeu déconnecte, et bien évidemment vous ne pouvez jouer qu'en étant connecté.
Clairement je vous recommande les autres versions si vous le pouvez, mais si vous devez le prendre sur switch, ça fonctionne assez bien pour ne pas gêner votre plaisir.
Pour finir sur la technique, les graphismes sont corrects. Sans être moches ils ne sont pas bluffants pour autant, ce qui n'est pas étonnant vu la taille du monde et sa direction artistique. Heryon a beau avoir des plaines, plages, volcans et autres : elle est quand même superbe et dépaysante, grâce à une flore originale et très colorée. Il y a beaucoup de zones qui se répètent, mais ça reste un plaisir pour les yeux et on sent que les artistes se sont vraiment investis dans ce monde pour nous donner envie de le découvrir. Pour un jeu indépendant c'est vraiment impressionnant de voir ce que Midgard Studio a fait. Par contre les personnages sont tous moches, taillés à la serpe, avec des animations sommaires.
Edge of Eternity se passe dans le monde d'Heryon. Une attaque extraterrestre est en cours, et les envahisseurs viennent de lancer une arme horrible : une maladie appelée la corrosion, qui transforme ceux qui en sont atteints en monstres dénués de conscience. L'histoire nous fait voyager aux côtés de Daryon et Selene, deux frères et sœurs qui décident de partir en quête d'un remède pour leur mère qui a contracté la maladie. Comme vous vous en doutez, ils voyageront dans ce monde et leur objectif prendra des proportions bien supérieures.
Premier point qui saute rapidement aux yeux : ces personnages détonnent pas mal par rapport à ce à quoi nous avons l'habitude dans les J-RPG. Nos deux héros aiment beaucoup s'envoyer des piques. Selene a un caractère très affirmé, tandis que Daryon manie le sarcasme à la moindre occasion. De même, quand le groupe s’agrandira, les relations ne seront pas toujours au beau fixe, et elles démarreront davantage sur un intérêt commun que sur une envie de s'aider mutuellement.
On notera aussi que l'écriture se donne beaucoup de mal pour traiter aussi justement que possible les termes qu'elle aborde. Ça parle de guerre en n'oubliant pas de parler des traumatismes des guerriers et de la façon dont les civils sont touchés. De même, cela parle de religion en englobant à la fois son rôle social, l'espoir et le réconfort qu'elle apporte dans ces temps troublés, les luttes de pouvoir et les conflits idéologiques. Tous ces aspects sont souvent oubliés dans les autres jeux, et ça fait plaisir de voir des développeurs prendre ces deux sujets au sérieux.
Par contre cela n’empêche pas de vrais problèmes. De rythme d'abord, car Edge of Eternity est un jeu qui étire son histoire au-delà du raisonnable, au point que le jeu ne commence vraiment à se lancer qu'au bout de 25 heures. C'est beaucoup trop long, surtout quand à côté les cutscènes sont parfois rushées au point d'être difficiles à suivre tellement tout le monde semble pressé d'expédier les dialogues. Ajoutez à cela le fait qu'on reste avec nos deux premiers personnages pendant plus de 20 heures, avant d'avoir enfin notre premier vrai troisième compagnon. Là encore c'est beaucoup trop long. Du coup on a une histoire bonne sur le papier, mais qui consiste en quelques scènes espacées de longs moments de vide. C'est dommage que les thèmes aient fait l'objet d'autant de soin, mais que le scénario principal ne soit pas à la hauteur. Je pense qu'il s'agit ici d'un effet pervers de l'accès anticipé, qui en forçant une livraison par updates, a fortement influé sur la façon dont chaque bloc de scénario a été pensé, vu que chacun des cinq chapitres que j'ai fait (je suis au sixième) pour ce test sont beaucoup plus intéressant à leur début et à leur fin.
Certes je n'ai pas fini l'histoire, j'ai lu qu'elle montait en puissance à la fin mais au bout de 35 heures je n'ai encore rien vu, donc même si c'est vrai cela n'enlève rien à ce que j'ai dit précédemment.
Comme je l'ai dit plus haut, Heryon est un monde superbe qui donne envie d'être exploré. Cela se fera à pied ou à dos de nekaroo (un chat XXL). Si vous êtes à pied vous viderez progressivement une barre d'endurance du groupe, qui en dessous de 75 % diminue les statistiques du groupe. Cette barre se vide très lentement et revient à 100% quand vous vous reposez dans les camps ou les auberges, du coup je cherche encore son utilité, à part casser la progression du joueur par moments, sans raison particulière. Heureusement que cette barre se vide très lentement. A dos de nekaroo elle ne se vide plus, et en plus votre monture pourra trouver des objets cachés, mais par contre pour un boost de vitesse de déplacement on repassera.
Le monde est beau, mais il est dommage que l'exploration soit si peu encouragée. A part quelques coffres posés par ci par là sans aucune logique ou des composants identiques partout et peu utiles que vous récolterez jusqu'à l'overdose, rien ne récompense la curiosité. Du coup j'ai fini par aller aux prochains marqueurs d'objectifs sans jamais chercher à en voir plus. Grosse déception pour le coup.
Vous aurez quelques quêtes secondaires pour vous occuper. Elles peuvent être séparées en deux catégories : les quêtes de chasse et les quêtes narratives. Les quêtes de chasse vous demandent d'abattre un nombre donné de certains monstres. Ne vous fatiguez pas à les faire. Elles sont sans intérêt, même au niveau de la récompense. Le jeu se traîne assez. Inutile d'en rajouter. J'ai fait cette erreur pour que vous ne la fassiez pas. De toute façon une bonne partie du bestiaire est copiée-collée sur plusieurs zones, avec les mêmes patterns, et juste le niveau qui change. Pour les quêtes narratives, elles sont peu nombreuses, mais toutes sont entre le distrayant et le touchant. Elles sont une bonne occasion d'approfondir le monde d'Heryon, son histoire, sa religion, ses cultures. Pour le coup c'est très bien pensé, et je vous recommande de toutes vous les faire. Même en termes de récompense ça mérite parfois la peine qu'on s'est donné.
Ce qui ne m'a pas déçu par contre, ce sont les combats. Pour un jeu indé c'est assez impressionnant que Midgard Studio ait réussi à créer un système de combat qui soit unique et qui fonctionne aussi bien. Les joutes se déroulent sur une grille en hexagones, sur laquelle vous déplacez vos personnages. Il y a ainsi des notions de portée, de zones d'effet et de placement qui sont empruntées aux T-RPG, tout en restant assez simples pour ne pas faire traîner les combats contre les ennemis de base. Ce système est agréable, même si le fait de faire l'aventure avec seulement deux héros pendant plus de vingt heures finit par le rendre redondant et répétitif. Heureusement que chaque personnage dispose de son style de combat. L'arrivée d'un troisième, puis d'un quatrième compagnon lui rend son intérêt. Cerise sur le gâteau, si vous trouvez que c'est trop long vous avez une option pour accélérer la vitesse.
En plus, les combats de boss sont vraiment réussis. Ils exploitent au maximum ce système de cases pour vous obliger à monter un plan, en donnant à chacun un rôle et une position à tenir. Ils ne sont pas très nombreux, mais ils se renouvellent à chaque fois et m'ont toujours laissé une très bonne impression.
Pour préparer ces combats, en plus de la montée de niveau traditionnelle, vous avez un système de gemmes à équiper dans vos armes. Elles permettent de monter chacune certaines statistiques, et parfois aussi de permettre l'utilisation de compétences par vos personnages. A vous de créer vos builds ensuite. Vos armes et armures pourront être obtenues lors de quêtes ou sur le terrain, mais les plus puissantes seront obtenues avec un système de craft sans grand intérêt. Le vrai défi est de trouver la recette. Une fois que c'est fait vous devez utiliser des composants trouvables soit sur le terrain, soit en battant des monstres. Mais vu que vous pouvez acheter tous les composants chez les marchands, au final tant que vous avez de l'argent vous pouvez tout fabriquer sans avoir à fouiller le monde ni à farmer des monstres. Ça enlève de la frustration, mais au lieu de nous imposer une liste de course, un simple système d'achat/vente d'équipements aurait aussi bien fait l'affaire.
L'aventure est soutenue par une bande son qui fait du bon travail, mais sans plus, et ce n'est pas la participation de Mitsuda sur quelques musiques qui remontera le niveau. Je l'ai trouvé assez peu inspiré pour le coup, et à peine le jeu éteint j'étais bien incapable de fredonner le moindre air. Si je voulais être positif je dirais que la musique ne donne pas envie de jouer en muet. C'est déjà ça je suppose.
Les dialogues les plus importants de l'aventure sont doublés en anglais de façon assez convaincante, ce qui fait toujours plaisir. Après je m'attendais à avoir un doublage français, mais je suppose que vu le côté indé du titre, le budget ne permettait pas ce genre de petit plus.
Edge of Eternity est impressionnant pour un jeu indé, avec un système de combat bluffant, des héros qui sortent des carcans auxquelles on est habitué et un monde vraiment bien travaillé, mais c'est aussi un jeu qui dans l'absolu présente de gros problèmes : l'histoire n'est engageante que par moments et se traîne pendant environ les trois quarts de l'aventure, l'exploration n'est pas encouragée, la musique est oubliable et certains systèmes de jeu comme le craft ou la jauge d'endurance d'équipe n'apportent rien de positif à l'ensemble.
Au final c'est dur de recommander Edge of Eternity à quelqu'un qui joue peu aux RPG, alors qu'il existe tant de meilleurs jeux à côté. Mais si vous êtes assez passionnés de RPG et qu’après avoir fait les grosses pointures qui vous intéressent vous voulez essayer une nouvelle proposition en attendant le prochain gros titre, Edge of Eternity est un choix tout à fait acceptable, surtout qu'ici le prix de base est à 30€.
Vous aimerez Edge of Eternity si :
- Vous cherchez un système de combat original
- Vous cherchez des personnages aux personnalités plus caustiques et acerbes que la moyenne
- Vous voulez explorer un monde dépaysant et travaillé
- Vous cherchez un RPG à prix raisonnable en attendant le prochain AAA
Vous n'aimerez pas Edge of Eternity si :
- Vous cherchez une histoire qui se lance tout de suite
- Vous cherchez une claque technique
- Vous voulez que l'exploration proposée dans un jeu soit intéressante et valorisée
Test réalisé par Luciole