Les visuals novels sont un genre très peu présent dans l'actualité du jeu vidéo. Il faut dire qu'ils s'adressent avant tout aux amateurs de lecture, ceux qui aiment se poser avec un livre et s'y immerger plusieurs heures. Et même s'ils ont toujours des illustrations et des mécaniques de gameplay plus ou moins complexes pour soutenir la narration, quiconque n'aime pas lire fait bien de passer son chemin. Tout est centré autour de l'histoire, et l'expérience est impossible à reproduire dans un autre média. Pensez par exemple à la série la plus connue : celle des « Ace Attorney », avec son histoire ultra linéaire, mais qui nous force à nous impliquer en reconstituant nous-même le puzzle des événements.

Une autre série, beaucoup moins connue du grand public, mais qui a fait son trou parmi les amateurs est celle des « Science Adventure », commencée en 2008 avec Chaos Head, et qui inclut d'autres titres comme Stein Gate et Robotics Notes, que vous connaissez sans doute davantage pour leurs animés. Ces titres se déroulent dans le même univers, mais ne sont pas des suites directes. Vous pouvez les lire dans l'ordre que vous souhaitez, et jusqu'à récemment c'était une bonne chose vu que le premier épisode, le fameux Chaos Head n'est jamais sorti chez nous. C'est donc « en toute logique » que Spike Chunsoft édite son remake sur toutes les consoles, après tous les autres

 

Ce jeu a été testé sur Nintendo Switch à partir d'un code fourni par le distributeur. Ce jeu ainsi que Chaos;Child sont disponible en physique en double pack chez de Just For Games

 

Nous suivons l'histoire de Takumi Nishijou, un adolescent qui s'est isolé socialement, au point de vivre dans un container aménagé dans le quartier de Shibuya, dont il ne sort que rarement. Ses jours et ses nuits, il les passe surtout à jouer à son MMO, à des jeux hentai, ou à fantasmer sur Sera, une héroïne d’anime. Cet isolement social a développé en lui une forte capacité à se créer des illusions aussi bien positives que négatives, révélatrices d'un adolescent qui passe son temps à se déprécier, au point que même ses tentatives d'échapper à sa réalités tournent parfois mal. Il passe aussi son temps à se répéter à lui-même sa phrase fétiche « À qui sont ces yeux », témoin de son sentiment paranoïaque d'être constamment observé.

Ce quotidien, avec lequel il a appris à composer, se verra complètement perturbé le jour où il tombera sur une scène de crime de NewGen, un tueur en série qui sévit dans Shibuya et qui a une fâcheuse tendance aux mises en scène perverses. Il y trouvera en plus une fille présente devant le cadavre, couverte de sang (NewGen ?), et qui semble le reconnaître, alors que lui ne l'a jamais vue. De plus, sa fameuse phrase fétiche se répand mystérieusement en ligne, et se retrouve associée aux meurtres. Et voilà notre héros asocial et déjà bien perturbé à la base, qui se retrouve au cœur d'événements étranges,où parfois la réalité devient plus étrange que l'imagination de notre héros, qui aura de plus en plus de mal à faire la distinction entre les deux.

Chaos Head Noah reprend l'histoire d'origine en la modifiant légèrement, et en ajoutant des fins spécifiques à chacune des six héroïnes du jeu. Tout le reste est identique, aussi bien dans les visuels que dans le système d'illusions.

Comme vous avez pu le lire, l'histoire est pleine de mystères qui planent autour de notre protagoniste, et des personnages secondaires qui gravitent autour de lui, notamment six filles, elles aussi liées d'une façon ou d'une autre à ces meurtres en série. Le nom « Science Adventure » indique ici qu'on est dans une histoire fantastique, qui utilise des concepts scientifiques inventés plutôt que du surnaturel. Le fait que l'étrange se passe en milieu urbain, pourtant peu propice à ce genre, donne au récit une ambiance assez unique, et dont personnellement je suis très friand.

L'histoire est globalement bien écrite. Les personnages sont tous développés, même si certains le sont assez tardivement. L'intrigue sait à la fois s'épaissir et nous donner des pistes vers le cœur du problème, afin de nous maintenir en haleine jusqu'au dénouement final. Par contre il faut se rappeler qu'elle a été écrite en 2008, et qu'internet n'était pas le même qu'aujourd'hui, du coup elle sera aussi un retour nostalgique à cette époque.

Le point faible de cette histoire sera Takumi en personne. Et vu qu'on passe 95 % du temps avec lui, ce sera un problème pour certains. En effet notre héros est du type passif. Et non seulement cela ralentit le rythme, vu qu'il a tendance à attendre que les situations se règlent d'elles-mêmes, plutôt que d'agir, mais en plus cela pourra en énerver plus d'un. Il passe beaucoup de temps à pleurer sur son sort, à se plaindre, à profiter de la bonne volonté d'autrui pour ne pas agir. Et en plus il ne progresse en tant qu'individu que très tardivement dans le récit. A titre personnel je l'ai trouvé énervant pendant plus de la moitié de l'histoire, ce qui m'a enlevé beaucoup d'investissements au récit. Et le fait qu’il soit parfois doublé, mais toujours quand il se plaint n’arrange rien. J'étais heureux quand le récit passait à un autre personnage, afin de ne plus avoir à le supporter. Et même si la fin m'a réconcilié avec Takumi, je dois avouer que j'aurais probablement arrêté la lecture avant la fin si je n'avais pas poussé l'experience dans le cadre de ce test.

Par contre si vous passez outre, même sans particulièrement apprécier le héros, Chaos Head Noah vous fera sans aucun doute passer un très bon moment. Malgré le contexte daté, l'histoire reste parfaitement lisible aujourd'hui sans aucun prérequis.

Les illustrations ont très bien vieillies et ne devraient poser aucun problème, même si la DA est assez générique. Elle fait quand même l'affaire, surtout qu'en plus d'une écriture qui devient par moment dérangeante, les images montrées peuvent aussi êtres assez dures, avec des corps mutilés et des scènes assez sanglantes, parfois gores. Ce n'est pas gratuit, mais je déconseille de mettre un enfant devant ces images.

La police de caractère est assez grande pour être lisible, aussi bien en docké qu’en portable. Signalons qu’encore une fois le mode portable est juste excellent, sans aucune perte de qualité. Vous pourrez profiter de votre lecture dans le lit ou dans les transports sans soucis. Ce n’est plus une nouvelle, mais la switch est vraiment la plateforme idéale pour profiter d’un Visual Novel, et encore une fois cela se confirme.

Une fois l'histoire terminée une première fois, vous pourrez la recommencer. Mais cette fois de nouvelles options s'ouvriront, avec sept autres fins possibles, dont six centrées sur chacune des six héroïnes. Et une fois les huit premières fin finies, une dernière se débloquera pour nous donner la vraie fin. Et vu que le premier scénario vous prendra entre 20 et 30 heures pour le finir, vous pourrez ensuite sauter toutes les sections déjà lues. Le jeu aura le bon goût de revenir à un système de lecture normal dès que vous arriverez à un passage que vous n'aviez pas lu, vous permettant de ne rien rater par accident, sans avoir à refaire à chaque fois la lecture de passages déjà connus.

Côté gameplay c'est très simpliste : A plusieurs occasions, vous aurez la possibilité de déclencher une illusion que vivra le héros. Vous pourrez choisir de lui faire vivre un fantasme agréable, un vrai cauchemar, ou de ne rien lui faire vivre. Dans certains cas il n'y a pas de conséquence, mais dans d'autres cela peut influer sur la fin que vous aurez. Pour choisir vous aurez à appuyer sur les gâchettes ZL ou ZR de la manette.

Je mets quand même un carton rouge au développeur Mages Inc., qui aurait pu mettre un tutoriel, ne serait-ce que pour indiquer que ce gameplay existe. J'ai pris le jeu en main en restant vierge de toute information, comme je le fais habituellement, et du coup je n'ai découvert cette possibilité que vers la seconde moitié du jeu, en faisant des recherches sur internet. C'est vraiment dommage qu'il soit aussi facile de la rater car elle apporte un vrai plus à l'immersion.

Pour l'interface, sachez avant tout que le jeu est en anglais, avec certains moments doublés. Le jeu étant riche en vocabulaire lié à internet, dont une partie est restée bloquée en 2008, on nous propose une section TIPS, nous expliquant tous les termes potentiellement peu compréhensibles, qui met en plus en avant les derniers termes rencontrés, nous évitant pas mal de recherches fastidieuses.

Pour conclure, Chaos Head reste un très bon visual novel, même s'il implique de supporter un héros pleurnichard et passif. C'est une pièce majeure du genre qui a bien vieilli, même si elle reste ancrée dans une époque désormais révolue. Vous pouvez sans problème vous y mettre en 2022, et si le fantastique en milieu urbain vous tente, je vous recommande cette lecture. Car il est aussi important de savoir que si vous y allez, ce sera plus pour l'histoire que pour le jeu.

Il paraît que sa suite directe, Chaos Head Child, est bien partie pour être un des meilleurs opus de « Science Adventure » ? Ça tombe bien ! Son test est également prévu pour plus tard, et vu le niveau de la préquelle, je suis bien motivé.

 

Vous aimerez ce jeu si :

  • Vous aimez lire
  • Vous aimez le fantastique en milieu urbain
  • Vous êtes nostalgique des années 2000 – 2010
  • Vous êtes intéressé par une histoire sombre, pleine de mystère et parfois dérangeante

Vous n'aimerez pas ce jeu si :

  • Vous ne jouez pas pour vous imposer de la lecture pendant plusieurs heures
  • Vous voulez un vrai gameplay
  • Vous ne supportez pas les héros passifs et pleurnichards

 

Test réalisé par Luciole