Ils travaillent le plus clair de leur temps, dans l’ombre. DANS TON U leur apporte la lumière. "Un jour, Indé-stin", ou le décryptage des meilleurs jeux indépendants à sortir cette année sur Wii U.

L’indé du jour sait se faire rare. Très rare. Rare, comme le nom d’un studio légendaire, autrefois propriété de Nintendo, passé désormais sous le giron de Microsoft. Sans l’éclat (Perfect Dark, Banjo-Kazooie) ni l’audace (Conker’s Bad Fur Day) de son lustre d’antan. Alors quand d’anciens développeurs à l’origine de Diddy Kong Racing ou Starfox Adventures décident de repartir de zéro, forcément, on les suit. De près. Quatre ans après avoir bâti les fondations de son indépendance, Nyamyam dévoile Tengami,  un livre-ouvert sur l’esthétisme du temps qui passe, que l’on feuillette du bout du doigt. Quand tactile ne rime jamais avec futile.

Zen attitude

« Souviens-toi que le temps est un joueur avide. Qui gagne sans tricher, à tout coup ! C’est la loi. » Le temps, ce fardeau. Un supplice pour Baudelaire, condamné à s’y soumettre. A rebours, Tengami, jeu d'aventure et de réflexion iconoclaste, a pris le parti de faire du temps son allié. Au début, tout n’est qu’épure, calme et volupté : dans une atmosphère japonisante, vous explorez de somptueux environnements à la recherche de fleurs de cerisier. Sans chrono, ni sentence du temps perdu. Des environnements qui sont autant de puzzles géants, prenant vie sous vos yeux sous les traits fins d’un livre animé avec soin. Zen attitude.

Et comme s’il fallait insister encore davantage sur ce fort sentiment d’épure, Nyamyam n’a rien laissé au hasard, et s’est adjoint les services du compositeur David Wise. Un homme aussi discret que talentueux, connu et reconnu pour son travail sur les sublimes partitions de la licence Donkey Kong (dont le récent et très réussi Tropical Freeze). Le résultat est une fois de plus, saisissant : la bande-son organique de Tengami, faite notamment de cliquetis d’eau et de chants d’oiseaux, dépeint avec brio cette quiétude indispensable à l’immersion.

Crise de foi.

Des mécanismes de jeu qui font appel à la réflexion, une direction artistique très tranchée, le plein de couleurs à l’écran, pas d’explosion, de fumée crasse, ou d’hémoglobine. Le pari est osé. Risqué diront certains.

Contacté par nos soins, Jennifer Schneidereit, l’une des trois têtes pensantes de Nyamyam, le confesse volontiers :

Nous savons que Tengami peut dérouter car il prend le contre-pied d'un monde de surenchère, où tout va toujours plus vite. Le contraste est d'ailleurs saisissant avec la plupart des productions actuelles. 

La forte identité visuelle de Tengami tend aussi à rappeler que les jeux japonais ont été la source première d'inspiration et d'émerveillement de ces grands enfants aujourd’hui aux commandes de leur propre destinée. Un Japon pourtant en pleine crise d’identité selon Jennifer Schneidereit :

Les développeurs japonais semblent avoir perdu, du moins oublié, ce lien qui les unissait autrefois avec les joueurs et qui faisait leur force et leur prospérité .

La question est posée : les jeux japonais seraient-ils devenus de sombres copies des productions occidentales ? La peur de l'échec pourrait expliquer ce renoncement d’après Jennifer Schneidereit :

Il suffit de comparer la situation actuelle avec celle qui avait court dans le Japon de l'après-guerre. A cette époque, les entrepreneurs japonais osaient, innovaient sans cesse. Aujourd’hui, c’est devenu plus rare. La peur de l'échec ne devrait jamais contrarier l'envie de prendre des risques.

De risque, il en est également question dès que la problématique Wii U est abordée. Console méprisée, mal en point et pourtant, terreau ô combien fertile pour des expériences ludiques revendiquant leur originalité.

Nintendo nous a contacté il y a un an pour nous demander de porter Tengami sur Wii U. Le développement a été assez rapide et la présence du GamePad a évidemment facilité les choses au niveau du gameplay. Nous sommes pleinement satisfaits de cette collaboration.

L’intégration du Miiverse et la présence du mode off-tv constituent les principaux ajouts de la version Wii U, proche en tous points des moutures iOS, et dont la sortie est désormais calée au mois de juin sur l’eShop.

A base de pop pop pop-up.

La sentence est tombée. En approche sur Wii U mais déjà disponible sur iOS depuis un mois, Tengami doit forcément essuyer ses premières critiques. Le prix de la différence sans doute, dans une industrie où la standardisation galopante devient peu à peu la norme. L’absence de narration ? Jennifer Schneidereit s’en explique :

Tengami ne s’appuie pas sur un scénario traditionnel. Il n’y a quasiment aucun texte à l’écran, et de ce fait, le joueur est libre d’expérimenter, par ce qu’il voit, ressent, ou entend.

Quelques jeux de réflexion viennent accompagner la progression, à base de pliage, tapotage, ou tirage de languettes. Rien de plus. Car Tengami assume son gameplay exclusivement tactile en invitant le joueur à perdre ses repères et surtout, à prendre le temps.

Certains ont reproché à Tengami d’être trop lent. Je leur répondrai : trop lent pour faire quoi ? Avec un personnage aux déplacements plus rapides, il aurait été alors facile de parcourir le jeu en quelques heures avec comme seul objectif, de le terminer. Ce n’est pas notre propos. Cette lenteur fait partie de l’ADN de Tengami.

Prendre le temps, perdre ses repères… Une régression ? « Plutôt un retour à l’enfance » confie Jennifer Schneidereit. C’est d’ailleurs dans l’amour des livres animés, ces pop up books qu’elle feuilletait étant plus jeune, que le projet a trouvé sa raison d’être :

Tourner une page sans rien en attendre, et voir quel sentiment s’en dégage : l’étonnement, la surprise. Et comprendre au final, que tout ceci est éphémère. Voilà ce que vous avons essayé de capturer.

Pour y donner vie, pas besoin d’une machine surpuissante, grise et sans âme. Du moins dès les prémices du projet. Tout a commencé avec du papier, une paire de ciseaux, un peu de colle et beaucoup de patience. Une étape indispensable pour laisser le champ libre à l’imagination, avant d’attaquer dans le dur le développement du jeu, qui au final, aura pris trois ans. Un temps nécessaire pour faire de ce rêve d’enfant, une réalité.

Propos recueillis par Derrick le 6 mars 2014.

Tengami, disponible sur iPhone, iPad. Sortie prévue sur Wii U (eShop/juin 2014), PC et Mac (courant 2014).