Lorsque j'ai mis en vente, fin décembre (2012, NDL), mon exemplaire de Far Cry 3 sur leboncoin, je ne pensais pas que les gens allaient se l'arracher, surtout à un prix si proche du neuf. Un type m'a même réveillé à 1h du matin pour venir le chercher «immédiatement», me suppliant de ne pas me rendormir (true story) de peur qu'un autre empoche la mise*... Mais pourquoi les gens se battraient-ils pour un jeu finalement trouvable à un prix à peine plus élevé, neuf, un peu partout? Far Cry 3 serait tout bonnement en rupture de stock, victime de son succès ! (NDLA: Mince, si j'avais su, je l'aurai vendu 3 fois me prix !). Analyse.

 

*Je lui alors dit de me recontacter le lendemain vers 9H, et effectivement à 9H pile il m'a appelé, haletant (!), pour convenir d'un rendez vous. 15 min après c'était vendu. #lesgens

 

Cette étrange histoire de jeu introuvable m'a été contée par toutes les personnes cherchant à m'acheter mon précieux, certains me téléphonant même de Bretagne ou de Groland. Il est vrai que le jeu a récolté des notes dithyrambiques sur tous les sites, même les moins malhonnêtes, et trusté les podiums des «meilleurs jeux de l'année» un peu partout, créant un engouement que peu de gens avaient vu venir, enfin certainement pas les Mayas. De là à devenir introuvable... Je pense que beaucoup de gens ont fait comme moi, qui me suis laissé tenter alors que je ne l'attendais pas du tout, intrigué par tant de louanges.

 

 

Mon premier sentiment fut pourtant très mitigé: tout ça pour ça? Histoire gnangnan, missions principales pas originales, de l'escalade forcée de mosquées pylônes pour dévoiler la map... Mais la beauté des décors, leur topographie, la vie sauvage très crédible, sa maniabilité aux petits oignons et son système de progression très bien pensé m'ont donné envie de continuer, et de fil en aiguille le jeu est devenu vraiment prenant. Je l'ai finalement terminé en 3 semaines, en ayant bouclé toutes les quéquêtes annexes. Alors que d'habitude, j'ai un peu horreur de ça, surtout dans les jeux Ubisoft où les objectifs secondaires débiles et inutiles pullulent. Oui Assassin's Creed, tu peux te sentir visé. Mais la formule choisie dans Far Cry 3 est excellente, car tout est très clair: on gagne des sous pour acheter des armes, et de l'xp pour progresser dans les compétences, elles mêmes très utiles et servant trois approches du jeu différentes. Rien d'autre, pas de guilde d'assassins aux mécanismes complexes, pas de plumes à collectionner sans raison non plus**. La liberté d'avancer à son rythme sans perdre le fil est un modèle du genre, l'équilibre entre un déluge de trucs futiles à faire et la monotonie d'un jeu en ligne droite est parfait.

 

**ça ne se voit pas au premier coup d'oeil, mais je suis un gros fanboy d'assassin's creed en vrai. Qui déteste collectionner les plumes quand même. 

 

Paradoxalement, si les jeux d'aujourd'hui sont plus simples et les joueurs assaillis de tutoriels débiles («pour avancer, pousser le joystick» -sans blague, j'allais appuyer sur trois boutons et une gâchette pour le faire, merci du conseil!), beaucoup de jeux sont alourdis par des trucs à faire à la finalité obscure ou par des mécaniques de gameplay rajoutés à la dernière minute, mal expliqués et peu ergonomiques. Pire exemple récent,  la communauté amish de Connor, où du lait et de la viande pourraient donner des flêches mais comme les fermiers préfèrent couper du bois qui sera revenu après de savants calculs d'itinéraires pour deux bouchées de pain en ville, ben tant pis alors il faudra se rabattre sur la cueillette de plantes pour les transformer en bombes, sous réserves d'avoir 3 marguerites et 2 géraniums en stock. OK.

 

Je pense que c'est cette subtile alchimie parfaitement concoctée par Ubi (dans Far Cry 3,  donc) qui a tant séduit  les agences de com la presse spécialisée, puis les joueurs. Dans les jeux à monde ouvert, doser savamment les contenus et rendre intéressant un monde, avec lequel on interagit finalement de façon limitée, est le défi principal du genre «bac à sable» pour les années à venir. Far Cry 3 a tout bonnement, je pense, anticipé ces besoins et redéfini les standards en étant à la fois riche et limpide, ludique et dense, et fun sans être chaotique.

 

La vue à la première personne permet une immersion totale, sur cette île où l'on peut interagir avec toutes les formes de vie, souvent pour une finalité bien définie - vente de peaux, confections de sérums, création d'objets... Chaque escapade sera donc l'occasion de faire le plein de rencontres, tout en s'amusant franchement à conduire comme un cinglé, à prendre un deltplane pour traverser un vallon ou attaquer un camp ennemi histoire de gagner un spot de voyage rapide et des précieux points d'xp. Là aussi, les choix sont nombreux et cohérents: briser au sniper la cage d'un animal sauvage retenu prisonnier permet de semer la pagaille, ne pas se faire repérer triple les xp, mais tout dézinguer aux explosifs assure une franche rigolade au joueur ! Les scripts sont transparents, et tout s'enchaîne avec un naturel ahurissant, quelque soit l'approchde.

 

Les missions principales, pas toujours aussi marrantes, exploitent toutefois avec beaucoup d'intelligence et de subtilité tous les aspects du gameplay. Certaines pirouettes scénaristiques nous font même combattre des boss, mais l'on échappera pas à la traditionnelle poursuite en véhicule, aux commandes d'une mitraillette surpuissante tandis que son buddy conduit comme Sebastien Loeb sur 25 bornes alors qu'il n'a pas le permis.

 

Ce que je reproche à Far Cry 3 c'est justement d'avoir sous employé la trame, ne concoctant au fil de l'histoire qu'un best-of de tout ce qui est possible de faire dans le jeu sans pour autant nous surprendre une seule fois. Si l'agaçant et prévisible 'héros' y est sûrement pour quelque chose, la banalité de l'histoire au final contraste un peu trop avec le pied qu'on prend avec les mécaniques de jeu. On aurait tellement aimé un développement narratif aussi riche ! Surtout qu'avec un background aussi prometteur, il était carrément possible de créer quelque chose de vraiment énorme. Imaginez: une île sauvage et mystérieuse, des squelettes dans des bunkers souterrains, une étrange communauté d'autochtones, des méchants charismatiques qui trafiquent des trucs... Puis Ubisoft ayant sous la main les scénaristes d'Assassin's Creed, très influencé par des séries comme Lost (au hasard) Far Cry 3 aurait pu lui aussi être conçu pour tenir en haleine le joueur, développer une mythologie, ouvrir la porte à des suites qu'on attend religieusement, etc.

 

Tant pis, il faudra faire sans. Dans quelques années, on aura certainement un peu oublié ce Far Cry 3, se rappelant peut-être de sacrées tranches de fun, voir de belles tranches d'ours dépecé. Mais je pense, et j'espère, qu'on se souviendra surtout qu'il fut le premier vrai jeu next-gen, renouvelant totalement son genre, engendrant même dans son sillon des Far Cry-like. A l'image de God of War sur PS2 qui réinventa le bet'em all et préfigura ce qu'allaient être les jeux de la génération suivante, Far Cry 3 pourrait bien être un soft clé, dont les qualités de gameplay et de rythme seront prises comme de nouveaux standards pour les jeux de demain. Un framework sur lequel les éditeurs s'appuieraient pour aller encore plus loin, et pousser le jeu vidéo vers d'autres limites. A l'orée de la dernière année des consoles de salon, qui ont peiné à nous surprendre ces derniers mois, il était temps d'avoir enfin un petit glimpse de l'avenir***.

 

***Cerise sur le tigre grillé: ce n'est pas -encore- un jeu tactile ultra casual, qu'on achète et jette en l'espace d'une heure après 3 niveaux achetés en DLC à prix d'or.

 

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