il est impossible de passer à côté de Journey, disponible uniquement sur le Playstation Network depuis le 14 mars. Journey fera date justement, puisqu'il signe l'aboutissement du contrat les liant avec Sony, ce qui est peu intéressant vous en conviendrez, mais également l'aboutissement de leur travail entamé avec Flow et Flower: donner au jeu vidéo un supplément d'âme, une vraie maturité tout en utilisant l'intégralité des codes du média, sans chercher des références dans d'autres supports de création. Bref, une perle, et à titre tout à fait personnel, l'expérience vidéo-ludique la plus forte qui m'est été donné de vivre depuis ma première Atari il y a déjà 20 ans. 

«Là où l'on va, il n'y a pas besoin de route»

Le jeu vidéo, comme d'autres médias avant lui, cherche actuellement une maturité. Et quand on regarde le panorama des principaux succès récents du secteur, on voit que ce n'est pas gagné, les blockbusters s'enquillant les uns les autres, se ressemblant tous, malgré des qualités ludiques indéniables. Mais parfois, l'étincelle naît et un titre novateur, allant plus loin et ailleurs que tous ses concurrents, emmène le jeu vidéo vers une sagesse et une lucidité rarement atteinte. Journey fait partie de ces rares titres. Si l'on cherche une inspiration, ce serait logiquement Fumito Ueda qui avec Ico et Shadow of the Colossus préférait la contemplation à l'action débridée, l'émotion subtile au plaisir immédiat et primaire. D'ailleurs Journey puise dans ses propres mécaniques de gameplay dans ces titres indispensables à toute bonne ludothèque mais on en reparlera par la suite. Commençons l'épopée.

Quelques notes de musique, un thème mystérieux et envoutant et une caméra qui se ballade, aérienne, libre, sur des dunes de sable qui semblent infinies. Puis apparaît un personnage, vêtu d'un niqab rouge. Est-ce un homme? Une femme? Est-ce même un être humain? Tant de questions en suspens pour débuter de voyage vers cette montagne, qui semble si lointaine et pourtant nous attire tant. Qu'a t-elle à nous dévoiler sur ce personnage? Sur ce monde? Sur nous-même? Bref un postulat de départ qui pourrait fare penser à une œuvre «arty» pour bobos, tel un navet de l'horrible Sofia Coppola, et pourtant, dès ces premières secondes, la direction artistique se révèle si maitrisée, si aboutie, que ces craintes s'estompent pour faire place à l'émerveillement. On avance dans ce monde désert, qui semble contenir les derniers vestiges d'une civilisation disparue. Les premiers pas effectués, on récupère une écharpe magique, qui permettra rapidement de bondir de manière gracieuse d'un point à l'autre. Le reste de l'aventure vous appartient.

Un grand pas pour le jeu vidéo

Il serait idiot d'aller plus loin dans le récit, tant le jeu se vit plus qu'il ne se raconte. Même si il ne dure que 2h à 2h30, un film dure tout autant et l'expérience émotionnelle est tellement plus forte qu'un gros jeu fast-food, type jeu de guerre réaliste. Ici on ne gave pas l'acteur de l'aventure à base d'explosions grandiloquentes mais finalement vaines, on lui flatte le cortex et lui chavire le cœur. D'ailleurs, venons-en à cette idée de génie qui fait de Journey une expérience unique et que seul le jeu vidéo peut apporter. A différents moments de votre voyage, de manière aléatoire, un autre personnage identique au votre viendra vous rejoindre. Ce n'est pas généré par l'ordinateur mais bien un autre joueur qui vient partager votre histoire et inversement. L'idée de génie, déjà vue dans Ico donc mais ici transposée avec une vraie personne jouant avec vous, c'est d'avoir retiré toute interaction «humaine» avec l'autre. Pas de texte, pas de mots, simplement des sons, plus ou moins forts selon la pression exercée sur la touche, qui en disent si peu et qui en disent tellement. Comme ce moment personnel où mon interlocuteur partant alors que je restais à contempler le décor, me fit un dernier son, un au revoir ou un adieu. Jamais un jeu n'a cherché aussi loin la réflexion (voir sa fin qui explique et éclaire l'aventure par un mouvement de caméra magnifique) et l'émotion chez le joueur. Journey puise dans la mythologie, l'inconscient de son spectateur, tout en puisant dans la spécificité de son support. L'interaction est au cœur du projet, et si cet univers semble figé au départ (le désert), il vit par sa réalisation et les actions du joueur. 

Beau à en pleurer, intelligent, subtil, Journey est donc une date dans l'histoire du jeu vidéo. Le média a enfin trouvé l'écrin qui lui manquait pour enfin s'affirmer comme un support culturel mature, adulte, loin des clichés et des stéréotypes faciles débités par des médias aveugles et sourds. Si vous possédez une PlayStation 3, ne passez pas à côté de ce titre qui vous retournera le cœur et les tripes. Il en existe trop peu, pour ne pas les soutenir. Comme le dit un certain François H., «le changement, c'est maintenant».