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Un jeu différent
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Quand je lance le jeu pour la première fois, sur fond de musique très noble et mystérieuse s'élève une voix féminine, une voix féminine qui se met à gueuler, complètement exaspérée, et qui balance la chose suivante:

"Weiss, you dumbass! Start making sense you rotten book or you're gonna be sorry. Maybe I'll rip your pages out one by one, or maybe I'll put you on the God damn furnace! How can someone with such a big smart brain get hypnotised like a little bitch huh? "Oh Shadowlord, I love you Shadowlord. Come over here and give Weiss a big sloppy kiss Shadowlord." Now pull your head out of your ass and START FUCKING HELPING US!"

Pour les anglophobes, en gros, ça donne ça : "Weiss, espèce de trou du cul ! Reprends-toi stupide bouquin ou tu vas le regretter. J'arracherai peut-être tes pages une par une, à moins que je ne t'enfourne dans le putain de fourneau de Dieu! Comment quelqu'un qui possède un cerveau aussi intelligent peut se laisser hypnotiser comme une petite salope, hein ? "Oh, Maître des OMbres, je t'aime Maître des OMbres. Viens par ici et donne à Weiss un bon gros bisou baveux, Maître des Ombres". Alors maintenant tu te sors la tête du cul et PUTAIN TU VAS TE DECIDER A NOUS AIDER!"

Bon, la traduction est de moi, elle vaut ce qu'elle vaut mais ça vous plante l'ambiance. D'emblée, j'ai compris que ce jeu n'était pas vraiment comme les autres, et j'ai même eu l'intuition que j'allais adorer, ne serait-ce que parce que cela me rappelait furieusement les beuglements de la nana au début du film de Tarantino, Pulp Fiction.
Ca n'a pas râté.

Le jeu contient de très nombreuses expérimentations dans son gameplay, mais c'est bien cela qui m'a frappé d'emblée et qui me plait le plus dans ce jeu : le ton qu'il utilise. Un ton à des années lumières de ce qu'on trouve généralement dans les rpg japonais, qui, même si je les adore, s'enferment souvent sous une bonne couche de niaiserie nappée de bons sentiments.
Dans Nier, entre le Grimmoire Weiss, le livre arrogant imbu de lui-même et de la supériorité de son intelligence et la jolie mais très vulgaire Kainé, le joueur se retrouve à la tête d'une équipe qui le surprend sans cesse par des répliques cultes, des attitudes provocantes ou des crises de mauvaise humeur, voire les trois à la fois.
Du coup, cette différence va se répandre sur le scénario tout entier, car même si la lutte contre les forces du mal a quelque chose de très classique, la façon dont l'histoire se déroule, les coups de théâtre qui vous collent de sacrées baffes dans la tronche, les cinématiques qui tuent, ne cessent jamais de vous surprendre et de vous atteindre là où vous ne vous y attendiez pas.

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Du rpg et des boulettes
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Il faut noter que cette différence de ton est en partie expliquée par le choix de l'équipe de développement, à savoir Cavia, les petits gars qui ont pondu les Drakengard sur PS2, dont le scénario et les personnages étaient déjà bien barrés (surtout dans le premier). Mais là où ça devient intéressant, c'est que cette originalité de fond se retrouve dans la forme. Dans l'absolu, Nier est un action-rpg en vue à la troisième personne, avec combat direct contre ce qui se trouve à l'écran, choix de plusieur armes, du crafting qui va bien avec amélioration des armes à la forge, gestion de l'inventaire et des compétences, etc. Néanmoins, tout cela est rendu extrêmement original par le système de magie, qui repose entièrement sur le Grimoire Weiss trouvé au début du jeu. On sélectionne les compétences que l'on veut attribuer aux deux touches qui permettent de les déclencher, et quand on les déclenche en jeu, on se retrouve avec un système qui n'est pas sans rappeler les boulettes que l'on tire dans les shoot'em up !!! Le résultat est saisissant. On peut ainsi utiliser le pouvoir de base, celui des boulettes qu'on lance en grande quantité, pour nettoyer une zone de dizaines d'adversaires, à la manière d'un shoot'em up. Surprenant. D'une manière générale, les combats sont très réussis, grâce au nombre impressionnant de pouvoirs à choisir et upgrader, et la façon dont ils son exécutés. Les finish sont notamment très spectaculaires et la plupart des combats de boss sont simplement dantesques, inoubliables.

Mais les boulettes, cela signifie aussi des erreurs. Quelques erreurs de game-design sont à signaler, avec notamment tout un système de quêtes annexes un peu pénible parce que nécessitant des allers-retours un peu énervants dans les différentes zones de jeu. Ces quêtes annexes sont assez proches de celles des MMO, c'est à dire peu intéressantes et motivantes. Aller chercher trois peaux de lézard, on l'a tellement fait dans WoW qu'on en a tous un peu ras le bol. IL y a également quelques maladresses dans les animations, notamment le saut du héros, simplement grotesque. Mais franchement, devant toutes les qualités du titre, on ne peut pas se focaliser sur ça.

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Poésie et parti-pris esthétiques
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Nier Gestalt n'est décidément pas un jeu comme les autres. Certains ont critiqué les graphismes en prétendant qu'ils sont affreux. Le site ne permet de mettre des images dans les tests, mais je compte mettre ce test avec images et vidéos dans ma partie blog et je vous invite à aller y faire un tour si vous voulez juger par vous-mêmes. J'espère que vous vous rendrez compte de l'erreur complète dans laquelle sombrent ces critiques. Les graphismes du jeu sont magnifiques, et certains décors exceptionnels. Certes, ce n'est pas très impresionnant sur le plan technique, mais quel caractère ! C'est une certaine forme de minimalisme inspiré qui a été utilisé, avec un choix de couleurs très spécifique, parfois proche d'une épure à la pastel, et le résultat est saisissant, d'autant plus qu'il est mis en valeur par une musique à tomber à la renverse. J'insiste sur ce point : l'OST de Nier est une des plus belles que j'ai jamais entendue, le travail musical fourni sur ce titre est simplement incroyable.

Les parti-pris esthétiques, c'est aussi le chara-design des personnages. L'apparence du héros, Nier, a été critiqué par beaucoup de joueurs. Je ne suis pas d'accord avec eux. Il a une sale trogne ? Et alors ? Cette sale trogne lui va à merveille ! IL n'est pas tout jeune le lascar, ses cheveux sont blancs, il a un faciès bien particulier. Il n'est pas beau, pas au sens conventionnel du terme. Les autres personnages sont magnifiques à mon humble avis.

Entre les décors, la musique, les choix esthétiques, les couleurs, le chara-design, il se dégage de ce jeu une poésie qu'on trouve rarement dans les jeux vidéos, et qui m'a littéralement envouté dès les tout premiers instants.

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Beauté et tragédie : un scénario amer
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Je ne veux pas spoiler quoi que ce soit. Sachez simplement que Nier est le père d'une adorable petite fille souffrant d'une maladie inconnue. Il est prêt à tout pour la sauver, et il existe entre eux une relation tout à fait particulière, très tendre, avec une culpabilité permanente du père, qui laisse souvent sa fille pour vaquer à ses occupations. Elle, de son côté, ne pense qu'à aimer son père de toutes ses forces. C'est à la fois simple, évident, et très beau. Je n'en dirais pas plus pour ne pas spoiler, mais dites vous bien que Nier est un jeu superbement cruel, que certains passages vous arracheront des larmes, tout joueur endurci que vous soyez. C'est une histoire belle, sombre, ne cherchant pas à flatter les attentes des joueurs, et n'hésitant pas à vous foutre de sacrée baffes.

Pour conclure, je dois préciser que j'ai longuement hésité entre 4 et 5 étoiles pour ce jeu. Il mérite 4 à cause de quelques approximations et quelques erreurs de game design. Mais j'y ai bien réfléchi, et je me suis dit que je m'en fous éperdument. Ce jeu m'a scotché complètement, il m'a sidéré même, et c'est bien ça qui compte.