Stigmatisée depuis une dizaine d'années comme le nouvel empire du mal, la Chine n'a pas toujours eu mauvaise presse. Loin des considérations économiques et politiques qui agitent nos contemporains se cultive encore une fascination pour l'empire du milieu. Pour celles et ceux qui veulent bien passer outre la terreur que véhicule ce renouveau du péril jaune existe un "pays continent" doté d'une histoire et une culture d'une richesse vertigineuse. Véritable porte d'entrée dans cette culture, quatre romans, inscrits au panthéon de la littérature, ont influencé nombre de productions cinématographiques et vidéoludiques. Parmi ces quatre chefs-d'oeuvre existe un roman, et par extension un jeu vidéo, qui me sont particulièrement chers, Les trois royaumes (三国演义).
(Un peu de musique pour accompagner votre lecture)
Un Classique Littéraire Indémodable
"Longtemps uni l'empire se divisera, longtemps divisé, il s'unira. Il en a toujours été ainsi." C'est sur ces mots que débute l'épopée des Trois royaumes. Souvent présenté comme le pendant chinois des Trois mousquetaires, le roman de Luo Guanzhong oscille entre mythe et réalité historique. L'histoire prend place au IIIe siècle pendant la période troublée qui marque la chute de la dynastie Han et l'émergence de la dynastie Xin. Alors que l'autorité impériale est sur le déclin, héros et vilains émergent des quatre coins de la Chine. Tous les ingrédients du roman épique parsèment l'ouvrage, trahisons, complots, duels et romance sont à l'honneur. De l'innombrable galerie de personnages produits par le récit ce sont peut être Cao Cao (prononcer Tsao Tsao) et Liu Bei qui captivent le plus souvent l'attention des lecteurs. A la tête de centaines de milliers d'hommes les deux "frères" ennemis se livrent autant une guerre de philosophies que de conquêtes, leur combat symbolisant l'opposition de dogmes entre confucianisme et légisme.
ROTK et Jeux Vidéo
Etonnamment, c'est au Japon que l'on trouve le plus grand nombre d'adaptations libres des Trois royaumes. La popularité du classique chinois est telle que le livre est fréquemment réadapté sous différents média et formats. Manga, anime, films, jeux vidéo, il y est pratiquement impossible de ne pas être exposé au moins une fois, par un biais détourné, à la grande épopée des trois royaumes. De mon coté, c'est à l'âge de 14 ans que je fus plongé pour la première fois dans l'univers de Luo Guanzhong. Ignorant l'importance du roman dans la culture Est Asiatique, j'ai joué des années durant à Romance of The Three Kingdoms II sur ma SNES pensant qu'il s'agissait d'une oeuvre originale du studio Japonais Koei. Ce jeu, qui fait l'objet d'une des plus longues déclinaisons épisodiques de l'histoire du jeu vidéo (12 épisodes canoniques sont sortis à ce jour), a été porté sur presque tous les supports (Amiga, MSX, MSX2, NES, SNES, Genesis, Dreamcast ... Playstation 3, PC, IOS). Que ce soit le gameplay sommaire ou les graphismes minimalistes rien ne suggérait que je sombre avec autant d'entrain dans l'univers des royaumes combattants. Et pourtant ! Inlassablement je rassemblais mes troupes, développais mes terres, recrutais de nouveaux généraux pour, dans un assaut final, tenter d'ébrécher l'empire naissant du sombre Cao Cao. Après l'épisode SNES j'ai perdu la série de vue pendant une bonne dizaine d'années.
C'est au travers des bouquins que je me suis laissé happer à nouveau il y a 6 ou 7 ans de cela. Et quel bonheur que d'appréhender le jeu en ayant une meilleure compréhension de la richesse de la trame. De tous les épisodes qui ont atterrit sur PS2 ce sont les IXe et XIe opus qui m'ont le plus marqué. Le premier notamment grâce à une approche résolument différente de ce qui avait fait les fondations de la série. Dans cet épisode, proche d'un RPG, le joueur incarne un seul et unique héros et gère sa vie comme bon lui semble. Il est ainsi possible de démarrer comme vagabond pour terminer à la tête de l'empire du milieu. Inversement, il est aussi tout à fait possible d'incarner un puissant seigneur et finir comme un vagabond. Vous êtes seul maître de votre destinée. Le XIe opus quant à lui reprend la formule qui avait fait le succès de la série, à savoir un mélange entre gestion et wargame saupoudré de mini-jeux aussi inutiles qu'indispensables. Prendre part au débat entre Zhuge Liang et Zhou Yu, ou encore suivre un duel entre Guan Yu et Lu Bu tient du rêve de gosse.
Si la série Romance of the Three Kingdoms est l'adaptation qui respecte le mieux l'oeuvre originale ce n'est pas celle qui connaît le plus grand succès commercial. En effet, au coté de sa "simulation historique" le studio Koei a choisit de construire une deuxième série en parallèle reprenant vaguement les grandes lignes des Trois royaumes. Cette série, répondant au doux nom de Dynasty Warriors se démarque par un gameplay entièrement tourné vers l'action. Ici le joueur est invité à laisser de coté ses aspirations de grand stratège pour foncer dans le tas, sabre au clair (et cerveau en berne) afin de dézinguer par milliers des ennemis assez fous pour s'opposer à la puissance de son pouce.
A part Koei une bonne dizaine de studios se sont essayés, avec plus ou moins de succès, à retranscrire l'ambiance si particulière des Trois royaumes en jeu vidéo. Mahjong, fighting game, MMORPG, RTS, eroge (oui, oui, eroge) tous les genres y sont passés. Un livre complet pourrait être employé à couvrir les adaptations qui ont vu le jour. Mais puisque votre temps est précieux, et que cet article commence à s'éterniser, je vous propose d'avancer et de nous pencher sur les autres média qui ont vu arriver des adaptations du roman chinois. Avant cela il est tout de même bon de noter que si le Japon a eu la main mise sur les licences issues de l'univers des Trois royaumes la Chine tente de refaire son retard depuis quelques années en multipliant les incursions dans le monde du MMORPG avec notamment Heroes of the Three Kingdoms et Atlantica Online: Three Kingdoms. Ces deux titres ne révolutionnent pas le jeu vidéo mais montre un certain désire à reprendre en mains un classique du patrimoine chinois.
L'Interprétation Pop-Culturelle
Des quelques tentatives d'adaptation au cinéma dont les Trois royaumes a fait l'objet c'est sans aucun doute le film de John Woo qui s'en est le mieux tiré. Loin d'être parfait, Red Cliff (赤壁) rend hommage à la bataille du même nom-une bataille qui voit l'opposition entre l'immense armée de Cao Cao et le génie militaire des généraux de Liu Bei. Si le film prend quelques libertés avec le récit original il n'en reste pas moins une très bonne introduction à l'univers des Trois royaumes. En 2011 et 2012 deux autres films ont vu le jour dans l'espoir de reproduire le succès critique et commercial rencontré par John Woo-en vain.
Pour clore ce "dossier", j'aimerai utiliser quelques lignes pour parler d'une tendance qui a débuté il y a une dizaine d'années et qui prend pour toile de fond l'univers des Trois royaumes. Sur ce canevas maintes fois revisité ces auteurs se contente de suivre une trame inspirée du roman original tout en inversant le genre des protagonistes. Les quelques otaku qui me lisent me voient peut être arriver avec mes grands sabots, je veux bien sûr parler de Ikkitōsen et Koihime musō. Ces deux anime ont pour point commun d'adopter le gender bender comme élément d'originalité. Les quelques portraits ci-dessous vous aideront à comprendre de quoi il s'agit. C'est... spécial dirons-nous.
Il est évident qu'une oeuvre aussi magistrale que Les trois royaumes ne peut être traitée de manière exhaustive sur un blog, le format ne se prêtant pas forcement à l'exercice. Ceci dit, j'espère que ces quelques paragraphes vous auront quand même donné envie de plonger dans cette fresque épique. Grâce à l'opportunité commerciale ouverte par le film de John Woo Flammarion s'est laissé tenter à republier les bouquins qui était encore difficilement trouvables il y a peu. Et si les quelques 2000 pages du roman vous intimident n'hésitez à tenter une approche peut être dénaturé mais néanmoins intéressante par un média détourné. Comme vous avez pu le constater ce ne sont ni les jeux vidéos, ni les films ou les manga qui manquent.