Adulte et mature

Nous allons faire toute de suite une distinction importante avant d'aller plus loin. Le jeu vidéo actuel utilise beaucoup le terme "mature", il s'en gargarise. Quand il dit mature, il veut faire croire à un contenu sérieux, plongeant dans les zones d'inconfort, traitant de sujets subversifs.

En réalité dans le jeu vidéo, le terme mature se rapproche du cinéma ; ça équivaut au taux de violence ou de sexe. C'est un contenu exclusivement pour les adultes au sens légal car interdit ou déconseillé aux mineurs, mais pas forcément sur le propos de l'oeuvre, bien que le jeu vidéo aime à entretenir une certaine ambiguïté.

Par exemple, Grand Theft Auto est un jeu mature, mais pas un jeu adulte. On pourrait même aller jusqu'à dire que permettre aux joueurs de se payer des putes virtuelles, c'est immature, de mauvais goût, et profondément puéril ; ce qui est la définition même d'un jeu vidéo dit mature, malheureusement. On trouve également beaucoup de films d'horreur dans cette situation.

Par contre il y a aussi des films qui ne sont pas déconseillés aux mineurs, mais ces derniers risquent peu de s'y intéresser. À moins de me tromper, je pense que peu d'adolescents autour de 12 et 15 ans rêvent de regarder In the Mood for Love, par exemple.

Toute l'ironie d'ailleurs tient au fait qu'adolescent, on est beaucoup plus attiré par des films qui nous sont interdits, que par des films adultes. Ce n'est pas parce qu'on veut briser des interdits, mais tout simplement parce que les films au contenu déconseillé nous marquent plus facilement.

L'Homme des hautes plaines

Enfant, j'adorais l'Homme des Hautes Plaines, avec Clint Eastwood. Il arrive en ville, une fille lui fait des avances tout en jouant la sainte-nitouche ; Clint l'embarque dans une grange et la viole. Un peu plus tard il arrache son étoile au shérif, et en décore le nain de la ville.

Ces images m'ont beaucoup marqué, et fasciné, tout comme les scènes où un homme est fouetté. Elles me fascinaient comme certaines scènes de Conan le Barbare me fascinaient, comme par exemple lorsque le méchant fait signe à une fille de sauter dans le vide et elle le fait, ou lorsqu'au début la mère décapitée tombe au ralenti.

Les scènes dont je vous parle n'avaient pour moi aucune violence réelle, je n'étais ni traumatisé, ni désireux de faire la même chose en vrai. C'est plutôt la force d'évocation des images. Même enfant (je ne sais plus quel âge par contre), je comprenais ces scènes, leur signification. Probablement pas dans toutes leurs nuances, mais je comprenais l'essentiel. Même chose pour La Liste de Schindler.

Ça pouvait aussi passer par le texte. Ado j'adorais le film Le Voleur avec Jean-Paul Belmondo, qui dit au début du film quelque chose comme :"Je fais un sale métier, mais j'ai une excuse ; je le fais salement". Cette phrase est restée gravée dans ma tête.

Un film pour adulte, ou disons exclusivement pour adulte, je trouvais ça chiant, parce que tout m'échappait. Je ne voyais que des bonhommes chiants raconter des trucs chiants et faire des trucs chiants. Tout avait l'allure d'un épisode de l'Inspecteur Derrick.

Qu'est-ce qu'un film exclusivement pour adulte ? Il n'y a évidemment pas de règle précise, et un film que je trouvais chiant vous a probablement fasciné. Serpico c'était chiant. Les films de guerre des années 70 aussi. Le Pont de Remagen, Un pont trop Loin, Les canons de Navarrone, Exodus ; chiant chiant chiant et chiant.

Au fond le cinéma, c'est un peu comme la vie ; enfant on est fasciné par exemple par le travail de papa qui travaille dans un garage où il y a plein de voitures (alors qu'il est probablement comptable), par contre on s'ennuie chez tonton quand ça parle de politique, et nous de toute façon plus tard on votera Mitterand parce que... c'est le seul qu'on connaît.

D'un enfant à l'autre j'imagine que les intérêts sont différents, mais je pense que vous comprenez l'idée. Par le biais du cinéma, le monde des adultes, on y vient petit à petit, et si on est fasciné par L'Homme des hautes plaines avec Clint Eastwood, c'est surtout parce qu'on adore les films où il castagne tout le monde avec son orang-outang. Sinon on n'aurait jamais vu ses autres films.

Quant aux livres... Lire François Mauriac en sixième, j'en remercierai toujours mes professeurs et le programme scolaire de cette époque... avec le recul. Car sur le moment, quelle torture ! Quelle incompréhension ! Des phrases bout à bout qui ne veulent rien dire ! Où sont les dragons ? Les pistolets ? Les bonhommes qui font des trucs compréhensibles avec des motivations compréhensibles ? Ah ça, je me souviens que Thérèse Desqueyroux a les doigts jaunes à force de fumer, mais c'est tout.

Des jeux vidéo adultes ?

Selon moi, des jeux vidéo pour adultes ne peuvent pas exister. Le gameplay viendra toujours faire le lien entre l'ado et le propos pour les adultes.

Ado j'ai essayé toutes sortes de jeux rien que par curiosité. Je n'avais aucun jugement dessus, je n'évaluais pas le gameplay ; je cherchais seulement à aller le plus loin possible. Sim City (genre que pourtant je n'aime pas du tout aujourd'hui), le premier Alone in the Dark, des jeux d'enquêtes policières dont je me souviens à peine, et où ça se réduisait à des images où on choisissait des lignes de dialogues pour... je ne sais même plus.

Dès que ça se jouait, j'y jouais. Je me souviens d'un vieux jeu de Kick-boxing sur PC où les deux adversaires avaient exactement les mêmes sprites, à part la couleur du pantalon. D'un jeu d'avion de la seconde guerre mondiale en 3D. D'un jeu d'échec où les pièces se battaient entre elles (Chessmaster ?).

Ce qui est dommage, c'est qu'il n'existe presque pas de jeux pour adultes. Je pense seulement à The Walking Dead, et même L.A. Noire. Peut-être The Witcher mais je ne connais pas. Le reste du temps, on fait face à des jeux "matures".

Peu importe ce qu'on peut penser de The Walking Dead avec nos critères d'adulte, pour un adolescent ce doit être une expérience formidable. Quand je dis formidable, je ne pense pas au plaisir qu'il va en retirer sur le moment, mais sur ce qu'un jeu de ce genre peut lui apporter sans qu'il sans rende forcément compte.

À l'école, l'apprentissage se fait, ou se faisait du moins, en quelque sorte dans la douleur. C'était dur, peu intéressant, et on attendait vendredi matin pour les activités manuelles pour coller des coquillettes sur du carton ! On dit souvent qu'on apprend mieux en s'amusant. Je n'irai pas jusque-là, surtout quand je constate le niveau actuel. Mais il est certain qu'enfant, nous apprenons bien plus vite quand cela nous intéresse, quand on y vient comme naturellement.

Seulement le jeu vidéo n'a aucune ambition. La télévision se charge des fois d'un rôle éducatif que je trouve, dans l'intention, très louable (pas toujours dans la proposition). Faire de longs téléfilms sur par exemple Hitler avec Robert Carlyle, sur certaines oeuvres littéraires, lorsque c'est fait avec une certaine discipline, un respect, et surtout surtout, quand ce n'est pas confié à des illuminés du bulbe comme Josée Dayan qui transforme Jean Valjean en pédophile, ça permet d'apprendre en se divertissant. Rome de HBO, John Adams, Les Kennedy, ou les téléfilms sur De Gaulle.

Le cinéma c'est pareil. Entre les Avengers et Jason Bourne, on trouve des films sur ce qui se passe dans le monde, dans nos pays, dans ceux des autres. On plonge dans l'histoire, pas toujours de manière très rigoureuse malheureusement, mais ça arrive.

Dans le jeu vidéo, ça donne des Assassin's Creed et des Red Dead Redemption, du n'importe quoi dans les deux cas. Pour nous interpeller sur les crises actuelles, on aura Call of Duty et Ghost Recon, bien expurgés de ce qui dérange vraiment, pour mieux fournir de la violence de jeu vidéo...

Le jeu vidéo, c'est comme ce type sur la route qui roule en voiture de sport alors qu'il ne pourra jamais la pousser à fond car c'est limité à 100 km/h. Ou ceux qui ont des hummers de ville. Ça sert à quoi, sérieux ? À part montrer que tu es riche, ou que tu complexes sur la taille de ta bite ?

Sauf que le jeu vidéo, lui il pourrait rouler à fond la caisse. Mais comme le type avec sa ferrari, ce n'est que de l'esbroufe visuelle.

Au revoir les enfants

Petit j'ai grandi aussi avec Ken le Survivant. Et les Chevaliers du Zodiaque, des types ensanglantés et agonisants qui passaient leur temps à monter des escaliers et à expliquer le super coup imparable qu'ils allaient donner trois épisodes plus loin (sérieux c'était chiant ce truc !).

Ma génération a coutume de dire qu'elle n'est pas devenue psychopathe pour autant. Non, mais une partie d'elle est restée en enfance, et pas forcément dans sa part la plus belle.

Aujourd'hui j'ai regardé sur Youtube un morceau de concert d'Ugly Kid Joe. Je les adorais à une époque. Mais là je voyais juste un gars qui gigotait sur scène en déblatérant des paroles sans aucun sens (à 20 ans je ne comprenais presque rien à l'anglais, époque bénie !). Je veux dire, Jacques Brel sur scène, c'était quelque chose, même si enfant ou ado je n'en avais pas conscience, il ne bougeait pas pour exciter juste les foules. Par contre de nombreux artistes actuels... Ce besoin perpétuel de chorégraphie exténuante pour masquer du vide, ou d'occuper la scène pour... rien. Toute la carrière d'Elvis Presley se résume à ça. Simplifier des chansons volées aux Noirs, et bouger sur scène. Quand dans Cast Away, Tom Hanks dit à propos du King :"50 millions de fans ne peuvent pas se tromper", moi je réponds que oui.

Et le jeu vidéo est probablement apparu à une mauvaise époque, celle de l'image, celle où ça bouge pour ne rien dire, celle de la pop-culture et du post-modernisme. On dit souvent qu'il est jeune pour excuser ses faiblesses. Je pense plutôt que son éternel handicap, c'est qu'il n'a pas de vision ni d'ambition artistique. En musique, au cinéma, en littérature, malgré des déchéances, il reste un fil rouge traditionnel ; on sait encore faire le tri entre le bon grain et l'ivraie, il existe des connaisseurs. Le jeu vidéo n'a jamais développé ce fil rouge, en dehors de quelques titres perdus dans l'abîme. C'est un arbre tordu. Personne ne connaît rien au jeu vidéo, car il est encore a inventé.

À travers mes différentes expériences de jeu, les continuelles déceptions comme les rares enrichissements, j'ai deviné peu à peu un potentiel énorme, un geyser. Et pourtant je manque terriblement d'imagination. Il y a deux ou trois ans, quand je lisais que le jeu vidéo était supérieur aux autres formes d'art, je souriais avec mépris parce que je ne crois qu'à ce que je vois, et ce que je voyais était lamentable. Aujourd'hui je sais que c'est vrai. Je n'ai joué à aucun jeu vraiment à la hauteur, mais je sais que c'est vrai, que le potentiel est monstrueux. Je l'ai entrevu, ici et là, dans les plaines de Red Dead Redemption, dans les rues interminables de L.A. Noire, au fond du gouffre d'un The Walking Dead.

Le jeu vidéo n'est pas un art, il a quelque chose de plus, il nous fait participer, il simule. Si le divertissement a sa part d'évasion du réel, l'art lui nous y ramène en lui rendant sa vérité. Le jeu vidéo lui peut même nous y confronter sous une forme adoucie, à travers le gameplay et l'interactivité. On apprend bien à piloter sur des simulateurs, alors pourquoi un jeu ne pourrait pas développer notre rapport au monde, au lieu de le détruire ? Et si le jeu vidéo avait le potentiwel de réussir ce que les reportages, l'art et la philosophie ne parviennent que très partiellement à réaliser ; nous interpeller, nous connecter avec le réel en dehors de notre quotidien ?

Nous faire grandir.