Ainsi je vais attaquer principalement ce papier par le biais du scénario dont je vais dévoiler de nombreux passages ; ceci tient lieu d’avertissement pour ceux voulant conserver la surprise, la critique en question vous dévoilant la fin dès le paragraphe suivant ! Pour un avis illustré, je vous renvoie vers le Multivers.

Le parrain de Chicago, Lucky Quinn, possède une vidéo du maire tuant accidentellement une femme, ce qui lui permet de l’avoir à sa botte. Pensant qu’Aiden Pearce (le héros) tente de mettre la main sur la dite-vidéo, il s’attaque à lui. Aiden perd sa famille, et se lance dans une quête de vengeance pour découvrir la vérité ; c’est là que commence le jeu. Le principal problème de ce scénario, c’est qu’il n’est pas en phase avec le propos du titre ; le tout-connecté, ses dérives, ses dangers. La mafia n’a pas attendu Internet pour faire chanter les politiciens ; les photographies compromettantes ont largement suffit bien des années auparavant. De même la diffusion de la vidéo par Internet, bien que plus efficace, n’est pas un danger propre au tout connecté ; avant ça il y avait les journaux, puis la télévision.

Au milieu du jeu, nous découvrons que le réseau enmagasine des secrets sur tout le monde, pour faire chanter tout le monde, le tout avec un gangster de rue à la tête du projet (pas très crédible, les gangs de rue étant dans la rue parce que pratiquant une criminalité de base ; racket, prostitution, drogue). Là encore, si effectivement le tout-connecté peut faciliter ce genre de manoeuvres criminelles, ce n’est pas un danger propre au tout-connecté. Donc on attend, on avance dans le jeu en attendant de toucher au coeur du sujet, qui est derrière tout ça ? Derrière les gangs de rue ? Derrière la mafia ? Quel est le danger qui centralise tous les autres ? En fin de compte, personne, rien.

Les dangers du tout-connecté sont généralement invraisemblables dans l’univers de Watch_Dogs, et artificiels ; à la toute fin, Lucky Quinn est dans une chambre de panique, Aiden n’ayant aucun moyen de l’atteindre… si ce n’est en piratant son pace-maker. Ça se pirate, un pace-maker ? Y’a un logiciel là-dedans ? Il est par ailleurs difficile de croire que la mafia, notamment les grands pontes, se laisserait espionner si facilement par le piratage qu’elle use comme d’un outil, en ne se méfiant jamais des caméras susceptibles de capturer les discussions compromettantes. Pourtant Aiden est omniscient, seul à ne pas être détectable par le réseau (si ce n’est gratuitement, à des moments voulus du jeu), seul à pouvoir en faire ce qu’il veut. Les autres en sont tous victimes, même les prédateurs qui sont pourtant les mieux placés pour en connaître les menaces et les rouages. À la fin les rôles s’inversent, et un ancien camarade d’Aiden, Damian, devient à son tour omniscient, et même super omniscient, directement dans le réseau, le tout à partir d’un phare sans véritable matériel quand Aiden, victime et proie cette fois, a carrément pour lui un bunker dédié au piratage du CtOs, le réseau informatisé. Comment Damian s’y est-il pris ? Mystère. Mais il peut faire exploser toutes les canalisations qu’il veut, pirater les feux de signalisation, tout en sachant toujours où se trouve le héros. Aiden avec son super bunker ne pouvait en faire autant.

Si vous avez vu Ennemi D’État avec Will Smith, ou encore Eagle Eye avec Shia Labeouf, vous avez déjà eu votre dose de super surveillance hollywoodienne complètement invraisemblable, pourtant ces deux divertissements font une utilisation plus pertinente de leur sujet. Ils trichent grossièrement, prennent toutes les libertés qu’ils souhaitent, mais je trouve qu’on n’y ressent pas ce sentiment désagréable de gratuité constante que porte en son sein Watch_Dogs. On y trouve ici et là quelques bonnes idées, quelques points qui auraient fait mouche dans des films un peu plus ambitieux, et à leur manière certes grossière, le thème est au coeur du film. Pas dans Watch_Dogs, qui ment et fort mal, essayant de masquer sa véritable identité, un shooter avec courses-poursuite, en jeu original proposant un angle novateur. Malheureusement jamais le jeu ne donne l’impression de pirater quoi que ce soit ; la plupart du temps nous déclenchons des actions, et même pour un banal ascenseur on n’appuiera pas sur le bouton d’appel, non. On le pirate pour faire jeu de piratage. En somme une multitude d’actions classiques se font dans Watch_Dogs via le smartphone du héros, peu importe que ce soit possible ou non, idiot ou non, crédible ou non, utile ou non. Watch_Dogs est un jeu où on joue un pirate informatique ? Cherchons tout ce qu’on peut pirater. Ainsi un quelconque Toto d’Ubisoft propose de pirater des grenades. C’est validé ! Et c’est pareil pour le scénario, on ne cesse de nous parler de piratage, mais le sujet n’est jamais véritablement abordé.

Tout sent dans Watch_Dogs le game-design artificiel et générique, le manque d’ambition thématique, et d’inspiration scénaristique. Qu’on le regarde en surface, ou qu’on creuse. À la fin du jeu on apprend que la soeur d’Aiden l’admirait étant petite, et qu’il était entouré de copains moches (selon elle). On devine, même si ce n’est pas dit clairement, que ses copains moches étaient des pirates, du moins des nerds fans de pc, des marginaux. Pour caricature grossière que laisse entendre le jeu ; grosses lunettes, boutons, face blafarde ne rencontrant pas assez le soleil. Pourtant les pirates que nous allons croiser sont tous cools, entre Aiden avec son physique de beau gars insipide de série télé, plus tard le génie du piratage qui pourrait faire office de bassiste dans le groupe Pantera, ou la Punkette sexy avec son look de présentatrice pour Mtv (à comprendre pas une vraie punk asociale, mais une présentable, rentrée dans le rang). Nous suivons des personnages auxquels il est difficile de croire ; non pas qu’ils soient mal croqués, au contraire le chara-design est parfois plutôt correct et convaincant. Mais le rôle qu’ils occupent ne cadre pas avec leur physique ni leur dégaine. Vous vous souvenez du type en chaise roulante, Lester je crois, dans Grand Theft Auto 5 ? On le voyait, on y croyait à son rôle de nerd, sans même qu’il ait besoin d’ouvrir la bouche on savait qui il était. Pareil pour les autres, d’ailleurs, mais là on s’éloigne du piratage et du portrait nerd.

Dans le jeu d’Ubisoft, je n’aimais pas l’allure du héros dès le premier trailer. Son côté incognito dans la foule ressortait trop. Assassin’s Creed, le tout premier, lui oui il passait inaperçu, il se fondait dans le paysage, il était un parmi d’autres. Dans un autre genre, Sam Fisher c’était pareil. Un espion comme un autre, avec une tenue classique, qui se démarquait par sa personnalité, ses répliques mordantes. Mais Aiden lui semblait porter un panneau « Je suis un anonyme vous avez vu !« , tout en ayant aucune personnalité à force d’incohérences liées à un game-design où le héros est un GI Joe capable de faire tout et n’importe quoi. Yamakazi, Rambo, pilote de course. Et accessoirement, pirate informatique, la partie la moins convaincante et la moins approfondie du jeu, bien qu’elle envahisse tout le gameplay.

Watch_Dogs aborde le piratage informatique et le tout-connecté comme un adolescent écrirait un poème sur la mort sans jamais l’avoir côtoyée. Tout n’est que fantasme et imagination (ce qui n’exclut pas la sincérité), rien n’est concret, solide, vécu, pensé et anticipé. Ubisoft ne sait pas de quoi il parle, pour faire simple. Peut-être pour donner une meilleure comparaison, Watch_Dogs parle de tout-connecté comme le journal télé parlait du jeu vidéo il y a quelques années. Le sujet lui échappe bien vite, trop préoccupé à créer des personnages cools, des mécaniques de jeu fun, un piratage le moins frustrant possible, et pourquoi pas spectaculaire avec des canalisations qui sautent. Les joueurs aiment ça, paraît-il.

Watch_Dogs aurait pu être un jeu plutôt amusant, il l’est d’ailleurs si on est capable de faire abstraction de tout ce qui dérange, ou si on ne le voit tout simplement pas (bien que ça me saute littéralement aux yeux, personnellement). Une voiture vous poursuit, vous déclencher des bornes qui sortent du sol, un ralenti vous passe le crash de vos ennemis. C’est fun. Ce serait ridicule de le nier ; je prends plaisir à y jouer. Mais je ne suis pas dedans, parce que toutes les petites voire grandes réussites du jeu sont isolées chacune dans des coins, je prends du plaisir par à-coups, avec entre deux le retour à la réelle proposition ; un titre qui n’a aucun sens. En somme le plaisir n’est que ludique et fragmentaire, il n’y a pas d’immersion en continu, et chaque mission principale, peu importe l’objectif, fera toujours appel aux mêmes méthodes ; discrétion, gunfights, courses-poursuites. Il y a comme souvent avec les AAA sur PS360 une déconnexion entre le scénario et le gameplay. On suit une cinématique, puis on fait une mission, le tout rattaché par des bouts de ficelle. Il y a pourtant au début du jeu une mission qui répond pour moi à la grammaire du jeu vidéo ; Aiden visite sa soeur. Elle reçoit un appel qui semble menaçant. Aiden pirate la conversation, puis décide de localiser la source de l’appel. Ensuite nous devons nous rendre à la source et courir après le type. Ce que j’ai trouvé réussi (alors que dans l’absolu c’est un procédé qui devrait être tout à fait ordinaire), c’est le fait qu’on poursuit quelqu’un pas seulement pour le rattraper, pas seulement parce que le jeu nous demande de le faire, mais aussi pour un enjeu scénaristique. C’est quoi qu’il veut ce type ? On court après pour obtenir des réponses, pour faire avancer l’histoire. Le gameplay, les mécaniques de jeu, l’objectif ludique, tout ça est épaissi par le désir d’en savoir plus, ce qui est pour moi le principe même de l’immersion ; on joue pour participer à une aventure, pas pour déjouer des mécaniques abstraites. Le reste du temps, on enchaîne des missions sans avoir l’impression de progresser ; on suit l’histoire d’un côté, on flingue de l’autre, sans pouvoir établir de rapport véritable entre les deux, les prétextes scénaristiques pour justifier les missions étant d’une grande pauvreté, ce qui est par ailleurs encore plus flagrant avec le contenu secondaire où les objectifs sont contradictoires, le jeu nous demandant tour à tour de jouer les justiciers et les voyeurs/voleurs.

Watch_Dogs lorgne, en s’en cachant à peine, du côté de Grand Theft Auto et s’il fait moins bien que le studio Rockstar, je trouve qu’on s’y amuse tout de même. Courses-poursuite réussies si on se fait au pilotage (capricieux), le jeu a le mérite de proposer une conduite qui n’est pas simpliste comme dans un Saints Row ou un Sleeping Dogs, même s’il y a des gros progrès à faire. Des gunfights réussis également, dans la moyenne haute du genre. Un aspect infiltration pas très convaincant à cause des cônes de vision, mais on a vu bien pire ailleurs. Un moteur physique qui gère les dégâts, et des décors destructibles.

Au final ce qui gâche tout, c’est cette histoire de piratage. Ubisoft a déjà pondu quelques titres qui se moquent gentiment des AAA. Pourquoi ne pas aller jusqu’au bout cette fois, tout assumer ? L’idée n’est pas de remettre en cause le genre, plutôt ne pas mentir sur ce que le jeu est vraiment ; un shooter action où on flingue un bon millier d’ennemis. En laissant tomber le piratage pour travailler un peu plus les autres aspects du jeu (plateforme plus poussée, conduite où on pourrait tirer, trouver d’autres justifications pour les embuscades à base de bornes ou autres), en écrivant un scénario léger qui permettrait de fermer les yeux sur ses lacunes, Watch_Dogs serait un divertissement tout à fait honnête. Mais il se prend tellement au sérieux, terriblement au sérieux, avec son héros faussement anti-manichéen, ses personnages génériques qu’on se fiche de voir mourir ou souffrir, son propos inintéressant et à côté de la plaque, son manque de crédibilité à d’innombrables niveaux.

Sans tomber dans la vulgarité et le mauvais goût, il n’est pas loin de Far Cry 3 qui nous proposait un jeu de survie durant les premières heures qui finissait par s’évanouir sous les grenades et les bazookas, le tout en faisant semblant que le game-design complètement déglingué était voulu, et non imposé par un cahier des charges. La promesse n’était pas tenue, ni le choix de jouer comme on le souhaite car rapidement les missions principales nous imposaient de sortir la grosse artillerie. Promesse non tenue ici également, le piratage de Watch_Dogs n’étant que l’illusion d’un trailer à l’E3 qui a fait fantasmer de nombreux joueurs, lassés des shooters, rêvant que cette fois on ferait les choses avec plus d’élégance et moins de poudre. D’autres ont su que ce ne serait pas le cas, qu’il s’agirait forcément d’un shooter avec un piratage simpliste et sans profondeur, et lance-grenade sous l’imperméable. Ils avaient raison. Et ce qui est lassant là-dedans, ce n’est pas d’avoir eu raison, mais les mensonges sans conviction qu’on perce sans effort. En se présentant tel qu’il était, sans fausses promesses, Watch_Dogs n’aurait pas été aussi prévisible, puisqu’il nous aurait coupé l’herbe sous le pied. On aurait voulu en savoir plus. Là on savait déjà tout.