J'aime les TPS, mais Ghost Recon Future Soldier ne me disait rien. L'insipidité des licences Tom Clancy aux niveaux scénaristique et graphique, les deux Ghost Recon essayés sur Xbox (le 2 et son add-on Summit Strike) à la difficulté assez naze reposant sur du quicksave, puis la guerre moderne, réaliste... Bref bof tout ça pour moi. Mais j'étais curieux de jouer à un jeu d'Eska, le gars qui travaille dans le monde pas toujours merveilleux du jeu vidéo et qui nous offre la précieuse opportunité de poser des questions à des gens de l'industrie. Et bien Eska, c'est plus fort que toi !

Une histoire Tom Clancy

Une histoire Tom Clancy, c'est quoi ? On joue un héros insipide et sans personnalité qui va faire le tour du monde pour mettre des bâtons dans les roues à un dictateur coréen sans charisme, ou un général russe total osef, ou un terroriste chiant d'un pays de l'Est dont on se fiche royalement. Au bout de 5 missions on ne sait même plus pourquoi on est passé en Allemagne et au Brésil, et à la fin on a oublié qui était le méchant. Bref ça ne vaut pas grand-chose, et Future Soldier reste en grande partie dans cette optique. Le tout ne sera pas aidé par une modélisation des visages assez médiocre, les héros ayant des faces de PNJs d'un Mass Effect 2.

Cependant, cette fois l'enjeu est clair. L'intro est réussie, et jusqu'au bout on sait pourquoi on joue, ce qui est assez rare dans un jeu Tom Clancy. Une première équipe de Ghosts a été piégée puis sont devenus des fantômes (Ha ha je suis drôle !), et nous on joue une autre équipe de ghosts qui va chercher qui sont les coupables.

Déjà savoir pourquoi on joue, ça permet de s'approprier un peu le jeu, là où généralement les opus Tom Clancy sont pour moi comme désincarnés, j'y joue seulement pour le gameplay. Ça permet aussi de sortir légèrement de l'aspect professionnel de la guerre pour introduire un enjeu dramatique et personnel. Ça n'est évidemment pas suffisant pour les joueurs ayant besoin d'une trame forte, mais c'est un vrai plus pour ceux qui comme moi apprécient ces jeux-là malgré leur manque de personnalité.

Ainsi Future Soldier reste fidèle, pourrait-on dire malheureusement, à l'essence Tom Clancy, mais parvient à lui insuffler une âme, certes légère, mais une âme quand même. Et on verra dans la suite de ce test que l'équipe de Future Soldier a fait cela sur tous les aspects du jeu, ce qui donne au final un titre que j'attendais ordinaire voire banal, et qui m'a surpris par des qualités transparentes, discrètes, mais fortes.

Une élégante mise en scène

Généralement les cinématiques sont assez classiques et ne servent qu'à nous montrer les héros au QG ou dans l'évolution de leur mission.

Mais parfois les mouvements de caméra ont une belle élégance, lorsque par exemple les Ghosts passent sous une porte de garage (la porte de garage étant un incoutournable du TPS coop !). Dans le même genre de petites idées biens vues et agréables à l'oeil, lorsqu'on est ciblé en particulier par l'ennemi, la caméra subit une sorte de flottement comme pour nous dire de ne pas sortir la tête de notre cover, le temps que nos coéquipiers nous sortent de la merde. Dans certaines séquences qui semblent inspirées des duels au ralenti de Stranglehold ; nous escortons un otage libéré, la caméra suit les mouvements automatisés du héros, se fige pour qu'on abatte quelques adversaires, puis repart. C'est un peu comme du rail-shooting voire du Time Crisis, mais au lieu d'être générique et déjà-vu, c'est pensé pour s'intégrer naturellement à la licence.

On aura malheureusement aussi de vraies phases de rail-shooting comme on en voit partout, probablement parce que Future soldier ne pouvait pas se débarrasser de tous les clichés de la gen, mais dans l'ensemble, le jeu insuffle sa propre identité aux autres aspects du gameplay.

C'est d'ailleurs un des aspects que j'aime des jeux Tom Clancy, le sens du détail dans certains domaines, notamment l'animation. Les vieux Splinter Cell jouissent d'un très beau travail sur les mouvements de Sam Fisher, les deux Ghost Recon que j'avais essayé, pareil, la façon dont le personnage rampe notamment, qu'on retrouve ici avec de nouveaux mouvements. Mesquin, j'ai mis le jeu au défi ; on peut courir, on peut ramper, et si j'essayais de faire les deux à la suite pour voir si le jeu est foiré ? Et bien Future Soldier y a pensé, le personnage glissant sur ses genoux avant de se plaquer au sol ! I am heureux.

Une grande intelligence visuelle

On se retrouve dans un jeu qui se passe dans la réalité réelle pour de vrai. C'est souvent synonyme de gris et chiant dans les jeux militaires. Mais Ubisoft a de son côté un travail sur la couleur qui évite l'aspect grisâtre et tristounet des décors (sauf sur I Am Alive). Future Soldier va plus loin, avec un travail discret sur les ambiances. Les décors de prime abord pourraient sembler déjà-vus, mais il y a toujours un petit truc accrocheur, dans les détails authentiques (ou du moins qui le paraissent pour moi) comme les affiches publicitaires, dans la météo comme dans la grosse tempête de neige où le froid est limite palpable, dans les ambiances, comme dans cette forêt de nuit, spectrale, avec plus loin une route éclairée. Il y a même un décor d'automne qui, malgré des textures malheureusement pauvres, dégage une tristesse sous sa pluie lourde persistante.

Encore une fois, si les fictions de Tom Clancy sont insipides et sans âme, l'équipe de Future Soldier semble s'être donné comme objectif, certes respecter le cahier des charges, mais de faire son possible pour ne pas être un énième épisode d'une licence dont on confond les épisodes limites interchangeables entre eux. La variété est de mise dans cette bouillabaisse internationale, et même si certains éléments sont récurrents (des véhicules notamment), chaque lieu se détache des autres, chacun a son atmosphère et son ambiance.

Mais là où Future Soldier m'a bluffé, c'est dans son choix de level-design. Habituellement un TPS linéaire a des décors cloisonnés. Les différentes issues sont bloquées pour des camions accidentés, des ruines pour vous pousser à aller là où le jeu l'a décidé. C'est parfois bien fait, comme dans Uncharted où ça me semble naturel d'aller là où il faut aller. C'est plus souvent artificiel, comme les couloirs de Mass Effect 2 et Spec Ops The Line.

Future Soldier a opté pour les murs invisibles. Ce qui veut dire que toutes les rues sont ouvertes par exemple, mais on ne peut pas y aller car on "perd la connexion". Ça permet aux décors de sembler authentiques, à certains espaces d'être immenses même si on ne peut en visiter qu'une infime partie. Notre curiosité de joueur est limitée par les objectifs de notre héros, ce qui me semble tout à fait acceptable, et en contrepartie j'y gagne des espaces beaucoup plus immersifs et beaucoup plus vraisemblables que dans la grande majorité des jeux linéaires. On a souvent l'impression d'être dans un open-world, alors qu'on évolue, pour caricaturer, dans des couloirs. L'effet trompe-l'oeil est un modèle du genre.

À noter que les cadavres disparaissent, des fois même pendant les phases discrètes, ce qui est dommage car il ne reste généralement rien de notre passage.

Petits meurtres entre amis

J'ai joué en Normal et seul, et il faut le prendre en compte, car je pense que l'expérience doit être très différente en coop. En solo, ce n'est pas toujours du TPS, généralement ça a une identité particulière et originale où, à l'aide d'un drone on marque les cibles et on les abat automatiquement, le but étant de le faire dans le bon ordre. C'est généralement assez facile sans être dénué d'intérêt. On peut échouer à plusieurs reprises, mais on finit toujours par trouver la bonne façon de procéder, à part dans certains cas de figures assez complexes vers la fin. Ça a aussi quelque chose de frustrant dans le bon sens ; dans Hitman on peut très bien réussir une mission salement, mais on aimerait faire mieux. Dans Ghost recon c'est un peu pareil, le drone est efficace, mais je sais que sur d'autres runs, je vais tenter de moins m'en servir pour marquer les cibles par moi-même, voire essayer d'en éliminer le plus possible avec un étranglement. C'est donc sur ce plan-là un jeu que j'ai trouvé agréable, mais qui semble aussi posséder une rejouabilité pour les perfectionnistes.

Le jeu a aussi un aspect scoring qui me semble approprié la majeure partie du temps et favorise donc aussi la rejouabilité, avec un système de défis par mission permettant de débloquer des accessoires pour le magasin d'armes. Généralement les défis vont dans le sens du jeu, par exemple éviter de tuer des civils, ou en utilisant sur telle mission moins de 50 balles, toujours dans une optique de perfectionnement, sachant qu'on joue des personnages censés ne pas être là. Même si certains sont plus gratuits, ces défis annexes ont l'avantage de se fondre dans l'univers du jeu au lieu de nous en faire sortir.

Le jeu se renouvelle beaucoup ; dans certaines zones, on peut jouer discret mais l'alerte est permise, dans l'autre elle ne l'est pas, dans un certain pays nos joujoux technologiques seront piratés, dans certaines zones il y aura un timing à respecter. Future Soldier, au lieu de multiplier les gameplays superficiels, repose beaucoup sur le même principe du début à la fin, mais en changeant souvent un peu voire beaucoup la donne, comme cette mission où on aura comme un allié un gros robot lançant mortier et missiles.

Puis y'a aussi du gros TPS, parfois bien explosif ; sauf que c'est le joueur qui fait tout péter, et pas un script façon Uncharted. Quand c'est du TPS, c'est la merde ! Ça tranche radicalement avec les phases où on tue discrétos et à distance avec l'arsenal de Solid Snake dans Guns of the Patriots. On ne comprend limite rien, et si on oublie d'user de nos accessoires, les ennemis semblent sortir de partout à la fois. À la visibilité d'action d'un Uncharted durant ses gunfights, Future Soldier opte pour le merdier incompréhensible si on panique, ou si on y joue comme à un TPS classique en misant tout sur son flingue. Il faudra utiliser nos coéquipiers pour marquer des cibles à la va-vite et changer de vision pour qu'ils se détachent sur les décors. Ça crée une ambiance de guerre très réussie, aussi efficace pour ma part qu'un Killzone mais dans un genre moins assourdissant.

Pour finir le jeu a également un système de couverture dynamique ; en cover, on peut "viser" une cover plus loin, et par simple pression du bouton le héros va courir jusque-là. À noter un très léger auto-aim qui personnellement ne m'a pas dérangé.

Shop-gun

On a aussi un aspect Gran Turismo du flingue où on pourra customiser ses pétoires sur à peu près tous les morceaux ; canon, bouche, crosse, viseur, détente, etc., même des trucs que je ne connaissais pas. Pour les réfractaires, le jeu a eu la bonne idée de fournir des racourcis, genre en misant tout sur la force de frappe ou le confort, ce qui se fait automatiquement. Au début ça ne m'intéressait pas, je trouvais ça trop complexe et mélangeant, mais une fois dedans on en sort plus, puis y'a le stand de tir en un clic pour voir si on est content de son assemblage. Comme c'est justement complexe on a vraiment l'impression de faire son spécialiste, comme les gars qui pensent tout savoir des bagnoles car ils ont joué à Forza, là où un système plus simpliste ne parvient pas à donner cette illusion.

Future Soldier aurait pu facilement introduire dans la licence des choix moraux (sauver les civils ou l'agent de la CIA ?), des fins alternatives, des scènes d'action explosives en QTE, pourquoi pas un aspect RPG et des documents à ramasser dans les quatre coins du niveau pour allonger sa durée de vie. Étrange qu'il ne l'est pas fait, et tant mieux ! Au lieu d'être un énième blockbuster MacDonald faussement original et pas du tout immersif qui se joue à une main, Future Soldier a préféré être un titre d'artisans du jeu vidéo, évitant le plus possible les clichés de cette gen, les contournant quand ce n'était pas possible de faire autrement pour mieux se les approprier (en dehors du rail-shooting). L'équipe en charge de Future Soldier est parvenue à rester fidèle à l'esprit Tom Clancy en lui donnant en prime une âme et de l'élégance, et à mettre une série au goût du jour sans vendre son cul au tout-action. D'une vieille licence vaguement chiante et pénible (pour moi du moins), il en sort un jeu classique dans le noble sens du terme, original à sa manière et qui, à l'image de ses héros, possède des qualités discrètes à la limite de l'invisible, et imparables.