Titre ironique et cruel pour un jeu de médiocre envergure dont on ne parle presque plus, Remember Me n'appartient pas à la caste des grands jeux comme The Witcher ou Metal Gear Solid, ou des grosses baudruches comme Bioshock ou Dishonored. Ce n'est pas forcément la faute à une succession de choix malheureux. Même avec un gameplay malin, Remember Me aurait été voué au grenier de la mémoire de quelques joueurs, dans un coin poussiéreux. Il cumule des tares commerciales ; ça se passe en France, ça n'éclate pas la rétine, ce n'est pas vraiment spectaculaire, ça n'est pas mature (aucun choix moraux), et sa direction artistique ne cherche pas l'originalité gratuite.

Si le jeu a fait bien des erreurs, il y en a une, souvent citée, que je réfute ; on a beaucoup critiqué l'étroitesse des décors, son côté couloir, le manque d'espace. J'y vois là une réussite, probablement involontaire (vu la gueule du reste du jeu). Remember Me a des décors étouffants. On ne voit le ciel que si on lève la tête, et l'horizon, visible seulement en hauteur, est écrasé comme dans un étau formé par les immeubles. Les grands espaces parisiens n'existent plus, ils sont dévorés par des structures rappelant les bidonvilles. L'Arc de Triomphe ou Notre-Dame-de-Paris, notamment, ne font qu'émerger de ce désordre urbain, comme des monuments antiques perdus dans une sorte de Tiers Monde futuriste, un peu à la manière du remake de Total Recall. Si les décors, bourrés de détails et de vie, sont réussis, c'est pour moi en partie grâce à ce choix. On prend toujours une seconde pour admirer un horizon castré, parce qu'ils sont rares, comme une bulle d'air. Montrer un Paris sublime et impérial, offrir aux joueurs les grands espaces qu'ils attendent, c'est le choix des tocards du genre de chez Naughty Dogs (souvenez-vous de la pointe du sous-marin dans le 1 avec le coucher de soleil). Remember Me lui ne fait pas dans la carte postale, il a peut-être une vision d'un Paris futuriste où une ville ample et immense d'antan est devenue un trou à rats à tous les étages.

Son premier défaut de conception (en gros toute la partie LD est navrante), c'est de nous faire traverser cette ville via de la plateforme de jeu vidéo à base de tuyaux et autres conneries, avec des indications à chaque fois car tout est arbitraire. Bon, plateforme du pauvre en plus, à peine plus élaborée que dans un Uncharted, mais même bien faite, ça ne marcherait pas. À quelques reprises, pourquoi pas ? Mais il aurait fallu des décors labyrinthiques, sournois, bourrés d'impasses et de ruelles, des décors ramassés à secrets typiquement français en somme, avec un aspect discrétion et fuite pour éviter la police ou autres. Trouver son chemin parmi diverses options, passer par les toits, et façon vieux Splinter Cell avec le poids et la lenteur humaine quand il s'agit de s'accrocher, et non les nouveaux avec la gravité lunaire. Ça aurait par ailleurs cassé le dirigisme du titre. Tout de même, les décors sont régulièrement bourrés de morceaux de vie quotidienne. On grimpe la façade d'un immeuble, une femme nous voit et ferme sa fenêtre. Discret, et pertinent. On passe par des ruelles animées, et les tags sont sympas. Dommage que ces décors ne soient que décoratifs, faute à un LD qui va tout droit sans réfléchir. Ainsi, premier défaut ; copiez des tocards.

Second défaut, son système de combat, sympathique à jouer malgré une caméra pas au point, mais basé sur un principe approchant trop des Batman AA, avec en plus une touche futuriste censée justifier des aberations du genre "Si je te frappe comme ça je regagne de la santé". J'y aurais vu plus de Streets of Rage, c'est-à-dire que lorsqu'un adversaire nous tient, on peut se faire frapper par un autre ou avoir des options offensives, et aussi un système basé sur les contres, les clés de bras, etc., parce que c'est quand même juste une fille athlétique face à des mâles globalement bien bâtis, quand ce n'est pas carrément des gorilles. Donc un jeu défensif pour des questions de crédibilité. Autant dire que le choix d'une femme ne sert globalement à rien, si ce n'est à galérer pour trouver un éditeur.

Sur ces deux points Remember Me échoue en se basant sur des valeurs sûres d'un point de vue commercial, mais pas forcément ludiques. Il échoue à renforcer son identité, car globalement ça se joue tout de même sans souci pour peu qu'on ne soit pas trop regardant sur la cohérence entre gameplay et univers.

Car il a une identité. Malgré un doublage anglais, ou français international sans accent (avec synchro labiale ratée), malgré des personnages aux traits génériques, et des passages embarrassants face à des boss très jeux vidéo, Remember Me propose un univers qui passe majoritairement par ses décors, la mise en scène de ces derniers, et son scénario plutôt agréable à suivre. Je pense qu'on ramasse des documents, mais si c'est le cas il ne s'ouvre pas à l'écran, merci. Le background du jeu, c'est le jeu. Pas un codex, pas des dialogues où les PNJs se transforment en guide touristique, mais des environnements, la manière dont le futur est implanté dans le passé (Paris n'est pas une ville futuriste, mais une ville avec des aspects futuristes, et cette nuance fait tout le sel des décors).

Les cinématiques interviennent souvent mais pas de manière envahissante, s'incluant de manière logique elles donnent un rythme propre au titre, et sont liées intimement aux phases de jeu par le soin méticuleux accordé aux mises en scène dans les décors traversés. Si ce n'est son gameplay AAA, et donc un LD artificiel arène et tuyaux (mais LD attenué par la direction artistique), on ne joue pas, on baigne dans Remember Me.

Alors là, vous vous demandez pourquoi seulement 4, et pourquoi ai-je parlé de médiocre envergure ? Parce que la baignade se fait dans de l'eau sale, les devs ont pété dedans. Parce qu'il tombe dans des clichés de jeu vidéo. Le jeu se passe en France, et réalisé par des Français, mais les persos ont des prénoms anglais en grande majorité, tout comme les ennemis ou les technologies (spammer, leapers, etc.). Stéréotypés, les persos n'ont aucune nuance, ce qui donne comme je le disais plus haut des passages embarrassants quand les plus caricaturaux sortent des répliques, et le reste du temps c'est insipide. L'héroïne c'est le genre nouvelle Lara Croft, rebelle et tête dure mais mignonne et sexy quand même. On a une méchante du genre aristo bien lourdingue, c'est-à-dire qu'au lieu d'avoir la classe comme l'ambitionne le chara-designer, elle se tape la honte. Et l'une des femmes a pour traumatisme un accident qui lui a... ben je sais pas. Un problème de jambe mais qui ne l'empêche pas de marcher ?! Pourquoi ne pas l'avoir défigurée ? Au moins là c'est clair comme traumatisme.

Puis ce gameplay à super pouvoirs façon tocards du jeu vidéo (Dead Space, Bioshock, Dishonored, etc.)... Dans Remember Me les personnages ont une sorte de cercle holographique sur la nuque, entrée de leur mémoire. L'héroïne peut piller qui elle veut grâce à un gant magique, et piller ce qu'elle veut. Tu veux savoir mon numéro de carte bancaire ? Pas besoin de fouiller dans ma mémoire, tu appuies sur un bouton façon Watch_Dogs et c'est téléchargé direct, même pas de système de protection de la mémoire, rien. Super crédible. Puis bon elle a un gant magique alors autant s'en servir. Donc on ouvre jamais les portes comme à l'ancienne, mais en balançant un flux de je sais pas trop quoi. Mieux, le gant peut faire mitraillette ou fusil à pompe (à flux), et même de la télékinésie. Pendant les combats ça peut déclencher des pouvoirs. En gros faut que le gameplay fasse futuriste, alors qu'en fait on s'en fout totalement. Le personnage aurait été normal avec des capacités normales, et des mini-jeux futuristes seulement de temps en temps comme pour le piratage par exemple, ça aurait bien mieux fonctionné. Mais non.

 

Triste de se dire qu'un type reconnu a travaillé comme un fou furieux pour fournir un univers dense, et que des devs l'ont broyé dans l'étau du jeu vidéo, avec des persos en carton, un gameplay hors-sujet dans le meilleur des cas, ou décrébilisant l'univers dans le pire. Un peu comme si Fondation d'Asimov était adapté pour devenir un The Raid futuriste. Je ne parle pas des Remix, considérés comme le point fort du jeu ; c'est anecdotique. On change l'issue d'une cinématique en modifiant des éléments, rien de folichon là-dedans. Si on avait eu le choix entre plusieurs issues, pourquoi pas ? Mais là on fait juste modifier des trucs au hasard jusqu'à ce que ça fonctionne.

Imaginez Germinal version jeu vidéo. On enlève la misère sociale, on la transforme en "À cause des riches qui veulent que s'enrichir en faisant des expérimentations scientifiques, les mineurs deviennent des zombies dans les mines à cause d'un nouveau virus, le Carbonite 700H, mais Lantier, qui est l'Élu, développe des super pouvoirs à la place et il peut tuner sa pioche pour améliorer ses combos...". Ben Remember Me, quand on sent le potentiel derrière, en surface c'est globalement un gâchis aussi con. Donner du background à des devs, c'est comme donner de la confiture à des cochons.