J'ai cru et j'ai été puni. Pas parce que le gourou m'avait menti, ni parce que ce qu'on m'avait montré était une illusion d'optique; un mirage galactique... Parce que j'ai mal calibré mon désir. Dans tout cet amas de technologie, dans cette démonstration technique quasi géniale, presque miraculeuse, mon esprit s'est perdu. Un pourcentage trop élevé d'excitation - une virgule mal placée. J'ai cru en ce que j'ai vu et le problème n'est pas là - je n'aurais pas dû croire. Je n'aurais pas dû croire parce que ce que j'ai vu n'était pas vraiment ce que je voulais.
No Man's Sky n'est pas un mensonge. Ce qu'on nous a montré est exactement ce qu'on a eu. J'ai cru en la direction artistique, tellement inspirée alors qu'on nage dans une industrie qui encourage le réalisme à outrance; j'ai cru en la musique, par ailleurs excellente; j'ai cru au gameplay, en théorie intéressant; j'ai cru à la génération procédurale, en pensant qu'elle puisse se mettre au service de l'ambiance; et plus fou, sans doute, j'ai cru à la poésie du voyage solitaire dans l'espace immense. Et donc, les sources de la croyance ne sont pas mystérieuses; la vraie question est : comment ai-je pu penser que ça pourrait suffire ?
Au fond, ce voyage m'aura rappelé quelque chose d'important : sans trame, un jeu vidéo n'est rien. Sans trame, pas d'histoire à part celle qu'on se force à s'inventer soi-même, ce qui est beaucoup mieux les yeux fermés que dans des univers aléatoires. Sans trame, pas de mise en scène, pas de rebondissements, pas d'expérience de jeu, pas de progression à part des jauges qui se remplissent et des variables qui s'incrémentent. La narration, d'une manière ou d'une autre, est essentielle.
Avec du recul, tout me parait tellement évident : moi qui place l'écriture et la mise en scène au-dessus de tout, comment ai-je pu penser que j'allais survivre dans ce ciel-là ? Mais j'ai pu survivre dans Minecraft. No Man's Sky serait à priori un Minecraft sans construction - ce qui est déjà un sacré désavantage quand on y pense et ce qu'on gagne au change ne fait franchement pas l'affaire.
La beauté - ouais, mais la beauté et la poésie ne sont pas grand-chose sans mise en scène; et même quand elle est proposée, on peut rester bouche bée devant les décors d'Uncharted, Tomb Raider et quelques panoramas de Dark Souls 3 et autre... Pendant environ 30 secondes, maximum. L'expérience visuelle est essentielle mais elle fait partie d'un tout : au final, les jeux contemplatifs ont une durée de vie réduite. Encore une fois, aucun mensonge. J'ai cru aux trailers - en oubliant que les trailers, eux, sont mis en scène. Ce n'est pas la première fois ces dernières années que je rencontre des jeux dont les trailers sont meilleurs que les jeux.
Deuxième leçon, j'ai cru à l'ambition. Mais quelle ambition ? Je passe mon temps à déprimer en me disant que les jeux vidéo modernes passent plus de temps à créer des mondes gigantesques qu'à réfléchir à comment rendre les rendre marquants et intelligents et voilà que je me laisse emballer par un univers de milliards d'étoiles générées à la volée.
Les moments marquants des jeux vidéo ne se passent pas dans les grandes plaines désertiques, ni dans les forêts verdoyantes, ni dans les ruelles de cités démesurées : ils se produisent dans les donjons faits main, à l'intérieur des tours et des prisons, dans les recoins étroits des temples, dans les laboratoires secrets sous la ville ou le manoir hanté sur la colline.
C'est ça que j'aimerais faire comprendre au sujet de l'open world : oui, vous avez votre univers géant et pour ceux qui aiment, c'est super, mais l'intérêt des jeux vidéo s'est toujours trouvé dans les lieux fermés, là où il ne suffit pas de pondre 36 quêtes répétitives pour vous occuper l'esprit mais au contraire, là où il faut surprendre, embrouiller ou émerveiller, là où l'écriture et la mise en scène prennent tout leur sens. Et plus les anciennes grandes licences se plongent dans l'open world, plus j'en suis convaincu : MGS5 s'y est perdu, FFXV le risque aussi et Zelda, traditionnellement jeu de donjon, m'apportera surement ma réponse.
La troisième leçon est plus tranchante - la génération procédurale, dans mon esprit, est passée à la guillotine. Ce qu'on explore dans ce jeu, c'est l'étendu d'un algorithme. Une centaine de lignes de code, sans doute, avec un paquet d'exceptions. Des assets empilés forment des créatures, colorés par RNG et leur caractère est décidé par un jet de dés.
Pour quiconque comprend la programmation, le désespoir est immédiat une fois que vous avez entraperçu les limites de l'algorithme... Vous êtes au milieu d'une boucle et vous n'allez jamais - jamais - en sortir. Dans trente ans, quand les IA créeront à la volée leurs propres assets, peut-être que ce sera intéressant de voyager à l'intérieur d'un générateur géant mais le deep learning & co ont encore du chemin à faire...
D'ailleurs, No Man's Sky reprend une formule classique des jeux indies, adaptée à la création de jeux "longs" par des petites sociétés; explorer afin d'explorer plus, miner afin de miner plus, vendre afin de vendre plus, survivre afin de survivre plus - une sorte de loop à la Diablo / rogue-like projetée dans un univers aléatoire; oui, en fait, vraiment un dungeon crawler. Comment ai-je pu croire que c'était un jeu pour moi ?
Comme ils disent en gek : illegna ! Je ne verrais sans doute jamais le centre de l'univers mais je n'en veux certainement pas à No Man's Sky. C'est ma faute : je me suis trompé.