Final Fantasy. Silent Hill. Resident Evil. Castlevania et bien d'autres. J'ai regardé toutes mes séries favorites s'écrouler ou disparaître les unes après les autres; la plupart d'ailleurs depuis maintenant près de dix ans. Et si la magie et la nostalgie des Kingdom Hearts et l'ambiance exceptionnelle des Bioshock/Dishonored ont été des joyaux dans l'océan de charbon qu'est devenu le jeu vidéo console, je n'ai pu faire autrement que passer le temps avec des jeux PC (merci Blizzard), tout en comprenant bien que ceux-ci ne combleraient pas le manque. J'avais même perdu tout espoir dans la dernière de mes séries fêtiches, MGS, en jouant à l'infâme épisode 4 quand j'aperçus, volant au dessus de la mêlée du dernier E3, le trailer signé du V...
Ainsi, maintenant que Ground Zeroes est sorti, fini, bouclé, et qu'il a confirmé tout ce que nous avions prévu, il est temps de voir plus loin et de se demander si celui pour qui il a préparé le terrain ne sera pas LE jeu qui nous sauvera tous... J'exagère, bien sûr, mais peut-être pas tant que ça. Jamais je n'ai attendu un jeu autant que Phantom Pain. Et il y a des raisons à cela.
Cependant, le but n'est pas ici de disséquer totalement ce que nous apprend Ground Zeroes sur ce que sera Phantom Pain. Ce serait beaucoup trop long, au grand dam de ses détracteurs. L'idée est d'essayer d'analyser le changement général dans la série et de se focaliser, pour ne pas trop se perdre, sur ce qui compte et comptera dans MGSV : la qualité du produit et surtout, le gameplay.
Refonte structurelle
La plus grosse différence, en apparence, est l'ouverture du monde. Je n'ai pas grandi avec les Elder Scrolls et autres piliers de l'open world qui sont maintenant devenus des références pour Kojima et pour la plupart des genres, notamment ceux qui nécessitent une narration forte (RPG principalement), j'ai toujours de gros doutes quand à l'utilisation de ce design. Pour un jeu d'infiltration par contre, je cerne maintenant parfaitement l'intérêt.
Le sniper à chercher (MGS1), la structure circulaire de la Big Shell (MGS2), Groznyj Grad (MGS3)... Autant d'occasions de "revivre" des phases de gameplay de la même façon ou depuis un angle différent, autant d'occasions de se venger discrétement des gardes qui nous ont vus au premier passage. D'un point de vue gameplay, c'était la faute la plus grave de MGS4 : à l'instar d'un FFXIII, ce n'était pas un couloir... C'était une impasse permanente. Aucun retour en arrière possible - un level design atroce qui réduisait grandement l'intérêt du jeu hors cutscene.
On ne sait pas exactement comment sera mis en place le jeu, si la narration sera hachée comme dans les chapitres/missions d'un Peace Walker (pitié, non) ou continue comme dans les anciens. Dans tous les cas, on pourra (et surement devra) revenir sur ses pas, affronter les mêmes situations, prouver et se prouver qu'on peut être un véritable fantôme non pas une fois, mais sous tous les angles, dans toutes les conditions (jour/nuit, météo changeante) et c'est bien ça qui est le principe d'une simulation d'infiltration : maîtriser le jeu à la perfection. En bref, le level design devrait permettre de profiter jusqu'au bout du gameplay génial qu'on a aperçu sur Ground Zeroes.
Hard mode & Contact lens
Dans un sens, le jeu ne s'adresse pas aux novices, malgré les soi-disants efforts pour améliorer l'accessibilité. Je l'ai lu dans plusieurs review de Ground Zeroes et je suis d'accord : GZ est un jeu pour les die-hard fan de la série. La frustration de se faire repérer est toujours présente, à peine diminuée par l'apparition des checkpoints, le reflex mode et certains légers changements, comme la possibilité de 'freeze' un garde depuis des angles plus ouverts voire carrément de face s'il se retourne trop vite ce qui permet d'éviter quelques situations grotesques du passé.
Kojima a parlé de simulateur d'infiltration. À plusieurs reprises, j'ai ressenti cette même sensation, notamment aux premiers run. Au delà du boost des mouvements de Big Boss, de l'amélioration de l'IA des gardes (mention spéciale au garde sur le mirador qui vous repère, appelle un collègue proche pour qu'il aille vérifier pendant que lui continue à vous fixer - oui, vous êtes foutus) et des différences au niveau du level design, un seul changement bouscule absolument tout... Les lentilles de contact.
Vous le voyez ? Lui va vous voir...
Beaucoup de progrès ont été effectués à ce niveau depuis les années 60 avec l'utilisation de nouveaux matériaux, notamment le Soflens en 1971. Ground Zeroes se déroulant en 75, cette joyeuse bande de Marine en est vraisemblablement équipée. La technologie semble d'ailleurs avoir disparu au fil des années, conduisant à une quasi myopie des soldats du XXIe siècle.
Sérieusement, cette vision à 50-60m (voire plus en hard), verticale, latérale, en somme réaliste, modifie totalement la façon de jouer. Le monde ouvert, les gardes placés à distance de vue, tout est fait pour que vous ne puissiez pas en isoler un sans vous exposer au regard d'un autre.
Ghost & Skull
J'en viens à ce que je considère comme la façon ultime de vivre l'expérience MGS, d'autant plus jouissive avec cette accumulation d'éléments réalistes et qui prendra tout son sens quand vous serez lâchés en Afghanistan. Furtif, sans arme voire sans jamais éliminer d'ennemis. Lâchez votre Windurger No.2 et adopter l'art de jouer fantôme.
Oubliez les speed run pour atteindre le rang S. Oubliez votre connaissance de la position des ennemis, de la durée de leurs patrouilles, de la vitesse de leurs mouvements. Oubliez cette manière mécanique de jouer à MGS. Phantom Pain ne sera pas ainsi parce que Phantom Pain ne sera pas une mission répétitive dans une base close de plus en plus étroite à chaque run.
Sens de l'observation, planification, exécution... Ça, vous connaissiez déjà. Le simulateur d'infiltration requiert surtout de nouvelles compétences. Il sublime l'audace et l'intelligence de jeu.
Le premier passage qui me vient à l'esprit quand je pense au culot nécessaire va être un peu dur à décrire.
Vous avez sauvé Chico et vous venez de secourir Paz. Elle est là, sur vos épaules, en train de rire comme une folle (ce qui n'attire d'ailleurs pas l'attention des soldats, à ma grande surprise et une certaine déception). Sa disparition est découverte, la base passe en alerte et vous décidez de sortir par l'ouest, près de la porte d'entrée. Arrivé devant le conduit où vous avez l'habitude de ramper, vous blasphémez un bon coup en vous rendant compte que la fillette (25 ans ? SERIEUSEMENT, KOJIMA ?) ne peut pas être mise dans votre sac et que vous ne pourrez donc pas y ramper. Un blindé a eu la bonne idée de se mettre juste en face et vous avez du mal à déterminer son champ de vision, que vous associez maladroitement au canon de sa tourelle. Deux gardes en haut du mirador, un garde près de la porte et après un bref et dangereux coup d'oeil de l'autre côté, là où vous comptez passer, vous réalisez qu'un vicieux s'est positionné près de la sortie du conduit, en angle droit de façon à ce que vous ne puissiez pas l'endormir d'une bonne balle dans la tête. C'est là que l'audace et l'exécution intervienne. Vous planifiez, vous agissez... Et vous priez.
Ou alors, vous shootez tout le monde, vous passez au moment où la tourelle tourne la tête et vous neutralisez le vicieux à l'aide d'un reflex mode dégueulasse. Dans MGS, soit vous êtes un fantome... Soit vous n'êtes pas grand chose.
L'exigence. C'est une des choses que j'ai ressentie en jouant au hard mode. Vous êtes poussés à l'excellence, vous devez être plus prudent, plus précis, plus rapide dans l'exécution des gestes. Et sans le reflex mode, la moindre erreur est punie. Vous jouez avec les limites de la vision, en anticipant ou en supposant certains comportements ennemis parce que vous ne pouvez pas passer votre temps à les observer tous en même temps. Et le feeling est fantastique.
Faites un pas sur la gauche. Quarante mètres, deux grillages, entre deux panneaux et une palette ? Oui, en hard mode, il vous voit. L'exigence...
Superproduction
Un mot sur la longueur du jeu, un point qui rejoint le fait de passer en open world. Je ne reviendrais pas sur la polémique de GZ, inutile. Kojima a lâché assez suffisamment de fois le nombre 200 pour qu'on puisse le considèrer comme un véritable ordre de grandeur, sans doute même une approximation réaliste. Phantom Pain sera immense. J'ai passé 15h de jeu sur une zone assez petite et pas franchement truffée de détails et de secrets. Sans doute trop, ceci dit, alors considérons seulement la moyenne d'un premier run de la mission principale, soit environ 1h15-1h30. Je ne ferais pas une bête multiplication parce que les maps seront probablement moins denses, avec des zones de transition, mais vous imaginez la taille du jeu... Kojima avait évoqué 25h de gameplay (ce qui est beaucoup pour un MGS), je tablerais plutôt sur 40 maintenant, sans parler de la rejouabilité habituelle de la série. C'est une des autres raisons de mon optimisme - je ne critiquerais pas forcément un jeu trop court mais j'applaudirais un jeu long. Particulièrement depuis qu'ils se font rares...
Je finirais sur la mise en scène et les dialogues. J'avais été terriblement déçu (et étonné d'ailleurs) par le 4 (tout à part la fin) et seulement légèrement rassuré par Peace Walker. Je partais d'ailleurs du principe que Kojima n'était plus vraiment capable de bien faire à ce niveau-là et que favoriser le gameplay par rapport au scenar était donc une bonne chose. Mais GZ, même s'il montre qu'il n'y aura plus ces cutscenes géniales et ces discussions interminablement délicieuses (et drôles) sur codec/radio, prouve qu'il peut encore assurer. Hormis l'utilisation abusive à mon goût du plan séquence, tout est impeccable. Si vous avez écouté les cassettes, vous comprendrez - jamais une bonne heure de blabla audio ne m'avait semblé aussi intéressant. Skullface m'a l'air d'un bad guy mémorable, le récit de Paz est troublant et bien pensé, les dialogues sont de qualité (une qualité très rare) et l'utilisation de la chanson dans la narration est admirable. Ce n'était pas gagné : on revient quand même de l'enfer avec MGS4 (bon dieu, souvenez-vous de cette scène avec Meryl et Johnny avant la fin), qui n'est sauvé que par son intro et son heure et demi finale.
Ainsi, Phantom Pain sera tout ce que l'on suppose quand on pense à un vrai MGS : une superproduction (mise en scène, musique, gameplay béton, grandeur, graphismes, voice acting) mêlée aux ingrédients habituels de Kojima (la profondeur, l'innovation, le sens du détail et l'humour). Je suis persuadé, de ce que j'ai vu, de ce que j'ai lu, de ce que j'ai goûté avec GZ, qu'il sera un grand jeu. Et j'irais plus loin : niveau gameplay, niveau expérience de jeu, peut-être bien le jeu de la décennie.
Expérience de jeu. Et c'est là qu'est mon hésitation. Kojima a expliqué en longueur que son jeu serait moins axé sur les cutscenes à outrance du passé. Il est probablement allé au bout de son idée avec MGS4 et cette fin aussi longue qu'un film entier. Cependant, d'après moi, en abandonnant ce principe, cette volonté de rapprocher le jeu vidéo d'un film ou d'un roman, autant au niveau des thèmes abordés que de la profondeur du background ou de la réflexion qu'il impose, il sacrifie son ambition au profit du gameplay.
Ceci étant dis, je me suis rendu compte qu'il n'avait vraiment recherché et atteint cette dimension que dans un seul épisode. MGS2 abordait des thèmes allant au delà du jeu vidéo, devenant finalement plus proche d'une œuvre d'art s'intégrant à notre vie. Des théories assez poussées sur l'univers numérique qui était encore en développement à l'époque, des ébauches de réflexion (ça reste un jeu au final, malheureusement) sur le passage de flambeau entre générations, notre lien à l'information, etc. Et ce jeu vidéo plus proche de l'art, c'est justement ce que défend toujours Kojima...
Or pour moi, il s'en éloigne. On verra ce qu'il fait des "thèmes matures" dont il se vante à moitié. Peut-être arrivera-t-il, sans vraiment le vouloir cette fois, à atteindre cette dimension supérieure que très peu de jeux ont atteint (narrativement, sur les thèmes choisis, je pense surtout à Silent Hill 2 voire à Xenogears) et il combinerait donc gameplay, scenario et ambition pour créer un jeu total. Même à moi, ça me semble aussi utopique que la Mother Base de l'ami Snake. Partie en fumée mais reconstruite avec talent une dizaine d'année plus tard.
Il y aurait encore beaucoup à dire... Mais il faut savoir s'arrêter.