Réalisé en Novembre 2012 dans le cadre d'un cours sur les liens entre Cinéma et Jeu-vidéo à l'UM3, cette réfléxion se penche sur le rôle du genre Cyberpunk dans la perméabilité grandissante entre différents styles de gameplay dans les années '90 en mettant en avant quelques exemples.

Veuillez m'excuser si quelques simplifications et précisions - nottament sur les "genres" vidéoludiques - semblent être des rappels innécessaires: Vous comprendrez que cet article s'adresse avant tout aux profanes.

 

Le genre cyberpunk est majoritairement représenté dans les genres vidéoludiques du FPS, du RPG et du Point & Click. Il est, en outre, un des principaux instigateurs de l'hybridation entre ces différents genres.

 
 - Le RPG: Le Role Playing Game, ou Jeu de Rôle, propose des mécaniques de personnalisation de l'expérience du joueur (personnalisation de l'avatar du joueur, de ses compétences, de ses choix) et une différenciation entre le temps du jeu et le temps du récit permettant d'étendre le jeu sur la durée et de proposer une progression lente laissant la place au développement d'une intrigue longue et permettant l'exploration d'un univers cohérent, souvent un continent ou une planète entière avec ses lieux notables (villes, autochtones, diverses régions à la topologie et aux climats variés...). Les mécaniques de jeu d'un RPG laissent souvent au joueur une large palette de stratégies et d'approches.
La culture hacker célèbrée par le Cyberpunk y trouve donc un terrain abordable de meta-jeu et d'optimisation. La personnalisation des personnages et de leur évolution sur les plan technique et scénaristique permettent un attachement du joueur à leur avatar et une implication accrue dans l'univers fictionnel et la trame narrative.


- Le FPS: La vue à la première personne permet une confrontation directe du joueur à l'environnement de son avatar, lui permettant de constater de visu, d'être le témoin direct et acteur privilègié des évènements décrits dans le jeu.


- Le P&C: Le point & Click pose au joueur une série de problèmes/énigmes à résoudre par différentes manipulations de l'environnement et une gestion des objets de son inventaire, mais aussi de l'information, les dialogues à choix multiples étant souvent de mise; l'interaction avec d'autres personnages permet une exposition scénaristique du contexte, de l'univers du jeu, et consiste aussi une part du gameplay: Poser les bonnes questions, répondre les bonnes phrases, échanger tel objet avec le PNJ permet de débloquer une situation et d'avancer dans le jeu.
Là encore l'esprit analytique du joueur sera mis à contribution et une partie de l'expérience encourage l'exploration d'un environnement, l'exposition d'un univers fictionnel, le dénouement d'une trame narrative.


Dans les 90's on assiste au deuxième âge d'or du jeu-vidéo. Les cartes graphiques accélèratrices 3D et les nouvelles consoles de jeu donnent de nouvelles possibilités dans la création d'univers fictionnels dans le JV tout en soulevant des interrogations qui relancent l'intérêt pour le Cyberpunk. Certains genres vidéoludiques cherchent à se renouveler. Le P&C tombe en désuètude, la Plateforme peine à s'adapter à la 3D, le FPS est en plein essor mais ses productions ont du mal à se démarquer entre elles autrement que par la surenchère technique et graphique. Certains genres commencent à se fondre au sein d'autres. Les P&C et les FPS embrassent la personnalisation proposée par le RPG et le genre cyberpunk est un fer de lance de cette pratique.

 

 - Le P&C/RPG: Deux exemples majeurs de cette hybridation sont BloodNet (MicroProse, 1993) et Blade Runner (Westwood, 1997).
Bloodnet permet de personnaliser son personnage via un système de "classes" et de statistiques dérivés du RPG, de même qu'au personnage principal pourront s'ajouter d'autres personnages qui formeront une équipe à gerer par le joueur. Le joueur pourra personnaliser son avatar, Ransom Stark, par exemple en choisissant au début du jeu son orientation (hacker, escroc/débrouillard, mercenaire). Le personnage est atteint du Hopkins-Brie Ontology Syndrome (une maladie fictive qui entraine son porteur à ne plus distinguer le réel du virtuel) qui l'ont entrainé à perdre son travail dans une société de technologies de pointe avant d'être sauvé par un implant expérimental et d'ouvrir une agence de détective. Le jeu se déroule dans un cadre cyberpunk auquel viennent s'ajouter des éléments de roman gothique fantastique (vampires, ambiance oppressante) et de roman Noir. On se déplace entre les différents lieux par le biais d'une carte de la ville, de la même façon que dans un RPG. En parralèle du monde "réel" des protagonistes, on est amené à explorer un cyberespace dont on débloque l'accès aux différents points par le biais de codes à trouver dans le monde du jeu et qui permet de regrouper des indices pour l'enquête du protagoniste. Le jeu mêle phases d'exploration et de résolution d'énigmes, dialogues à choix multiples et combats. L'inventaire du personnage permet de gèrer son équipement mais aussi de combiner et créer différents objets utiles à la progression.
Si BloodNet a été salué pour son ambiance, son scénario et son concept, il est malheureusement victime d'une mauvaise exécution et les nombreux défauts dans le game design du jeu (d'une interface mal branlée à une intègration maladroite des éléments des deux genres entre eux, les compètences tirés du système RPG s'avèrant par exemple toutes destinées au combat plutôt qu'aux parties hacking/énigmes/dialogues) et sera un échec.

L'essai ne sera transformé que plus tard par le Blade Runner de Westwood Studios dont nous avons déjà parlé. Cependant il laissera de côté les éléments de statistiques chiffrées et de combats du RPG pour n'en reprendre que les composantes d'évolution narrative et de gestion d'inventaire, ce qui est encore aujourd'hui une constante dans les P&C/RPG.

 

 - Les FPS/RPG: System Shock (Looking Glass Studio, 1994) met le joueur dans la peau d'un hacker dans en 2072. Se compromettant pendant le piratage du système informatique de la megacorporation TriOptimum, il est capturé et emprisonné dans une station spatiale appartenant à cette même compagnie. Il est alors contacté sur la station par un agent haut-placé de TriOptimum qui le charge de pirater SHODAN, l'intelligence artificielle (IA) de la station, pour en prendre le contrôle, en échange de l'abandon des charges qui pèsent contre le protagonniste. Ce dernier accepte et se voit implanter une interface neurologique lui donnant accès au cyberespace. Il pirate l'IA mais tombe dans le coma suite à l'opération. Lorsqu'il se réveille, l'IA a pris le contrôle de la station et changé l'équipage en cyborgs sous son contrôle, le piratage ayant eu pour effet de supprimer les contraintes éthiques programmées dans l'IA. Rebecca Lansing, consultant de TriOptimum en affaires de contre-terrorisme, aide alors le joueur, via contact radio, à déjouer les plans de SHODAN et s'enfuir. Le jeu se présente comme un FPS avec résolution d'énigmes, souvent par le biais de piratage du cyberespace. Des éléments de RPG se retrouvent dans la gestion de l'inventaire, l'amélioration des armes et outil du personnage, le calcul de statistiques chiffrées et de résistances/vulnérabilités à certains types de dégâts pour les combats. L'exploration de la station et la relative ouverture de ses environnement ainsi que le choix entre différentes approches pour résoudre les énigmes et autres situations freinant la progression du joueur font encouragent le gameplay emergent, faisant une nouvelle fois la part belle à la culture hacker.

 

Strife (Rogue Entertainment) et Daggerfall (Bethesda Softworks) sont en 1996 parmi les premiers jeux à proposer un RPG en vue subjective. Le premier étant cependant celui qui intègre le plus la fonction de "shooter" du genre FPS et se déroulant dans un univers Cyberpunk, c'est celui que nous traiterons ici.
Contrairement à de nombreux FPS Strife propose un monde cohérent explorable plutôt que divisés en plusieurs "niveaux" à parcourir. L'action se passe dans un monde où l'Ordre, une secte religieuse composée de cyborgs domine le monde et convertit de force les dernières populations humaines. Le joueur prend le rôle d'un membre de la résistance et devra reconstituer un artefact nommé "Sigil" (sceau en anglais) afin de défaire les leaders de l'Ordre: Le Programmeur, l'Êvèque et le Maître Historien, dirigés dans l'ombre par un mystèrieux extra-terrestre, l'Entité. Le joueur peut converser ave différents NPC et certaines de ses actions et choix de dialogue influencent le déroulement du scénario. Il peut par exemple se ranger du côté de l'Entité, ce qui modifie une partie de la progression du jeu et donne accès à une fin alternative (3 fins en tout). Les environnement qu'il visite portent les conséquences de ses actions, qui perdurent lorsque le joueur quitte une zone.

Strife et particulièrement System Shock et sa suite (System Shock 2, Looking Glass Entertainment/Irrationnal Games) inspireront Deus Ex et BioShock. Deus Ex principalement poussera le concept FPS/RPG et les thématiques cyberpunk vers la reconnaissance grand public.