Ce n’est pas Silent Hill qui a perdu de son aura ces dernières années, c’est le genre survival-horror en lui-même, qui s’est divisé en plusieurs entités, comme en témoigne ce fossé qui sépare les deux épisodes de la PS3, SH Homecoming et SH Downpour.

 

Le problème Silent Hill

Jamais l’expression « aux petits oignons » n’a pu être appliquée au gameplay d’un Silent Hill. Le personnage est toujours pataud, lourd, certes on nous dira que c’est normal vu que c’est un type lambda plongé en enfer, etc., mais franchement, la série ne brille pas par son système de combat et de déplacement. C’est le premier point de différence entre Homecoming et Downpour.

Dans Homecoming, Alex est un militaire, ce qui implique qu’il sait manier couteaux, flingues, fusils de chasse, il fait même des roulades type GIGN. Même si les touches sont étrangement pensées (maintenir L2 avant d’appuyer sur bouton de coup), on a là une esquisse de gameplay nerveux et récompensant les réflexes et la stratégie. Surtout que le bestiaire est bien pensé et les boss, mémorables

Au lieu de ça, dans Downpour, Murphy doit affronter des créatures des mines, des sorcières (et aussi de redoutables bugs d’affichage…), mais les ennemis ont une telle absence de pattern que tous les affrontements se ressemblent. Ajoutez à cela la possibilité de ramasser tout ce qui traîne, on a un héros qui porte une chaise de façon ridicule, un piolet, une bouteille. Sachant que le flingue peut être abandonné par mégarde, le perso ayant ramassé par hasard une pioche et qu’un méchant bug nous empêche de récupérer le flingue… Il n’y a pas de boss dans Downpour : la progression n’est pas entravée par les ennemis, les game over ne prêtent pas à conséquence, et même la difficulté la plus ardue reste une balade dominicale.

On l’aura compris, rien que par le gameplay, Homecoming joue la carte du survival là où Downpour ne tient pas du tout compte de l’aspect « survie » ou performance du joueur. Prenez « Scarlet », boss en forme de poupée de Homecoming, où je suis arrivé avec très peu d’énergie et zéro balle, et où la bataille fut rude et maintes fois recommencée… C’est ça qu’on aime dans les jeux vidéo : ce moment où la difficulté nous bloque, où avant de retourner au charbon on doit se taper les mêmes cinématiques, les mêmes dialogues, les mêmes scènes : en l’occurrence, un vieux gars en slip qui délire, ensanglanté, agenouillé dans une salle des machines éclairée par le trou d’un grand ventilateur, avec ce fameux jeu d’ombres des hélices qui se propagent dans la pièce. S’il y a des scènes mémorables dans Downpour, elles ne restent pas longtemps en mémoire : la trop grande facilité de la progression empêche les images de s’imprimer dans la rétine (le combat avec le Croque-mitaine, les immenses aiguilles des horloges infernales). Downpour n’est pas un survival, juste un jeu d’horreur. Homecoming, lui, privilégie l’action, au détriment d’un aspect horror appauvri, réduit à presque rien.

 

Un truc de balade mentale

Au cœur de l’expérience vidéoludique, la série SH est unique, cela dû surtout à l’épisode 2 et à son ambition scénaristique comme artistique. Depuis, les Silent Hill sont des jeux où tout n’est que mental, dans la tête du personnage principal : bien que cette façon de faire empêche de savoir ce qui est réel de ce qui ne l’est pas, on se trouve en face d’œuvres vidéoludiques où les éléments du décor font partie de la rêverie, et sont avant tout symboliques. Qu’il s’agisse d’objets (fauteuil roulant) ou de lieux (hôpital, prison). A la charge du joueur de trouver son chemin dans ces prisons cérébrales.

Dans Homecoming, on reste clairement sur sa faim. L’univers est trop dépouillé, les décors trop vides pour être crédibles (cf. l’hôtel de ville). En fait, avec Homecoming on sort de l’aspect torturé du héros pour rejoindre une horreur conventionnelle, plus universelle.

En revanche, dans Downpour, l’aspect cauchemardesque est savamment pensé. Murphy ne veut pas admettre la réalité : si les péchés commis sont des chutes, on remarque que Murphy passe son temps à chuter, à glisser. Autant de gamelles qui le tirent vers les abysses et l’empêchent de se hisser à la hauteur de la vérité. On peut aussi parler de la lumière rouge de l’autre monde qui le pourchasse comme une mauvaise conscience, tandis que les labyrinthes intérieurs miment cette difficulté à trouver la sortie. Rien de nouveau ni de transcendant dans ces schémas, bien sûr, mais la cohérence de l’univers de Downpour est vraiment appréciable.

 

Profondeurs

La profondeur du gameplay de Homecoming ne résonne pas dans la dimension narrative. On est plus proches du téléfilm NRJ12 que de Polanski, comme en témoignent tous ces personnages gauches qui parsèment l’aventure. C’est dommage, car l’aspect survie est bien présent dans le jeu.

Pour Downpour, c’est l’inverse : la profondeur artistique ne trouve pas d’écho dans le gameplay, ni dans le jeu lui-même. Les quêtes annexes sont assez peu intéressantes et surtout tirées par les cheveux. De plus, les nombreuses fautes techniques du jeu nous empêchent de savoir si telle chose est un bug, si telle échelle est empruntable ou non, et donc si ce qu’on fait est valable. Dans Downpour, on se sent trahi d’avoir fait confiance, en fait : la technique coule l’aventure. Ajoutons une chose frappante : les quêtes annexes sont différentes selon le mode de difficulté. J’ai fait le jeu en difficile, puis j’ai recommence en facile : étonnamment, la 2e partie était plus compliquée, les objets ne sont pas à la même place…

Venons-en à une idée : supprimer les niveaux de difficulté pour les survival horror. Comme pour les RPG, l’idée de faire une aventure « à la carte » est problématique. Comment proposer une expérience de jeu ambitieuse si cette aventure n’est pas la même selon le degré de difficulté ? On n’imagine pas faire FF VI en mode facile, non ?

 

Conclusion

Ce n’est pas tout de faire du tourisme en enfer, il faut encore louer une voiture. Autrement dit, créer une ambiance malsaine ne suffit pas à donner vie à un grand survival-horror, il faut pouvoir évoluer dans cet univers, le rendre dynamique. La série Silent Hill n’a jamais brillé par son gameplay, préférant mettre l’accent sur les scénarios de prison mentale. Si Homecoming a été mal accueilli par la critique et par les joueurs, c’est parce qu’il ressemble trop à un jeu d’action, que son aspect horror n’est pas assez travaillé. Qu’à cela ne tienne, Downpour a pris la suite : plus ambitieux dans sa narration, dans son univers, le 2e épisode de la série sur la génération PS3 reste bâclé par un développement fantasque et un gameplay bien peu nerveux.

On tient là, en gros, un « survival sans horror » d’un côté, et un « horror sans survival » de l’autre. Le hic, c’est que je ne peux même pas me prononcer en faveur de l’un ou de l’autre. Downpour m’a bluffé par l’ambiance, les bruitages, les décors parfois très inspirés ; mais Homecoming m’a fait suer et donné quelque sueurs froides aussi.

C’est avec ce bilan que la franchise doit chercher à se rééquilibrer. Si SH est à l’abri d’une dérive action-horror à la Resident Evil, Konami doit jongler avec l’aspect horror, et tout le travail artistique que cela implique, et l’aspect survival, qui doit également retrouver le premier plan de ce qui doit rester un jeu vidéo plus qu’une balade interactive. Et ce que j’ai vu de Silent Hills n’a rien pour rassurer.