La scène se déroule à Antananarivo, sur les collines ocre et pastel de la capitale malgache. Le héros, un intrépide aventurier, fonce à travers une foule dense de piétons affolés, pistolet au poing, avant de rejoindre une jeep et de dévaler les routes pentues, jusqu’à rejoindre l’arrière-pays et sa terre rouge caractéristique.
Pour toute une génération de jeunes créateurs malgaches, recréer Madagascar et ses paysages en jeu vidéo est encore un rêve inaccessible. La scène en question est en effet tirée d’Uncharted 4 : A Thief’s End, l’une des superproductions développées actuellement aux Etats-Unis et présentée par Sony au Salon du jeu vidéo de Los Angeles, en juin. Budget estimé : plusieurs dizaines de millions d’euros. Cela n’empêche pas des micro-studios locaux de vouloir faire connaître l’île, avec leurs moyens.
Depuis la rue Pasteur Rabary Ankadivato, à Antananarivo, une petite équipe de quelques personnes a lancé, en mai 2014, E-fanorona, adaptation sur smartphones d’un jeu de plateau traditionnel malgache. Ici, point de modélisation en trois dimensions complexe, d’animations sophistiquées ou de prouesses graphiques dignes d’un blockbuster occidental, mais une simple image en 2D fixe avec des pions en mouvement. L’industrie malgache, encore embryonnaire, reste pour l’instant spécialisée dans les jeux à faibles coûts.
Manque de financements
Pourtant, cette variante locale du jeu de dames et des échecs a posé des problèmes aux développeurs. « L’intelligence artificielle du fanorona est assez complexe à réaliser », souligne Ny Andry Andriamanjato, ancien conseiller technique auprès du ministère de la jeunesse et des loisirs et chef de projet sur le jeu.
Le fanorona possède en effet une particularité rare dans les jeux de tableau : la prise d’un pion adverse est possible aussi bien en avançant qu’en reculant. Tout un symbole pour la jeune industrie malgache, qui multiplie les projets et les sociétés depuis le début des années 2010, mais a dû, jusqu’à présent, annuler la plupart. A l’image de Faithful World, le premier grand studio de l’île, fondé par M. Andriamanjato en février 2011, et dont l’unique projet abouti sera un sympathique jeu de réflexion conçu pour un concours de développement international.
Manque de financements, déficit d’expérience manageuriale, système de distribution immature ou encore infrastructures réseau sous-développées… Les jeunes créateurs malgaches doivent relever de nombreux défis pour exister, et la plupart vivent de la sous-traitance, soit pour des services Web, soit pour des petits jeux de commande distribués sur iPhone et Android par des labels étrangers, français le plus souvent, sous des noms génériques.Ils s’appellent My Planet My Territory, Fantasy Air Battle, ou encore Pumpky’s Halloween et Pumpky’s Christmas, tous sur smartphones.
« Marque blanche »
« On fait tous de la marque blanche, et de temps en temps on se permet des folies. E-fanorona était une folie du patron », résume Ny Andry Andriamanjato. La folie en question, c’est celle de créer une carte postale vidéoludique, un jeu vidéo qui véhiculerait un peu de la culture et de l’imaginaire malgache, et aiderait à faire connaître l’Ile rouge dans le monde.
En pratique, l’idée n’est pas si simple. Parce que la culture malgache est orale plus que visuelle, elle se prête moins aisément que d’autres à une mise en graphismes. La bande dessinée malgache est peu développée, et le cinéma national repose sur un humour local difficilement exportable.
Alors, les créateurs rusent. Certains recourent à une imagerie touristique, comme l’arbre du voyageur et les singes maki, d’autres à des personnages aborigènes fictifs, comme Wamiti Sha Kid, lancé en 2014, tandis que les plus ambitieux espèrent recréer des bouts de réalité.
Discret tour du monde
Le studio Lonay travaille ainsi sur un projet intitulé GazKar, un jeu de courses de voitures qui met en scène essentiellement la ville d’Antananarivo, les paysages ruraux et les sites touristiques de Madagascar. « Le projet est né de la perception que rares sont les jeux vidéo qui mettent en scène le paysage malgache », explique Tsilavina Razafinirina, cofondateur du studio.
Il en est encore à un stade trop peu avancé pour être commercialisé, tout comme la plupart des projets à la couleur locale. « Les titres bien malgaches et bien aux couleurs de Madagascar sont encore en cours, car faire un jeu nécessite du temps et c’est récemment que nous avons décidé de ne plus faire que ça », synthétise Tolotra Andriamiharintsoa, développeur au sein de Nelli Studio.
En attendant, E-fanorona a entamé son discret tour du monde. Créé à Madagascar, il a été présenté, en février, au Festival international des jeux de Cannes, puis au 16e Salon culture & jeux mathématiques de Paris, en mai, et enfin au championnat d’Ile-de-France d’échecs en juin. En attendant la relève de jeux plus ambitieux, il est l’un des premiers ambassadeurs de la culture de l’Ile rouge en jeu vidéo ou, comme le suggère Ny Andry Andriamanjato, de la « Malagasy Pride », la « fierté malgache ».
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