Grâce à Dopamine et à son excellente initiative des Tournantes, j'ai pu me lancer dans un jeu atypique que je n'aurais jamais acheté de mon propre chef. Asura's Wrath de Capcom est donc passé sur ma table d'opération pour un examen complet. God of War Japonais, ou encore Animé interactif, il fut décrit de bien des manières; mais qu'en est il finalement? Est ce une tuerie, une escroquerie? Mon test d'Asura's Wrath. 

Tout commence par la fin. La fin d'une guerre. Gaea la grande planète porte en son sein un cancer, les Gohmas, et une armée de divinités est sur le point de mettre fin à ce mal qui ronge le royaume de Shinkoku depuis trop longtemps. Deus, le chef des huit Généraux dont Asura fait partie, envoie ses troupes pour un ultime affrontement, détruire Vlitra, la source des Gohmas.

Les huit demi-dieux approchent de la planète à bord de leurs Destroyers de l'Espace, et se lancent en chute libre vers la planète dans laquelle se terre l'infâme Vlitra. Alors que le générique d'intro se lance, des hordes de Ghomas s'élancent dans l'espace pour contrer l'attaque des divinités, puis vous réalisez que vous devez jouer, pendant le générique. Vous plongez avec Asura sur Gaea, mitraillant les lignes ennemis comme dans un sh'mup. Puis un énorme Ghomas vous barre la route, et des touches apparaissent à l'écran...

Asura's Wrath est un jeu très spécial et il est d'autant plus difficile d'en faire une critique claire, tant il me parait compliqué d'expliquer en quoi il relève du jeu et non de l'Animé déguisé. Pourquoi seuls les Heavy Rain et consort pourraient s'octroyer le droit d'être des expériences cinématointeractives? En cela la vision de Cyberconnect2 n'est en rien éloignée de celle de David Cage, et tout comme les titres de Quantic Dream, il faut aborder Asura's Wrath pour ce qu'il défend et non pour ce qu'il aurait pu être. Soit.

En droite lignée des Shônen, ces mangas destinés aux jeunes males prépubaires de l'archipel nippon, Asura's Wrath se veut un concentré de badasserie distribuant vannes ouvertes un flot orgasmique de testostérone pour le plus grand plaisir du joueur. Histoire de trahison lançant une quête de vengeance autodestructrice, rage cathartique dévorant tout sur son passage, l'histoire de ce qu'on pourrait nommer "la première saison d'Asura's Wrath" est d'une simplicité confondante tant elle survole ses sujets et ses personnages. Expurgeant toute interrogation accessoire pour se concentrer vers la fuite en avant irrémédiable de son personnage, l'histoire du titre de CC² m'a étonné par son manque flagrant de fond. Les personnages sont là, les relations assez complexes pour créer quelque chose de vraiment intéressant... mais tout est sous exploité. Vraiment dommage. 

 

Découpée en un peu moins d'une vingtaine de sûtras (livres) dont le "dernier" vous sera débloqué si vous terminez tous vos Sûtras avec la note maximale (ce qui est une formalité), la narration d'Asura's Wrath est découpée à l'image de ses inspirations, n'importe comment. Je suis bien conscient qu'il s'agit là d'une notion particulièrement subjective, mais pour qui a connu les matchs d'Olive&Tom découpés en quatre épisodes, tout comme un seul combat de Naruto... Il se peut que, comme moi, ce découpage ne vous plaise pas et pire, nuise à l'intensité crescendo de l'aventure. Mais si la qualité certaine de la mise en scène et l'orgie d'effets d'Asura's Wrath n'arrivent pas à pallier ce problème de rythmique dans le découpage des sûtras, c'est à mon avis lié à l'intégration du gameplay dans le jeu, qui s'il n'est dans le fond pas si médiocre que ça, souffre d'une utilisation catastrophique qui frise le foutage de gueule.

En sus des phases de shoot them up qu'on expérimente dès notre première rencontre avec le titre, Asura's Wrath propose également des séquences de beat them up en arène, des séquences de QTE et des minis phases d'exploration. Passons brièvement sur les phases d'exploration puisqu'elles consistent la grande majorité du temps à marcher cinquante mètres en ligne droite pour aller d'une cinématique à une autre. Niveau zéro du gameplay qui m'a profondément marqué puisqu'on se retrouve face à l'incompréhension d'une telle séquence aussi inutile. Même le fait d'appuyer sur Start dans le menu d'intro relève d'un niveau d'interaction plus élevé. C'est à se demander si ces séquences particulièrement absconces ne sont pas là juste pour renforcer l'intérêt des Quick Time Event. Mise en Abîme de CyberConnect² pour nous montrer à quel point du "vrai gameplay" peut être bien plus chiant et rebarbatif que du "faux" ? Irai-je à leur donner autant de crédit pour un tél néant d'idée? Sans doute pas, mais c'est une manière agréable de voir la chose néanmoins. 

Le problème majeur du gameplay d'Asura's Wrath est qu'à mon sens il n'est pas inventif. Pas du tout. Et la force brutale et débridée de la mise en scène du titre appuie encore plus ce sentiment de n'avoir vraiment que peu de choses à picorer dans le gameplay. Qu'il s'agisse des phases de shmup ou de beatmup, le but sera toujours de faire monter sa jauge de furie le plus vite possible pour déclencher la phase de QTE qui suit. Le level design étant particulièrement inexistant dans les phases de combat, on ne saurait s'attarder plus que de raison sur ces castagnes, d'autant plus que nous sommes récompensés par la rapidité de notre exécution. Un Constat terrifiant lorsqu'on nous apprend à la fin de notre Sûtra que nous avons eu cinq minutes de temps de jeu effectif sur la vingtaine constituant l'épisode... C'est peu oui.

 

Techniquement le titre est vraiment impressionnant, on a du mal à croire qu'il s'agisse de l'unreal engine tant le design pète à la gueule. Ces demi-dieux en liège qui font un bruit de vieux parquet grinçant lorsqu'ils bougent ont une classe incroyable, et même si quelques décors souffrent au loin des limitations du moteur, le résultat reste de haute volée. L'utilisation très fréquente des gros plans permet véritablement de se sentir au coeur de l'action. Et grâce à ce design irréprochable et à cette mise en scène totalement orgiaque, on parvient à passer outre les erreurs flagrantes de gameplay pour continuer l'aventure.

CyberConnect² a tenté dans Asura's Wrath une certaine orientation de la mise en scène du jeu vidéo. Une tentative qui rend le joueur excessivement spectateur, ne l'impliquant que trop rarement dans l'action qu'il suit. Effectivement on pourrait s'interroger sur ces QTE que nous ne sommes pas obligés de réussir, c'est vrai. A l'heure du bilan Asura's Wrath pose la question de l'intégration du gameplay dans un récit cinématographique. Si certains applaudiront l'exubérance décomplexée d'un tel essai, j'y vois malgré tout l'exemple malheureux de ce que je ne veux pas voir dans ce média.

L'industrie s'est servie des codes du cinéma pour mettre en scène son gameplay et pour raconter ses histoires aux joueurs. Aujourd'hui avec Asura's Wrath on atteint la limite de cette utilisation, au delà c'est un film. CC² a eu une envie louable, une vision intéressante, mais ils n'ont pas trouvé la manière juste d'intégrer cette mise en scène à un JEU. Le Gameplay d'Asura's Wrath est une nécessité accessoire de l'expérience, ce qu'il n'aurait jamais du être. L'industrie est en train de chercher ses propres codes, et je pense sincèrement que Capcom & CC² ne les ont pas trouvés. Mais on ne grandit pas sans apprendre de ses erreurs, et en cela La Colère d'Asura est peut être l'erreur nécessaire à l'industrie pour évoluer vers sa propre grammaire. 

Je me garderai d'évoquer trop longuement les Sûtras disponibles en DLC, je préfère retenir les sublimes artworks qui entrecoupent les épisodes, nous permettant de nous attarder quelques secondes sur le background; ou cette bande son monumentale qui joue pour beaucoup dans la motivation du joueur à poursuivre une aventure de six heures où il aura eu le contrôle un peu plus d'une heure.  

 

Asura's Wrath n'est ni un bon Shônen ni un bon jeu vidéo. Il gravite entre deux mondes sans trouver véritablement sa place. Etrangement on garde de cette course rageuse un sincère et bon souvenir. Asura's Wrath est une expérience à tenter, ne serait-ce que pour juger de la proposition de CyberConnect2. Une expérience dératée à mon sens totalement ratée qui ne parvient pas à trouver l'alchimie entre sa mise en scène et son interaction. Les erreurs grossières se croisent avec les idées de génie, et c'est finalement ça que je vais saluer. CC² a osé, et Capcom a eu les tripes d'y croire. Dans l'océan de conformisme qui gangrène un média si jeune, toute expérience burnée, même décevante, est à prendre !