Pourquoi Tombons nous? Aristote nous l'expliquait dans La Poétique, un tout est constitué d'un début, d'un milieu, et d'une fin. Les choses commencent, se poursuivent, et s'achèvent. La construction en trois actes est en cela une pierre fondatrice de notre inconscient collectif, comme une équation qui régirait notre manière d'apprendre des histoires, de nous nourrir des mythes, des légendes. Une construction idéale pour un Symbole comme Batman, la Légende d'un Homme qui de son propre chef décida de protéger les innocents, sans demander en retour la moindre récompense. Christopher Nolan a donc mis sept ans à tracer le mythe de l'homme chauve-souris, son chevalier noir; sept années pour tisser son interprétation du Voyage du Héros. Pourquoi Tombons nous? Pour mieux apprendre à nous Relever.

 

      Batman était à terre. Au cinéma tout du moins. Le Batman & Robin de Joël Schumacher avait réduit la crédibilité du Detective à néant. Beaucoup ont souhaité mourir en voyant George Clooney sortir une MasterCard de son moule-cul en latex noir pour choper une Uma Thurman cosplayée en Poison Ivy. Triste époque. Huit ans plus tard la Warner confia le projet de reboot au réal' en vogue, Christopher Nolan, qui avait pondu deux beaux succès avec Memento et Insomnia. Un Cinéma intelligent pour le grand Hollywood, qui se payait en plus le luxe d'attirer les acteurs et le public. Maîtrisant le projet et imposant sa vision réaliste de la franchise, Nolan se lançait alors dans une longue aventure de sept années où il allait faire avant tout du cinéma, et montrer à toutes les Majors ce que veut vraiment dire "Adapter". 

Cette trilogie commence avec Bruce Wayne. Comme son nom l'indique, Batman Begins est le prologue de cette longue histoire, et toute aventure d'un héros doit commencer par Le Monde Ordinaire, comme le précisait Joseph Campbell dans "Le Héros aux Mille Visages". Afin de mesurer le périple entrepris par notre justicier, il nous faut le voir évoluer dans son milieu naturel, prendre le temps de le cotoyer avant qu'il ne décide de franchir le Seuil, son point de non-retour. Ainsi le jeune Bruce, étudiant orphelin en quête de vengeance, décide de s'éxiler de son univers fortuné pour tenter de comprendre le Monde de la Criminalité. C'est lors de cette première épreuve, cet appel de l'aventure raté, qu'il rencontrera son Mentor : Ra's Al Ghul, chef de La Ligue des Ombres. 

Durant cette phase, le Mentor va forger le renouveau de Bruce Wayne. Lui enseignant les techniques ancestrales pour réussir son ultime épreuve : Nettoyer Gotham City de ses criminels. Mais le héros au coeur pur n'accepte pas les méthodes extrémistes de son Mentor prévoyant de détruire Gotham, innocents compris. Ainsi, pour se lancer dans son aventure extraordinaire, le héros se doit de "tuer le père"; vaincre son mentor pour accomplir son destin. Bruce quitte la Ligue des Ombres, formé, mais encore inexpérimenté. Ainsi débute la transformation de Bruce Wayne; ainsi nait le besoin de fédérer les habitants de Gotham autour d'un Symbole de Justice. Ainsi nait Batman. 

        Batman Begins est en soit une oeuvre unique, tant il ne correspond plus aujourd'hui à l'identité visuelle établie sur les deux derniers volets. Teinté d'ocre, comme pour appuyer le fait que la franchise repart de la terre pour creuser une réflexion originale sur ce que doit être une adaptation cinématographique. N'apparaissant à l'écran qu'après une longue heure de film, ce Batman est organique, viscéral, terrifiant. Ce premier volet nous dévoile la facette du prédateur qui sommeille en Batman, à un point jamais vu au cinéma pour la franchise. La montée en puissance de Bruce Wayne devenant peu à peu Batman, cette fameuse transformation du héros qui accepte pleinement son destin, se fait grâce à la fabrication progressive de son costume. Parties après parties, Bruce Wayne forge son Symbole, l'améliore suivant ses besoins... Et lorsque le puzzle s'assemble lors de la toute première apparition du Batman, la jubilation du spectateur est à son comble, tant il est heureux de voir l'aboutissement de la lente progression de Bruce. A ce moment de l'aventure, Batman devient le vrai visage du Héros, rentré pleinement dans ce Monde Extraordinaire; et Bruce Wayne devient le voile, le véritable masque qui cache la vérité. 

Durant son périple, Batman va se trouver des alliers, des adversaires, une série d'obstacles qu'il devra affronter pour affirmer son développement et se réaliser en tant qu'héros. Un jeune Batman maladroit qui apprendra de ses erreurs, devra faire confiance au sergent Gordon, seul flic intègre de Gotham... Les pièces maîtresses de la trilogie sont taillées dans cet épisode; malgré sa singularité, Batman Begins n'en reste pas moins le premier acte d'une histoire étendue, le rendant encore plus indispensable. La structure protéiforme du personnage de Liam Neeson résume à elle seule toute la narration de la trilogie de Christopher Nolan : Le héros n'est pas seul réduit à adopter deux facettes face à ce Monde Extraordinaire; Mentor, Alliers et Ennemis arborent eux-aussi différents visages, renforçant l'idée que Batman ne peut faire confiance à personne. Les meilleurs Mentors sont bien souvent ceux qui ne poussent pas Bruce Wayne à s'enfoncer plus avant, mais ceux au contraire qui veulent le voir revenir le plus tôt possible de ce nouvel univers. 

Le message véhiculé au travers de ce Batman Begins tient de l'héritage de Bruce Wayne, des valeurs inculquées par son père sur le don de soit, à l'héritage de l'Empire Wayne. Un héritage souvent lourd qui va orienter Bruce dans ses choix durant toute sa transformation en Batman. Un Batman qui se révèle être une adaptation de la philosophie de Thomas Wayne par un jeune Bruce soucieux d'honorer la mémoire de son illustre père sans pour autant suivre ses pas à la lettre et risquer de commettre les mêmes erreurs. Passant par plusieurs "pères/mentors" durant sa transformation tels que Ra's Al Ghul, Lucius Fox ou sa véritable et inébranlable figure tutélaire, Alfred; le Héros va suivre son chemin, jonché d'enseignements, qu'ils prennent la forme de conseils avisés ou d'erreurs mortelles, jusqu'à sa réalisation entière, à la toute fin du film, où Batman devient Le Batman. Une philosophie née dans la difficulté, une ligne de conduite qui va suivre Batman sur toute la trilogie, et qui deviendra Mentor du Héros en tant qu'Idée, amenant le héros vers une voie des plus solitaires..

         Il est intéressant de constater aujourd'hui à quel point ce Batman Begins tranche avec le reste de la trilogie, de par l'univers gothique appuyé, tant dans la représentation de Gotham que celle de la peur des ennemis de Batman. Néanmoins Christopher Nolan avait une mission de taille sur ce premier opus : faire adhérer le public à une vision hyperréaliste de la franchise, que ce soit dans l'explication sur l'immortalité de Ra's Al ghul, la création du costume de Batman, jusqu'à l'imagerie d'un Gotham plus terre à terre que dans n'importe quelle autre adaptation du comics. Cette volonté d'apporter un contexte presque scientifique à chaque utilisation de la franchise apporte à ce film une identité et une intelligence particulièrement subtile. De ce coup de pied brillant dans la fourmilière des adaptations de superhéros s'explique sans doute le besoin d'appuyer la touche gothique sur cet épisode, dans le but probable de ne pas effrayer la Warner et les fans de la première heure. Grâce à sa réalisation intimiste, toujours élégante sans jamais se risquer à être trop poseuse; renforcé par un Casting Impressionnant où Bale se voit soutenu par des ténors comme Neeson, Oldman, Caine, Freeman ou même Hauer; Batman Begins figure parmi les meilleurs reboot opérés par une major aussi puissante que WB. Une tentative risquée, loin du conformisme hollywoodien qu'on aurait pu craindre d'un tel projet, qui a trouvé fort heureusement le succès critique et populaire. 

On pourra malgré tout regretter un manque flagrant de maîtrise dans la chorégraphie des combats, souvent brouillons, et un choix de vilains à première vue assez pauvre (même si par la suite ces choix auront une résonance bien différente). A titre d'exemple, le personnage de Victor Zsasz tient plus du clin d'oeil qu'autre chose, et c'est fort regrettable. Il est évident que le combat principal de cet épisode réside dans la dualité entre Bruce Wayne et Batman, et que la gestation du chevalier noir se devait d'être la pièce centrale de l'histoire, mais tout de même, un personnage un peu plus emblématique n'aurait pas été de trop. Passons brièvement sur Rachel Dawes, interprétée par la belle et pimpante Katie Holmes qui a eu bien du mal a exister parmi cette ribambelle d'excellents acteurs. Un rôle pourtant important puisqu'il symbolise l'ultime récompense du héros, la princesse qui n'épousera son chevalier que lorsqu'il aura renoncé à son armure. Est-ce sa prestation trop effacée ou le couac "scientologue" durant la promo du film qui a entraîné son remplacement pour The Dark Knight? Rien n'est véritablement sûr, mais s'il fallait retenir certaines erreurs dans cette trilogie, celui-là figure en bonne place.

C'est alors que le Héros entame le deuxième acte de son histoire, après avoir franchis le Premier Seuil en s'affirmant en tant que Batman. L'attendent maintenant de lourdes épreuves, et l'ultime récompense pour y avoir triomphé. Après une pause de trois ans pendant laquelle il tourna The Prestige avec une bonne partie de son équipe, Nolan s'attèle à la suite de son histoire, son deuxième acte décisif. Alors que Batman Begins traitait de l'apprentissage de Bruce Wayne et du prédateur effrayant que représente Batman; The Dark Knight met en avant le Détective et l'affrontement entre Batman et son antagoniste, sa nemesis, le Joker.

   La Némesis, ainsi décrite par Aristote, est la résurgence d'une des principales faiblesses du héros, son arrogance, son Hubris. Tirant son nom de la déesse grecque de la vengeance, la Némesis a pour but de rééquilibrer l'ordre des choses par la destruction. Le Joker est donc le parfait représentant de cette philosophie dans l'univers de Batman, apportant au héros un visage sur son excès de confiance. Une Faiblesse des plus importantes dans cette structure en trois actes, puisque le héros que nous avions quitté alors pleinement terminé, se doit de descendre au plus profond de la Caverne afin de passer l'épreuve suprême, celle qui lui imposera de faire des choix moraux irrémédiables. De par son enjeu narratif, ce deuxième acte est clairement la pièce maîtresse de la trilogie de Christopher Nolan, celle pour qui le prologue Begins se destinait, et celle dont l'épilogue Rises sera la conséquence. 

Gotham City a changé. Visuellement d'une part, mais surtout fondamentalement. La pègre n'est plus reine sur ces terres, pas depuis que le Batman rôde la nuit. Epaulé par l'ancien Sergent Gordon devenu Inspecteur, copié par d'honnêtes citoyens voulant participer à "l'effort de guerre", Le Détective est devenu un Symbole de Justice; peut être pas celui dont rêvait Bruce Wayne, mais son entreprise porte ses fruits. Bruce Wayne quant à lui, le véritable masque, entretient son image de milliardaire frivole tout en se servant de sa société pour financer son action contre le crime qui gangrène sa chère cité. Mais alors que cette mécanique semble bien huilée, alors que la quête du héros accouche de gens honnêtes et responsables comme le nouveau procureur Harvey Dent; alors que l'ordre des choses semble avoir été bouleversé à jamais à Gotham City, la Némesis s'exprime et entraîne le Héros dans une série d'épreuves remettant sans relâche ses motivations en question.  

Le Joker ne se pose pas comme un simple nouvel ennemi de Batman. Il diffère totalement de Ra's Al Ghul ou de l'Epouvantail, même s'il peut jouer par moment le rôle de Mentor pour Batman, il reste avant tout un Trickster. Entité chaotique individualiste qui se nourrit de la confusion avec un humour souvent cruel. Ainsi le Joker n'oppose pas Batman à une idéologie criminelle contre laquelle il serait facile de se positionner; non, il le place face à ses propres erreurs, face aux conséquences de Batman Begins. Et c'est en cela que The Dark Knight est si particulier, si important, c'est qu'il nous parle à chaque seconde de Batman, en tant que Symbole de Bruce Wayne. Avant d'être le grand duel entre Batman et le Joker, ce film nous parle de la lutte de Bruce Wayne, de la fragilité de sa mission, de la difficulté d'endosser ce fardeau et des sacrifices nécessaires pour honorer l'oeuvre de son défunt père. 

        Le Joker n'est finalement, dans The Dark Knight, que la représentation de l'ultime épreuve du héros, enfoncé au plus profond de la Caverne. Il est le passage obligé vers l'ultime récompense : Une Vie Normale. Une vie normale symbolisée par Rachel, alors fiancée à Dent, lui-même étant la représentation du renouveau de Gotham City. Ainsi, en triomphant du Joker, Batman doit laisser sa place à Harvey Dent, pour que Bruce Wayne puisse revenir de ce voyage extraordinaire, et retrouver Rachel. 

Tout le brio de The Dark Knight réside dans ce poil à gratter représenté par le Joker. Ce Trickster qui détruit avec une simplicité diabolique le parcours tout tracé de Bruce Wayne. Wayne voulait devenir un symbole, pour être à la fois l'inspiration du renouveau de Gotham, et devenir une entité inaltérable. Mais dans la réussite de cette aventure, alors que Dent personnifiait ce Symbole, la Nemesis s'empare de cette représentation vivante, cet Exemple de Chair et de Sang pour lequel Batman existe, et le détruit, blessant l'entité autrefois inaltérable. La Quête du Héros est un échec, l'orgueil de Bruce Wayne, d'avoir cru qu'il pouvait changer l'ordre des choses, cette arrogance qui a fait naître le Joker, vient de mettre un terme à ce rêve. Tout comme son Père avant lui, Bruce Wayne a échoué, Gotham ne peut être sauvée... A moins de mentir. En faisant de Dent un Martyr, en violant les règles de justice dont Bruce s'était fait un credo, le héros pourrait retourner dans son monde ordinaire. Le Voyage serait finalement une réussite, mais construite sur une base fragile, un mensonge.

Avec sa narration digne d'un Heat ou tout autre film de hold up opposant le flic et le gangster, nous les faisant admirer à tour de rôle, soulignant leur proximité dans leur antagonisme à chacune de leur rencontre, The Dark Knight est le retour brillant de Nolan sur cette franchise. Il surprend par ce détachement au matériau originel qu'il s'approprie totalement comme outil cinématographique. Loin d'être un imposant cahier des charges à respecter, bridant son art; Batman est un symbole à la fois pour Wayne mais aussi pour Nolan, qui prend plaisir à s'emparer de ses icônes pour tracer sa propre narration. Après le succès du Begins, Nolan s'émancipe totalement de cette imagerie gothique et viscérale, d'une part pour s'émanciper de ce dernier obstacle à sa propre vision, mais aussi pour que Gotham reflète les conséquences des choix de Bruce Wayne. De la terre ocre vint un monde propre, rectiligne, mais terriblement vide et impersonnel. Le Gotham de The Dark Knight n'est que le reflet de la vision utopiste de Wayne sur cette ville. 

Restera la direction remarquable de Nolan, l'interprétation vibrante de Ledger, et ce visage de pomme au four de Maggie Gyllenhaal qui a dû passer après la bouille craquante de Holmes. The Dark Knight fait plus que confirmer le succès de Begins, il  est un superbe film de cinéma, avant d'être "un bon film de super héros". C'est la réussite d'un cinéaste analogique qui n'était pas attiré par une adaption pétaradante pour du grand spectacle popcorn à la Marvel; ni à une adaptation "au plan" sans identité comme le 300 de Snyder. The Dark Knight dépasse le cadre de l'adaptation telle qu'Hollywood nous la vendait jusque là, pour proposer un véritable travail et une proposition unique. Installant Nolan comme référence forte pour la branche ciné de DC, The Dark Knight relevait la barre encore plus haut que Batman Begins, faisant du troisième et dernier opus de la franchise, l'une des suites les plus attendues de la décennie. 

       L'enjeu principal au terme du deuxième acte, est de faire mourir le héros, afin de mieux le faire renaître. Le traitement opéré dans The Dark Knight est particulièrement intelligent, car il diffère des codes du Voyage du Héros sans pour autant le faire dévier de sa route. Dans la grande majorité des cas, la fin du deuxième acte doit être l'occasion pour le héros d'essuyer une défaite cuisante, afin qu'il puisse se relever de sa chute pour se confronter à nouveau à son destin. Code représenté à merveille dans L'Empire Contre-Attaque où tout semble désespéré pour nos héros. Pour la trilogie Batman de Nolan, la fin du deuxième acte est bien une lourde défaite pour le héros, mais qu'il maquille en victoire par un odieux mensonge. Par cette lâcheté de ne pas affronter la vérité, Nolan crée une distance entre le spectateur et le héros, tout comme il se crée une scission entre Wayne et son Symbole.  

Bien mal acquis ne profite jamais, et alors que Wayne lui-même est rongé, et ce même physiquement, par le remord; les conséquences de ses actes vont avoir des répercussions monumentales, l'enfonçant encore plus au fond du gouffre. Bruce Wayne n'a plus le choix, tombé bien bas, il lui faut trouver la foi pour se relever.

La grande force de ce Dark Knight Rises, c'est de construire son récit de telle sorte qu'il digère toutes les intrigues de la trilogie en une conclusion gargantuesque. Sans aucun doute l'épisode le plus dense de la trilogie, DKR parvient à conserver un rythme assez juste, même si on pourra noter certaines lourdeurs dans un traitement parfois trop didactique. En effet, rien de plus frustrant dans une histoire aux multiples enjeux, que de rester trop longtemps sur une explication qui se comprenait d'elle-même. A l'instar de la tâche de Bruce Wayne, ce dernier acte est imparfait, mais transcende ses maladresses par une générosité sans borne. Sa montée en puissance remarquable arrive à nous transporter dans le combat de Bruce Wayne, cette dernière bataille qui mettra à l'épreuve son coeur pur et ses convictions. 

       Avec sa direction proche d'un Gang of New York de Martin Scorsese, Dark Knight Rises opte pour une approche épique, guerrière, où la métaphore du symbole de justice se transforme factuellement en général d'armée. Troublant, voire destabilisant, ce parti pris renforce l'idée que la défaite du précédent opus venait d'un manque d'implication véritable. Et alors que Bruce Wayne a façonné son héros comme un symbole et l'a renié pour préserver une paix fragile, le voilà totalement dédié à sa cause première : Gotham. Il n'a plus de récompense à espérer, il n'est pas influencé par les répercutions sur sa propre vie. Bruce Wayne réalise que l'espoir d'une vie meilleure qui autrefois pouvait devenir un obstacle, ou une source de souffrance, laisse peu à peu place à la transformation ultime du héros : Le Sacrifice de faire ce qui est nécessaire pour la cause qu'il défend. 

Gotham City fait une fois de plus écho des enjeux scénaristiques, puisque de l'ocre au bleu acier, la ville se teinte cette fois d'un gris cendré. Un choix qui n'est pas, une fois de plus, le fruit du hasard, puisque la cendre représente en symbologie l'état d'amorphie, ce qui demeure entre la vie et la mort, comme le sort de Bruce Wayne inéluctablement lié au destin de Gotham. De la même manière, le retour de Batman après huit années de retraite, la transformation d'un Bruce Wayne épuisé qui retrouve la force de combattre, tout ceci nous ramène au Phoenix qui renaît de ses cendres, après avoir couvé sous la chaleur du feu caché. 

Derrière cette vision touchante de l'homme qui ne parvient pas à se défaire de sa création, demeurent malgré tout les nombreux artifices nécessaires à un blockbuster aussi attendu. Et c'est peut être là la maladresse d'un réalisateur qui a voulu trop en faire pour son final, alors qu'il avait su doser intelligemment la densité de sa narration auparavant. Entre les nouveaux personnages, les résurgences du passé, les multiples enjeux intimistes qui se mélangent difficilement avec des scènes de bataille loin d'être le domaine de prédilection de Nolan... Tout ceci est d'une générosité qui par moment frôle l'indigestion; les grands moments de cinéma côtoyant d'étonnants errements, comme si la volonté de faire le Batman le plus complet de l'histoire avait finalement débordé sur celle de faire le meilleur film possible.

Néanmoins on remarquera que Christopher Nolan n'a jamais su véritablement terminer une histoire, dans le sens classique du terme. Inception, Prestige, Memento, ou même les deux premiers épisodes de Batman ; Nolan s'est toujours débrouillé pour mettre en valeur ses finishs, souvent par un impact pour le spectateur, mais jamais par une véritable conclusion pleine et entière.

Ce dernier Batman ne fait pas exception à la règle, et c'est sans doute l'unique entorse au Voyage du Héros opérée par Nolan sur sa trilogie. Ce qu'on pourrait qualifier d'excès de générosité apporte une saveur toute particulière à ce dernier épisode. Plus qu'une conclusion, Dark Knight Rises se veut la note d'intention audacieuse d'un réalisateur qui montre à ses pairs et aux majors qu'une adaptation de comics n'a pas besoin de répondre à une charte graphique sacralisée, et qu'un réalisateur doit avant tout utiliser les outils de narration qui sont les siens pour transcender le matériau d'origine. Là réside le sens premier d'une adaptation, loin du décalquage à la case près prôné par des majors décérébrées, reléguant les réalisateurs de ces films à de simples cautions techniques. La récente implication des frères Nolan sur le Superman de Zack Snyder devrait certainement apporter de la matière à cette réflexion. En s'inspirant des classiques du 7ème Art, The Dark Knight Rises dépasse de loin le cadre du film de Super Héros, .  Il gravite dans une zone surréaliste, se promenant avec une insolente facilité entre différents genres aux codes spécifiques. Une audace hallucinante d'un réalisateur libre de laisser libre court à ses lubies pour un grand moment de plaisir égoïste, sincèrement communicatif.

 

 

     Transformé par son Voyage, le Héros revient du Monde Extraordinaire, changé à jamais. Après un Voyage de sept ans, Christopher Nolan n'est plus simplement le réalisateur de Memento et Insomnia, il se présente devant nous comme le garant de la qualité cinématographique des prochaines productions DC, réalisateur de la trilogie Batman, ainsi que du Prestige et Inception, rien que ça. Comme Bruce s'enrichissant de sa propre création, Christopher a réussi à récupérer l'Elixir, le trésor ultime : Grâce au succès critique et commercial de ses films, il a pu faire produire des films d'auteur d'un budget réservé jusque là uniquement à de très grosses productions mainstream. Un Exploit.

 

Si la Trilogie Batman a su changer radicalement notre vision du comics au cinéma, elle a contribué également à l'ouverture inimaginable d'Hollywood vers un cinéma inattendu. Derrière toute cette maîtrise et cette imposante entreprise, se cachent deux frères ayant décidé un jour de se poser dans le garage familial pour prendre la plume. Une Aventure bien extraordinaire qui s'est offerte à nous, et dont les quelques lourdeurs et maladresses n'en demeurent que les témoins réjouissants d'un cinéma hollywoodien poussé par des hommes, et non par des indices marketting. Bravo, et Merci.