Pour  ceux qui ont connu cette sombre merde de « The Wizard » en 1989, où le jeu vidéo représentait le moyen d'expression parfait pour les autistes ; voir la bande annonce des Mondes de Ralph a dû faire un bien fou. Enfin ! Enfin il semblait qu'on utilise ce médium, non pas comme une curiosité pour enfants, mais comme une culture riche de cinquante années d'histoire dont les conteurs pourraient se servir comme d'un terreau fertile pour leur narration. Le grand Disney qui a donné vie autrefois aux vieux contes populaires, se mettant à creuser du côté de la source parallèle de l'imaginaire de tant d'enfants depuis un demi siècle. Le Jeu Vidéo par Disney.

En 1966, Ralph Baer et Bob Tremblay, deux ingénieurs travaillant pour la défense militaire, imaginent une petite boite à brancher à un téléviseur qui servirait à jouer. Leur direction, amusée par le prototype des deux hommes, décide de les laisser approfondir la chose. De cette époque d'expérimentations technologiques est né le jeu vidéo. Aujourd'hui ce médium est ancré dans l'inconscient populaire, et toutes ces décennies de jeux vidéo, tous ces mondes virtuels nous les devons, en un sens, à Ralph Baer. Alors quel mal y aurait-il à penser qu'en 1966 sont nés les Mondes de Ralph.

Au-delà de cette douce pensée, qui d'ailleurs ne colle qu'à la version française du titre, je tiens à m'agenouiller devant le talent du marketing de Disney. Non, vraiment, bravo. Même moi, qui suit plutôt régulièrement l'actualité cinématographique, j'ai cru pendant très longtemps, jusqu'à l'ouverture du film en fait, que Les Mondes de Ralph était un Pixar. Sincèrement, je vous félicite d'avoir su si intelligemment jouer de la confusion lors de la promotion du film, car même moi je n'y ai vu que du feu. Et c'est vrai qu'il me semblait étrange de voir Pixar sortir en si peu de temps deux films d'animation avec Rebelle et Ralph. Et après avoir vu Rebelle, je m'étais même dit que je comprenais pourquoi, l'un était bâclé et l'autre non.

Telle ne fut donc pas ma surprise de remarquer qu'en fait il s'agissait de Disney Animation Studios. Il faut dire que depuis 2007 et le rachat de Pixar par la firme aux grandes oreilles, et la place prépondérante de Lasseter dans l'échiquier, on peut se mettre à se mélanger les pinceaux.

Et donc, concrètement, Les Mondes de Ralph, cette version pixélisée de Toy Story, raconte la lutte intérieure de Ralph, le méchant admis du jeu d'arcade Felix Fix Jr, qui après trente années passées à tout casser, aimerait qu'on arrête enfin de le considérer d'un œil mauvais, et qu'on finisse enfin par l'accepter. Oui, c'est un peu le message du jeu vidéo au grand public.

Derrière cette toile de fond, Le film raconte l'expédition de Ralph à travers différentes bornes d'une salle d'arcade, afin de remporter une véritable médaille de héros, et ainsi être estimé à sa juste valeur au sein de son propre jeu. Evidemment rien ne se passera comme prévu, et le gros balourd de Ralph va mettre en péril toute la salle d'arcade, et devra compter sur d'autres personnages vidéoludiques pour sauver les jeux de l'extinction.

Alors que Rebelle m'avait déçu dans la pauvreté de sa narration (une première chez Pixar), quel plaisir de voir Disney continuer sur la bonne lancée de Raiponce, avec un vrai scénar' qui place intelligemment les enjeux de tous ses personnages, n'en mettant aucun plus bas que les autres, pour une véritable aventure dont on sort comblé. Au-delà même de l'univers utilisé, Ralph n'est pas un film sur les jeux vidéo, et c'est sans doute ce qui fait toute la différence. L'imaginaire vidéoludique est ici utilisé comme un outil plus qu'une fin en soit, et ce traitement se ressent dans le sens où le grand public qui ne saisira pas la moindre référence au médium, vivra par procuration une bien belle aventure, avec un message universel. C'est l'essence-même de Disney, et ce bon Walter n'aurait pas eu à rougir face à ce dernier rejeton.

Mais effectivement, le gameur attentif notera un nombre croustillant de références. Plus que les représentations évidentes comme le point d'exclamation de Metal Gear Solid ou le Konami Code, j'ai apprécié les petits détails cachés comme les tags sur les murs dont le « Aerith Lives », faisant à la fois référence à Final Fantasy VII, mais aussi à des tags similaires écrits sur les murs du métro londonien peu de temps après la sortie initiale du Seigneur des Anneaux en 1954. Et comment ne pas jubiler face au gérant de cette salle d'arcade, hommage vibrant à l'incroyable Walter Day. 

Mais au final, tous ces personnages connus qui font leur petit caméos comme dans un sitcom, attendant que la salle hystérique applaudisse pour qu'ils aient assez de temps pour prendre la pause, ça m'a gavé. Tout simplement car leur utilisation fut d'une platitude confondante, et si on ajoute à ça le placement produit particulièrement obscène qui parcourt le film, on sort avec cette impression malsaine qu'au-delà de la branlette pour geek, le référentiel gravitant autour de cette histoire qui n'en avait aucune utilité, devient juste un vaste panneau publicitaire pour une industrie qui voulait toucher le grand public grâce au talent de Disney pour raconter de belles histoires et créer des personnages attachants. Je suis persuadé que Les Mondes de Ralph pouvait faire mieux en se jouant de son matériau plutôt que d'en faire une promotion qui frôle par moment le racolage. 

Car finalement Ralph ne traverse que peu d'univers différents, et les théâtres les plus importants ne sont pas issus d'une franchise réelle. C'est d'ailleurs une petite déception de ne pas assister à une épopée plus vaste au cœur de ces univers imaginaires, ce qui semblait être le cas dans les premiers scripts du film, dans les années 80. Si je peux paraître un peu dur dans ma critique, c'est qu'à plusieurs moments, le film atteint certains moments de grâce, des scènes figurant parmi les plus belles du cinéma d'animation.

 

Parce que les Mondes de Ralph n'est pas qu'un film d'animation sur les jeux vidéo, c'est un très bon film d'animation qui frôle à certains moments le Grand film d'animation. Alors qu'il avait réussi à transcender son sujet de départ, il est régulièrement plombé par les gros sabots d'un Placement Produit indigeste. Et c'est parce qu'il aurait pu aller tellement plus loin qu'on peut être légitimement frustré. Il y avait tant de talent dans ce projet, qu'on est en droit de pester qu'il ait revu ses ambitions à la baisse. Si peu le séparait du rang de Film Culte ! C'est rageant !

Les Mondes de Ralph, c'est mieux écrit que Rebelle, c'est mieux réalisé que Rebelle, et surtout, Les Mondes de Ralph, ce n'est pas un Pixar. Disney Animation continue sa bien belle route depuis l'arrivée de Lasseter, et vient de nous offrir avec ce Ralph le digne petit frère de Toy Story, un terreau qui n'attend qu'une suite pour exprimer tout son potentiel, si elle a le courage de s'émanciper nettement de la promotion un peu malsaine qui la tirerait en arrière. Malgré certaines erreurs qui gâchent le plaisir final, ce film est plus qu'une profession de foi pour le médium vidéoludique, c'est un conte universel sur l'identité, et c'est de loin sa plus grande réussite !