Playstation. Voilà bientôt 20 ans qu'on entend parler de ce petit nom. Vingt piges, bientôt quatre consoles de salon et deux consoles portables. Ça commence à faire. Comme Nintendo avant lui, Sony a connu une chute dans sa domination du marché pour sa troisième machine. Là où la puissante Nintendo 64 a eu du mal à lutter face à la nouvelle Playstation, Sony et sa Playstation 3 se sont heurtés au phénomène de la Wii et à l'agressivité de la Xbox360. Le géant du marché a souffert de la stratégie de ses concurrents, mais surtout de son insolente assurance de vouloir dicter ce que cette génération HD devrait être.
Sony nous avait déjà fait le coup pour la PS2 en l'autoproclamant reine des 128 bits face à trois autres machines qui avaient tout autant d'arguments à faire valoir, sinon plus. A gagner sans combattre, il devenait plus simple de s'attirer les bonnes grâces des éditeurs tiers qui n'attendaient qu'un geste de la main pour profiter d'un parc installé de plus en plus gargantuesque. Une véritable orgie où tous se sont régalés, même les joueurs. Mais chez Sega, Nintendo et Microsoft, on a du faire la soupe à la grimace pendant quelques années.
On peut donc se dire que la disgrâce de Sony sur cette génération peut être considérée comme un juste retour de bâton. Surtout après le lancement catastrophique de la Playstation 3. Conférence bullshitée par Sony et ses partenaires, déclarations arrogantes et prix décourageant... il n'en fallait pas autant pour instaurer un climat de rejet de la part des joueurs et de la presse. Face à une 360 sortie un an plus tôt et une Wii qui allait lancer le phénomène extra-vidéoludique de Nintendo sur cette génération, Sony a du se reconstruire sur un investissement faramineux. La douche froide.
Kutaragi qui se barre, les exclues historiques qui se font la malle... Le sac de pognon et de crédibilité de la marque Playstation fuyait de partout. Sauve qui peut ! Les joueurs et les actionnaires d'abord !
C'est à ce moment que Sony a pu constater que son noyau dur de fans n'était pas aussi fort que celui de Nintendo, pas simplement du fait de la longévité de Big N, mais surtout vis-à-vis du nombre rachitique de licences propriétaires Playstation. L'industrie évoluait, et alors que les éditeurs tiers ne pouvaient plus offrir à un Sony malmené des exclusivités impossibles à justifier financièrement parlant, la fragilité du catalogue first party Playstation s'est faite doublement ressentir.
Sony a du reconstruire sa marque Playstation durant cette génération, malgré eux. Et si on prend un peu de recul on réalise à quel point la ludothèque Playstation s'est sécurisée en first party sur cette génération. On pourrait même saluer la proposition du PS+ qui commence vraiment à s'installer dans les us et coutumes du gameur lambda.
Mais non.
La seule chose à retenir de cette nouvelle ère Playstation, ce ne sont pas les efforts de Sony face à la reconstruction du marché, mais le fait qu'on a tous pris un pied fou à frapper le géant à terre pour un oui ou pour un non. Et que nous avons saisi l'opportunité de faire de Sony le souffre-douleur d'une bande d'adolescents malpolis qui prend plaisir à taper le plus affaibli.
Si on regarde bien, nous avons condamné la vieille Dualshock qui faisait les beaux jours de la marque depuis quinze ans, en ayant au préalable condamné également le prototype « boomerang » sans l'avoir jamais essayé. On ne donne pas sa chance au changement, et après on se plaint de la continuité. Mais ça c'est parce que Sony a eu la bêtise de déclarer que les vibrations étaient une technologie du passé alors qu'ils n'avaient pas réussi à l'époque à marier à la fois la vibration au sixaxis.
Nous vivons bien sûr dans un monde où si ton interlocuteur est con comme la lune, tu as le droit de l'être aussi.
Nous avons condamné avec véhémence l'abandon de la rétrocompatibilité Playstation 2 sur les nouveaux modèles de PS3, quand de son côté Nintendo a retiré celle de la Gamecube sur sa Wii, comme une lettre à la poste.
Nous avons ri gras lorsque Sony a présenté le PSMove, pointé du doigt l'odieux plagiat. C'était beaucoup plus intéressant que d'évoquer que des trois propositions c'était la plus performante, et que Sony n'avait pas attendu Nintendo pour sortir l'eyetoy.
Nous avons à raison crié au scandale lorsque Sony rendit public l'attaque sur un PSN gratuit par un groupe revendiquant la liberté de l'internaute. Mais point de scandale quand on apprit quelques semaines plus tard que Microsoft avait tu une attaque similaire de moindre importance sur son propre service.
Nous nous sommes insurgés face à sa politique du passe en ligne pour les jeux d'occasion, quand Microsoft nous rackette avec notre consentement sur des jeux neufs avec le XboxLive Gold.
Et enfin nous avons condamné par avance, à l'inverse total de la PS2, la Playstation Vita alors que cette machine est à mon sens la plus gameuze de toute l'histoire de Sony. Nous avons salué son prix à son annonce, et critiqué ce même prix lorsque Nintendo a baissé le sien.
Oui. Une baguette de pain peut devenir très chère sans bouger de prix, si celui des pains au chocolat baisse. C'est psychologique, ou en d'autres termes, complètement con.
Ce que j'essaye de montrer par ces exemples, c'est que, quoi qu'a pu faire Sony sur cette génération, et quoi qu'il aurait pu tenter, nous aurions rejeté la proposition, parfois sans même y jeter un œil. Tout simplement parce qu'on le pouvait, comme le fait de ressortir une casserole lointaine dans une dispute de couple. Pas parce que c'est justifié, pas parce que c'est logique, mais parce que dans ce climat où le joueur est pris de plus en plus ouvertement pour une merde, on peut trouver cathartique de se défouler sur celui qui nous semble le plus faible.
Parce qu'on ressent une sorte de plaisir vicelard à voir le meilleur chuter, et qu'avec l'aide de syndrome de masse, on adopte un comportement excessif qui ne prend plus compte des qualités intrinsèques de ce qu'on nous propose. Et c'est encore plus facile avec Sony car Playstation n'est pas attaché à des licences maisons qui ont bercé notre enfance comme avec Nintendo. Dans le désamour de certains fans historiques de Nintendo on lit souvent « je n'aime pas le Nintendo d'aujourd'hui et ça me coûte de le dire ». On ne peut pas avoir cette amertume pour la Playstation car elle n'était auparavant pas construite sur une base inébranlable de licences phares. Comme l'odeur d'une tarte aux pommes qui sort du four et nous rappelle des souvenirs de week end chez la grand-mère...
Sony a pris la place du parfait idiot. Celui qui retrace une feuille de route, reconstruit sa stratégie, pendant que les autres le regardent en se moquant et en essayant de lui faire un petit croque en jambes si possible, parce que se moquer gratuitement de l'idiot du village, c'est facile, donc sans risque. Mais en économie, le parfait idiot c'est celui qui choisit une voie pleine d'illusion alors que tous les marqueurs montrent qu'il se trompe. C'est la voie de celui qui veut faire les choses à sa manière car il n'a plus rien à perdre. C'est celui qui accepte l'idée que le mieux est l'ennemi du bien.
Sony n'a pas les reins pour noyer le marché avec une rivière de fric, tout comme ils n'ont pas le coffre de faire le dos rond en attendant que l'orage cesse. Le parfait idiot peut devenir le symbole d'une nouvelle ère, parce qu'il a eu la folie d'y croire quand tout le monde se foutait de sa gueule. En ayant perdu son fauteuil immérité de leader du marché, Playstation n'a plus la pression du premier qui doit faire attention à ses poursuivants, tout comme il ne peut plus avoir l'arrogance de croire qu'il décide seul de l'évolution de l'industrie vidéoludique. Sony a tout à perdre avec sa nouvelle Playstation, mais tout à gagner également.
Cette nouvelle ère Playstation qui a commencé avec la PS3 Slim, puis avec la Playstation Vita, marque un changement fondamental dans la philosophie du groupe face à sa marque. Et ce changement commence à se retrouver dans les réactions des joueurs, notamment face aux déclarations de Microsoft qui commence à porter le costume du méchant arrogant là où Sony nous parait s'avancer sereinement vers son avenir. Les plus grandes avancées naissent de l'esprit de parfaits idiots.