Bonjour à tous,
Après de longs mois sans publication, me revoilà avec un article sur Inception qui ressemble étrangement au premier publié en septembre de l'année dernière. S'ils se ressemblent c'est que l'article ici présent en est une version finale (si on peut parler ainsi d'un article tant le matériel est toujours en mouvement), plus complète, mieux articulier et offrant d'autres perspectives. J'avais d'abord pensé éditer celui de septembre, mais la nouvelle version est tellement plus complète qu'il m'a semblé plus judicieux de vous proposer les deux. A noter que j'avais écrit le premier après avoir vu le film une seule fois en VO sans sous-titre. Cette fois-ci j'ai pu bénéficier de la version Blu-ray avec sous-titre. J'ai d'ailleurs souhaité garder les citations en anglais avec la traduction en note de bas de page.
Afin de ne pas proposer un article trop long, je vais à nouveau le découper en deux parties. Bonne lecture
Inception (2010) est un film réalisé par Christopher Nolan ayant pour acteur principal Léonardo DiCaprio. L'intrigue en est la suivante : comment Dom Cobb, espion industriel dont l'activité consiste à extirper des informations à ses victimes durant leur sommeil en s'introduisant dans leurs rêves (extraction), va-t-il pouvoir, cette fois, procéder à l'inverse, à une inception, c'est-à-dire implanter une idée dans l'esprit d'un héritier de multinationale, qui lui intimera l'envie de détruire l'empire économique laissé par son père ?
Dans cet article nous tenterons de mettre en parallèle la compréhension psychanalytique des mécanismes du rêve, introduite par Freud dans L'interprétation du rêve (1899), et celle proposée par Christopher Nolan dans son film Inception. Pour cela, nous procéderons en trois temps. D'abord, nous reviendrons rapidement sur les principaux aspects de la formation du rêve dans la théorie psychanalytique. Ensuite, nous mettrons en perspective la mythologie du film Inception sur les rêves et la compréhension analytique de ces derniers pour mieux cerner leurs points de convergence et de divergence. Enfin, nous conclurons sur le rapport de l'image filmique avec l'image onirique.
La formation du rêve dans la théorie psychanalytique
Pour comprendre les rêves, Freud s'est appuyé sur son expérience de l'hystérie, acquise avec le Dr Joseph Breuer1, et en particulier sur la manière dont se forme les symptômes dans cette névrose. C'est dans son ouvrage fondateur L'interprétation du rêve qu'il soutient pour la première fois qu'il est possible d'interpréter le rêve au même titre qu'un symptôme, et que « après complète interprétation, tout rêve se révèle avoir un sens, l'accomplissement d'un désir (refoulé) ». Pour bien comprendre cette déclaration, il est nécessaire de distinguer le contenu latent du rêve, dit pensées du rêve, soumis à différents mécaniques inconscients de déformation qui aboutit au contenu manifeste du rêve, celui dont le rêveur se souvient c'est-à-dire le rêve en tant que tel. C'est toujours un élément de la vie diurne de la veille, en lien avec un désir refoulé de l'enfance, qui déclenche la chaîne associative. Rajoutons à cette présentation que les rêves, sur le modèle des symptômes, sont considérés comme surdéterminés, c'est-à-dire concentrant différents conflits. Une seule interprétation n'en épuisent donc jamais totalement le sens.
Une exception à l'accomplissement de désir inconscient par le rêve est mise en avant par Freud avec les rêves traumatiques qui ramènent sans cesse le souvenir de l'expérience traumatique. Le rêve se présente alors comme une figuration au plus près de ce qui a été vécu. Son caractère répétitif a pour but la maîtrise rétroactive de l'excitation pour que se développe l'angoisse dont l'omission a été la cause de la névrose traumatique. Dit autrement, les rêves traumatiques tentent de lier le souvenir de l'expérience à une quantité d'affect supportable pour le sujet. « Dans les rêves qui émanent de restes diurnes non liquidés et qui, dans le sommeil n'ont reçu qu'un renforcement de la part de l'inconscient, il est particulièrement malaisé de déceler la force pulsionnelle inconsciente et de mettre en lumière la réalisation du désir. »2 Ainsi, le caractère anodin des restes diurnes serait remplacé par leur contenu traumatique, tout en gardant la même fonction. Dés lors apparaît le rôle particulier de la répétition dans les rêves : faire écran au désir.
Aussi, les différences entre le rêve et les pensées du rêve n'ont de sens qu'en lien avec l'hypothèse de l'Inconscient émise par Freud très tôt dans son travail. Un peu comme les trous noirs dans l'univers, l'Inconscient est inaccessible à la conscience par des moyens directs, mais on peut en concevoir l'existence par les distorsions qu'il produit autour de lui, dont les lapsus et les actes manqués sont les exemples les plus connus. On pourrait le définir comme un espace psychique régit par des mécanismes propres, issus du processus primaire, différents de ceux utilisés par le couple Conscient-Préconscient, issus du processus secondaire. Notons que si le Préconscient est associé au Conscient car il partage le même type de fonctionnement, son contenu n'est pas directement accessible à la conscience. Il est donc inconscient uniquement au sens descriptif du terme. Cette instance sert, entre autre, de zone tampon entre les deux autres.
Le processus primaire, actif dans le travail du rêve, s'exprime des manières suivantes :
Le déplacement : une représentation souvent d'apparence insignifiante peut se substituer à une autre en se voyant attribuer toute la valeur psychique, la signification, l'intensité originellement attribuée à l'originale.
La condensation : une représentation unique peut rassembler de nombreuses représentations.
La symbolisation : mode de représentation indirecte et figurée d'un contenu inconscient, en général lié aux éléments fondamentaux de notre existence comme notre corps, la vie, la mort et la procréation.
La dramatisation : la mise en scène du rêve vient illustrer la pensée contenu dans le rêve. Par exemple, des personnes qui s'opposent vont se retrouver face à face, un peu comme dans un film.
L'élaboration secondaire : remaniement du rêve destiné à le présenter sous la forme d'un scénario relativement cohérent et compréhensible. Il s'agit d'un processus très proche de la rationalisation.
Dans le cadre du rêve, tous ces mécanismes sont utilisés par la Censure qui interdit aux désirs inconscients et aux formations qui en dérivent l'accès au système Conscient-Préconscient. Freud l'envisage comme une fonction permanente dont on distingue plus clairement les effets quand elle se relâche partiellement comme dans le rêve.