En tant que l’un des derniers bastions de l’animation en stop-motion, Laika a déjà prouvé qu’il était capable de repousser toujours plus loin les limites d’une telle forme d’art. Coraline, ParaNorman, Les Boxtrolls, un palmarès qui évoque audace visuelle et technique, et un profond amour du cinéma de genre. Fort de cette tradition, Travis Knight (fondateur du studio et lead animator sur les trois précédents films) passe ici pour la première fois à la réalisation avec une ambition folle: Celle de livrer une aventure bigger than life dont les principaux acteurs ne sont que des marionnettes d’à peine 30 centimètres de haut.
Parmi ses influences revendiquées, Knight cite aussi bien Jason et les argonautes que l’œuvre d’Akira Kurosawa comme inspirations à la mise en chantier de Kubo and the Two Strings. Des références loin d’être usurpées, tant le film s’évertue à s’approprier ce qui fait la force du conte mythologique. La structure du périple de Kubo renvoie bien évidement à la fameuse quête du héros de Joseph Campbell, avec ce que cela entend en terme d’épreuves et péripéties. La finesse du récit ne se repose cependant pas uniquement sur le canevas confortable du héros aux mille et un visages. En n’adaptant pas une histoire existante, mais en piochant généreusement dans diverses facettes du folklore japonais, le métrage injecte à son univers féodal fantastique assez de textures pour le rendre palpable et consistant. Les emprunts plus ou moins directs au shintoïsme japonais nourrissent le film de ses monstres et légendes, que ce soit la quête de l’armure magique qui peut évoquer les trois trésors sacrés du Japon, ou le squelette géant qui partage des points communs avec le yōkai Gashadokuro. Les conséquences du conflit entre la famille du Roi Lune et le samouraï Hanzo (partageant sans doute ses origines avec la figure historique homonyme) servent quant à elles de clé de voûte à l’ensemble du récit.
Le dépaysement culturel est déjà en soit un belle réussite, mais la richesse de l’univers passe surtout par l’imbrication de ces éléments, pour amener le tout vers ce que le film cherche réellement à transmettre. Dés les premiers instants, Kubo invite en voix-off le spectateur a ne pas cligner des yeux et rester attentif, leitmotiv intervenant à plusieurs reprises pour mieux asseoir le personnage dans son rôle de conteur. Le temps d’une scène, le héros devient également l’alter ego des animateurs de Laika lorsqu’il donne vie à ses figurines de papier pour raconter ses histoires. En plus des aventures de valeureux guerriers offert au public, Kubo interroge aussi sa mère sur des aspects plus personnels de son père. Dans ces moments intimes, où Kubo prend soin de sa mère à l’esprit épuisé, La valeur du souvenir commence à prendre une place prépondérante au sein de la trame. Un motif qui se répercute dans les attributs des personnages, où encore dans ce festival des anciens qui rend hommage aux défunts. L’importance de la symbolique des yeux dans l’idée de perception est elle aussi omniprésente tout au long du film. Ces notions, transmises pour la plupart visuellement, finissent par s’accorder de manière poignante dans le climax d’une narration finement ciselée. Cela arrive même à remettre en perspective le sens même du titre du film (en version originale seulement, la traduction française manquant le coche).
Kubo and the Two Strings convoque le genre mythologique pour mieux refléter notre rapport de spectateur avec la puissance du conte, et l’illustre par la prouesse de sa présentation. Une fois de plus, Laika émerveille par sa maîtrise de l’animation en volume. Si le film impressionne, c’est bien parce qu’il se donne la peine de réaliser ses ambitions. Kubo, Livre une fresque épique qui trahit à chaque instant ses origines de modèles réduits. Les jeux d’échelles sont constants, lors d’un voyage qui traverse des panoramas grandioses, quand une scène en origami prend vie dans un village, ou quand il s’agit de faire confronter les personnages au squelette géant (la plus grande marionnette en stop-motion conçu à ce jour du haut de ses 5 mètres). Cette créature, tout comme les autres moments de bravoure, rappelle le sens du mot spectaculaire partagé avec les films du grand Ray Harryhausen. La composition des plans d’ensemble invoque la fresque épique, la chorégraphie des combats tend vers le Wu Xia Pian. Une certaine idée du noble cinéma de genre voué à l’émerveillement sans commune mesure. Voilà qui rattrape humblement des années de mauvaises blagues hollywoodiennes (La Colère des Titans, Gods of Egypt) bien incapable d’à nouveau livrer une aventure fantastique qui fasse autant rêver.
Il y a de quoi être envoûté par le travail accompli par les artisans de Laika, dont la dévotion et la minutie pour donner corps à un récit de cette ampleur force le respect. Kubo and the Two Strings fait franchir un nouveau palier dans le domaine des possibles en animation stop-motion, tout en livrant une fresque mythologique qui fera vibrer n’importe quel amoureux du genre.
Cet article a été originellement publié sur Chronics Syndrome :