J'ai toujours été mal à l'aise, dans le meilleur des cas indifférente, devant ce que j'appelle "les scènes de cul", dans les films ou les séries. Le terme n'est pas anodin : j'avais bien l'impression qu'on me montrait "des gens qui font l'amour" juste pour me montrer un enchevêtrement de chair.
Enfin quoi, à quoi il s'attend le réalisateur ? A ce que je m'identifie ? Que je sois émue ? Excitée ?
Dans le jeu vidéo, on entend tout le monde appeler à corps et à cris du sexe mature. L'immaturité serait là représentée par des jeux comme God of War où une partie de jambes en l'air devient bel et bien une partie de jeu (QTE) ou dans GTA où on ne montre le sexe que dans ses aspects "marchands" (prostitution, strip-tease).
En face, on aurait un combo Heavy Rain/Beyond two souls où le sexe y serait traité comme "l'acte de deux personnes qui s'aiment".
L'intérêt narratif
Ainsi, la question du sexe peut être abordée de différentes façons. Premièrement donc, le sexe peut être sans sentiment, purement une affaire de recherche de plaisir, d'assouvissement de pulsions. La tendresse y est bien accessoire.
Deuxième cas, le sexe comme acte amoureux. Le problème c'est que c'est l'acte le plus intime qui soit, qui demande de la subtilité. Il y a mille façons de faire l'amour, et elles peuvent facilement paraître en décalage avec la vision que le spectateur en a.
On ne va pas se mentir, ni God of War ni GTA n'ont la moindre volonté de montrer la beauté des relations humaines ; le premier est une série viriliste s'assumant à 300%, le second une série qui parodie avec un cynisme de haute volée la mentalité qui règnerait sur la côte Ouest des USA : course à la célébrité, à l'argent, à la drogue et donc au cul.
Du côté de Quantic Dream, les deux essais que j'ai cités tombent court ; la relation Madison/Ethan paraît plus que forcée étant donné l'état de nerfs de notre cher père de famille, et Ryan nous étant difficilement présenté comme autre chose qu'un connard, on a bien du mal à s'identifier à Jodie ; d'ailleurs dans ma partie, ça s'est fini avant même d'avoir commencé, avec ce cher monsieur se barrant sans un mot, quand Jodie tombe en larmes en réalisant à quel point Aiden sera toujours omniprésent dans tous les aspects de sa vie.
Et quand bien même on arriverait à croire à ces histoires d'amour, la scène de cul ne serait-elle pas tout simplement redondante d'un point de vue narratif ? Car s'il y a bien amour, ce n'est pas en mettant en scène des gens faire l'amour qu'on le montre, c'est dans des gestes de tendresse, des rapprochements. A partir du moment où ce travail est fait, quelle peut bien être l'utilité narrative d'une scène de sexe ? Que raconte-t-elle en soi que n'a pas raconté un baiser ?
Et d'un point de vue extérieur, sans les perceptions et ressentis qui vont avec, quelle émotion peut bien créer un acte sexuel à part, lorsqu'il ne paraît pas bêtement banal, l'excitation - ou le malaise ?
Car malgré tout, le sexe en lui-même peut bel et bien être vecteur narratif, mais en usant d'un autre point de vue. C'est le troisième cas : l'aspect sombre, primitif, irréfléchi, irréfréné des pulsions sexuelles.
Dans sa forme la plus évidente, ça prend la forme du viol ou tentative de viol, subie par le personnage ; là, on pense tous à la polémique Lara Croft, ou bien à Jodie qui échappe de peu à ce sort dans Beyond: two souls. Mais clairement ce n'est pas l'exemple le plus intéressant : le méchant est méchant, c'est un vil queutard, il en prend plein la gueule en retour, il est puni, point.
Winter Voices traite quant à lui du traumatisme laissé par le viol de manière très poussée (quitte à s'y perdre lui-même), mais on reste dans la problématique du sexe subi, forcé, du crime ignoble.
Si Silent Hill 2 a une démarche similaire concernant Angela, abusée par son père, le cas de James Sunderland est plus inhabituel ; il est partagé entre Mary l'épouse à la fois chérie et détestée du fait de sa déchéance physique qui la rend très agressive, intouchable dans les deux cas et son alter ego fantasmé, la très sensuelle Maria. Celle-ci est régulièrement punie de cette sensualité en étant tuée à répétition (empalée, battue), par le répugnant Pyramid Head, incarnation des pulsions sexuelles de James et qui provoque à la fois fascination et dégoût, comme si la moindre pensée de désir sexuel à l'égard de Mary/Maria était taboue, profanatoire, du fait de sa maladie.
La question du joueur acteur
Mais même lorsqu'il est traité de façon à peu près mature (avec plus ou moins de succès), le sexe dans le jeu vidéo reste relégué à la partie "scénario", dissocié du gameplay. C'est bien souvent une cut-scene, une partie de non-jeu.
Là où il est possible de commettre un véritable génocide in-game voire de s'adonner au sadisme, il est quasiment impossible de s'adonner aux joies du sexe : la violence ça passe, mais le bout de nichon non.
On aime à comparer ces deux aspects, comme si ce n'était qu'une question de gravité : participer un meurtre devrait être bien plus problématique que de montrer de la chair, ah ces Amerloques puritains !
De mon point de vue la comparaison est plus complexe que ça, car la notion d'acteur, de joueur, a son importance.
Le meurtre, c'est quelque chose que peu d'entre nous connaîtrons dans leur vie, qu'il s'agisse de le subir ou de le faire subir, là où, sauf malchance, n'importe qui fera l'amour dans sa vie. La mort et donc le meurtre sont quelque chose qui reste résolument virtuel, quasiment du domaine de l'imaginaire, surtout lorsqu'il s'agit de sa propre mort.
Or le sexe c'est quelque chose d'intime, c'est un choix personnel, où on est sujet et non objet, on ne subit pas ce qui est fait au corps on participe, la mort paraît éloignée alors que le sexe est ce qu'il y a de plus proche de nous.
Il y a de multiples raisons de tuer quelqu'un, parce qu'on n'a pas le choix, par vengeance, par autodéfense, pour défendre quelqu'un ou éliminer un grand danger. Bref, si on tue c'est généralement pour neutraliser un danger.
Et pour en revenir au fait que la mort est décidément doublement virtuelle, c'est qu'en général, tuer dans un jeu vidéo, c'est avant tout éliminer un obstacle, voire battre un concurrent : c'est le côté ludique qui prime sur la représentation.
Ainsi d'un point de vue purement ludique, le sexe paraît difficile à traiter autrement que du point de vue "amoureux", si on insiste à parler de maturité. Jouable, contrôlable, il signifie a priori devoir montrer les choses aussi absolue, donc crûment, que lorsqu'on tue un ennemi.
Car il va sans dire qu'il serait très mal perçu de pouvoir incarner un violeur, dixit le tristement célèbre Rapelay. Et bien sûr, le sexe comme simple partie de jambes en l'air est déjà présent dans GTA et God of War, scènes qui se voient attribuées le qualificatif d'immature. Car il paraît très difficile d'impliquer le joueur sans que ça tourne au sextoy, tel qu'on a pu le voir récemment avec des jeux comme ceux du studio ThriXXX (qui donne la trique, hinhinhin), qui avait fait parler de lui pour son utilisation de Kinect.
Mais s'il ne doit s'agir que de sexe amoureux, cela signifie le traiter en tant qu'acte intime, donc avec une certaine subtilité. Rendre la chose jouable, c'est supposer pouvoir échouer, devoir suivre les règles du jeu telles que définies par le game designer et sa vision de la chose, et ça crée forcément un décalage qui peut rapidement tourner au ridicule ou au gênant, dans tous les cas briser l'aspect romantique, intimiste et spontané de la chose.
Comment intégrer le sexe dans un ensemble de règles du jeu, de mécanismes, sans le rendre vulgaire ?
Pour résumer, on peut donc dire que le sexe est quelque chose de difficile à rendre jouable dans un jeu vidéo de manière "mature", et que sa dimension très personnelle le rend plus complexe à manipuler que la notion de violence physique ou de meurtre, et qu'il semble de toute manière avoir un intérêt narratif limité sauf dans sa dimension la plus sombre, selon l'idée où on n'en fait pas un simple prolongement de l'attirance amoureuse.
Alors pourquoi ne pas laisser le sexe comme quelque chose de suggéré, afin de ne pas risquer de s'embourber dans une représentation fade et trop crue, qui risquerait d'amoindrir ce que peut bien ressentir le joueur ? Laisser la chose à l'imagination personnelle du joueur n'est-elle pas la meilleure façon de traiter du sujet de façon mature ?
Il y a peut-être une autre piste, celle engagée par Catherine, qui offre malheureusement une vision du couple assez caricaturale, venant un peu ternir cet essai...
Dans tous les cas, je me rends tout à fait compte que ce billet sur le sujet est très partial, et pour cause les tentatives de défricher ce secteur sont au final peu nombreuses et cela rend l'analyse d'autant plus difficile. Je serais heureuse de vous voir étayer le sujet avec des contre-exemples, et des pistes éventuelles.