Ca y est, j'ai saigné Nier. Fait le jeu 3 fois (une complète et deux demies), obtenu les fins A, B, C, vu la D sur Youtube - je dois avouer que me farcir pour la 4e fois la dernière ligne droite du jeu, en sachant qu'elle serait parfaitement similaire aux deux précédentes ne me donnait aucune envie.

Bref, je suis frustrée à plusieurs niveaux du scénario qui est censé être la substantifique moëlle du jeu. Faut dire que j'ai lu le "Grimoire Nier" qui raconte le background du jeu (ce qui a mené à la disparition des humains), et quand je pense que ce document pallie à presque toutes les incohérences du jeu, j'en ai le tournis.

Faisons d'abord dans l'objectif, comme dans le premier run.

 

- Gameplay -

Niveau gameplay, j'ai joué en normal et je n'ai pas l'habitude des hack'n'slash et le jeu m'a paru plutôt réussi. Si la vitesse de Nier surprend au départ, on apprend assez vite à le maîtriser et à alterner magie et épée.
Mais il est accompagné de mécaniques de RPG excessivement complexes et complètement accessoires. Déjà, parce qu'il y a des coups qu'on utilise jamais : le coup sauté où l'on atterrit avec un coup puissant, le coup pour achever l'ennemi, le fait de rebondir contre les murs, le fait de pouvoir se glisser derrière l'ennemi (d'ailleurs celui-là j'ai jamais réussi).
A côté de ça, il y a les qualificatifs ; je me suis contentée d'utiliser la touche optimiser tout le long du jeu, je n'ai jamais vu les effets de folie/paralysie ou poison car je n'en avais pas besoin (par rapport à la longévité ridicule des ennemis), et je n'ai constaté qu'à mi-chemin de mon 3e run que la juxtaposition de certains qualificatifs précis donnait lieu à un effet inédit. S'il n'y avait eu que ça, le gameplay aurait déjà été intéressant à manipuler.

Mais en plus de la grande variété d'armes qu'on peut faire progresser en niveau grâce à un système de forge (au final il est probable qu'on n'en utilisera qu'une seule car tout ce qui varie sont les MP et l'attaque), on se retrouve arrivé à la moitié du jeu à avoir deux nouvelles CATEGORIES d'armes en plus de l'ancienne : armes à deux mains, et armes de "hast".
Les armes à deux mains étant incroyablement lentes et leur coup spécial n'étant pas intéressant (attaque en cercle), les armes à une main (de départ) n'étant pas assez puissantes avec un coup spécial à pein plus intéressant (brise garde), ce sont les armes hast qu'on privilégiera, car plus rapides (d'où leur nom - le coup spécial est d'ailleurs un dash gratuit en MP dont on usera et abusera) et souvent même plus puissantes que les armes à deux mains. Là on est d'accord, ça commence à devenir franchement lourd non ?

Eh bien, bien vite, on commencera également à accumuler des sorts, 8 il me semble, parmi lesquels j'ai utilisé moins de la moitié - l'un d'eux étant redondant avec l'attaque spéciale des armes hast, je l'ai abandonné en chemin. Sans compter à côté de ça, les ordres à vos alliés (défensive/attaque/all-out) qu'on n'utilisera jamais car de toute manière ils tapent tout le temps à côté car trop tard (heureusement l'un des deux guérit parfois quand il a rien à faire).

Et malgré tout ça on ne peut même pas locker l'ennemi ! (ç'aurait été cool de pouvoir locker au moins les boss quoi !).
A noter également quelques pics de difficulté mal dosée ; le boss de moitié de jeu s'avère incroyablement difficile car mal pensé : l'arène est très étroite avec des murs et des arches vous cachant régulièrement votre personnage, tandis que les petits monstres au sol respawnent sans cesse, vous empêchant de garder l'oeil sur les frappes cadencées du boss...
...Surtout quand votre manette vous lâche, donc câble USB, que vous vous retrouvez le cou cassé à 50cm de votre immense télé, que vos chats bouffent le cable USB ou tripotent vos lacets, qu'il est minuit en semaine, et que vous avez pas sauvé depuis 2h car le combat vous a pris par surprise.
Oui, ce boss m'aura bien saoulée.
A l'inverse, le dernier "donjon" et boss est presque enfantin !
Mais globalement le jeu est quand même équilibré. Malheureusement, il arrive également que les combats soient entachés de problèmes de caméra qui se résument à "beaucoup trop éloignée" dans certaines phases.

 

- Ambiance - (graphismes/musiques/PNJ etc...)

Ce qui frappe d'abord c'est l'esthétique particulière du jeu, qui évoque évidemment Drakengard. Symboles ésotériques, interface, décors sobres et dépouillés, design des monstres ou des personnages... Y a une patte reconnaissable. Alors oui c'est complètement daté et la modélisation des personnages et des décors sont la marque de graphistes franchement moyens, mais tout cela enveloppé dans des jeux de lumière et de contrastes assez intéressants, l'ambiance est posée. La musique accompagnant parfaitement le visuel (et elle est véritablement magnifique), le tout évoque une atmosphère un peu irréelle, mais quelque part assez sereine.

L'un de mes premiers griefs est justement à ce niveau : je n'ai jamais eu cette impression d'oppression dont il est souvent question, qu'il s'agisse du fait des Ombres ou des terres arides.
En effet, les PNJ se plaignent de mauvaises récoltes ou du fait que les Ombres deviennent plus nombreuses et agressives - mais dans les faits, c'est tout l'opposé ; les plantes poussent parfaitement bien dans mon jardin, l'eau douce est très accessible, il fait un temps magnifique en permanence.
Les PNJ laissent leurs gamins traverser une plaine bondée d'Ombres pour aller jouer dans une forêt et une femme ne doute même pas que le petit ami dont elle est sans nouvelle depuis 5 ans puisse être vivant. Les marchands ont une incroyable variété de biens à vendre, et nombreuses sont les personnes qui me demandent de leur chercher un sacré paquet de matériaux, qui sont trouvables sans trop de problème. Sans compter que le bétail prétendument rare est incroyablement abondant (au point qu'il y a un trophée pour un certain nombre de moutons tués).
Bref, dans les faits la nature est très généreuse et les habitants semblent mener une vie paisible à plus se préoccuper de tromper leur compagne/on ou à se donner des challenges type faire pousser des fleurs dans le désert que de savoir s'ils vont pouvoir manger le soir venu.
Pourtant, pour ceux qui ont lu mes tests comparatifs de Zelda: Phantom Hourglass/Spirit Tracks, vous saurez que les quêtes liées aux PNJ me paraissent indispensables lorsqu'il s'agit de s'attacher à un univers, quitte à ce que ces quêtes soient peu intéressantes, tant que cela donne lieu à de petites scénettes de la vie quotidienne.
Mais là, ça ne colle pas du tout à l'ambiance supposée !
Bizarrement le seul lieu qui semble correspondre à l'idée d'un monde sous la menace de la famine et des Ombres, c'est l'Aire, avec ses habitants reclus chez eux et son absence de terres. Très paradoxal une fois que l'on connaît la situation réelle du village, puisque c'est le seul endroit où les vrais humains et les Replicants cohabitent.

A côté de ça, si le jeu est sobre dans ses graphismes, ce n'est pas du tout le cas de la mise en scène. Alliée à la musique que j'ai soudain préféré écouter hors du jeu, tout est franchement guimauve (mention spéciale à la scène du mariage qu'on avait pas vu venir à 10km) et c'est très dommage ; au final, c'est dans le 2e run et ses scènes additionnelles à nouveau plus sobres qu'on se retrouve avec le coeur serré.
Cela dit, je me dis que c'est voulu quelque part, comme si l'idée était de comparer ces personnages, auxquels on est censés s'identifier car ils nous ressemblent, dont les tragédies paraissent dérisoires à ce qu'endurent les "vrais" humains.
Honnêtement je crois que j'ai chialé tout le long du 2e run tant le caractère inéluctable de la chose jouait.

Aussi le jeu fait appel à différents types de "narration" et de clins d'oeil très sympa : le manoir d'Emile est un hommage à Resident Evil avec ses angles de caméra serrés au point que la 1ère fois que je suis tombée sur une Ombre j'ai hurlé ; le prince de Façade récupère son masque à la façon d'un Zelda et si les règles du temple aride sont frustrantes, elles obligent à ruser un peu et à maîtriser différents éléments de gameplay (peut-être la meilleure démonstration de leur maxime "le but des lois n'est pas de contraindre mais de révéler la liberté"); enfin, j'ai tout simplement été très enthousiasmée par les textes de la Forêt des Songes, car très bien pensés et ce à plus d'un niveau.

 

- Là où le bât blesse franchement - (et là, ça va spoiler sévère)

Le problème, c'est que même en trois run, beaucoup de choses restent obscures et non justifiées dans le jeu ; on sait que Gestalt Yonah dégénère constamment à l'image des Ombres agressives, mais on ne sait pas pourquoi Yonah Replicant est atteinte de nécrose runique, qui semble être une maladie différente de l'albinovirus dont est atteinte la 1ère Yonah - ni si elle en guérit, car où on en reste avec les différentes fins c'est qu'on est revenu au début, avant que Nier rencontre Weiss. On ne sait pas ce que sont censés accomplir Noir et Weiss une fois réunis.
On ne sait pas pourquoi Weiss doit récupérer ses Vers par la force si Dévola et Popola les possèdent à la base. On ne sait pas ce qui rend monstrueuses les Ombres possédant les Vers et encore moins ce que sont censés être les fragments (récupérés à l'inverse sur des Gestalts plutôt "sains"). Pourquoi le Shadowlord scelle-t-il son château s'il attend la visite de son corps ? Pourquoi Popola met-elle Nier sur la piste du Shadowlord seulement 5 ans après l'enlèvement de Yonah ? Et d'ailleurs, pourquoi Weiss perd-t-il progressivement sa langue dans le château ?

Comment les Ombres possédant un corps (à l'Aire ou Façade) deviennent-elles subitement de nouveau Gestalt, et pourquoi ? Est-ce que c'est la présence de Replicants conscients qui a brisé le lien ? Qui a écrit la foutue lettre de l'Aire ? Pourquoi Popola nous barre-t-elle la route après s'être donnée tant de mal à faire croire à Nier à la légende de Weiss contre Noir

Pourquoi les Replicant grandissent-ils et vieillissent-ils ? Ne devraient-ils pas être conformes à l'âge de leur Gestalt histoire que le Gestalt d'un enfant ne se retrouve pas dans le corps d'un vieillard au moment du transfert ? Et du coup comment Nier a-t-il eu Yonah ?

Pour pallier à quelle menace N°6 a-t-elle été créée ? Quelle est l'étrange maladie du sommeil qui frappe les habitants de la Forêt des Songes ? A quoi fait allusion l'Arbre lorsqu'il parle de la guerrière qui combat des monstres de sel ? A quoi sert le 3e grimoire et pourquoi Weiss et Noir sont-ils ce qu'ils sont ?

Il y aurait eu tellement à développer, tout en restant subtil, c'est à ça qu'auraient dû servir les PNJ et les fins C et D, plutôt qu'à une redite de la fin B, voire même dans le descriptif des armes, comme c'est le cas ET dans Drakengard ET dans le Grimoire Nier.
Niveau PNJ/Background, on aurait pu nous montrer que les Replicants sont quand même un peu bizarres, que certains sont amorphes, noter le fait que des gens se retrouvent à s'occuper d'enfants qu'ils considèrent comme les leurs du jour au lendemain.
Quant à la narration elle-même, après avoir vu les événements du point de vue des Ombres, les voir du point de vue de Popola et Devola aurait été intéressant pour un 3e run. Montrer qu'une fois rentrée à la maison, Yonah ne peut pas être guérie de sa maladie car elle est liée au fait que son modèle d'origine était déjà malade, tandis qu'autour des Réplicants, les Ombres se font de plus en plus nombreuses mais également incomplètes car Nier Gestalt est mort : dans le grimoire Nier, il est dit que c'est lui qui limite la dégénérescence des Gestalt en Ombres et ç'aurait dû être précisé en complément de la 2e fin.
Ou encore, faire en sorte que Nier sorte de son rôle terriblement obtus, et accepte de fusionner avec Nier Gestalt histoire de pouvoir ensuite réaliser le rituel avec Noir et Weiss pour ramener les Gestalt dans leurs enveloppes charnelles (en guise de 3e fin).

Parce que les fins C et D, c'est un peu de la grosse daubasse : rien ne change dans la partie elle-même, et même dans le dénouement. En gros, comparé à la fin A, quand Kainé se retourne, elle est submergée par la nécrose runique et devient une ombre à nouveau car Tyrann est en elle (sinon j'imagine qu'elle serait juste morte). Et donc en gros, soit on la tue pour lui offrir enfin la paix qu'elle souhaitait depuis la mort de sa grand-mère, soit, attention, on se sacrifie pour lui rendre la vie. Wait, what? Mais ça n'a aucune foutue logique !
Nier n'est qu'un bête Replicant, Weiss et Emil ne sont plus là pour faire un truc magique qui pourrait justifier la chose, le corps de Kainé qui est également une simple Replicant est atteint de la même maladie incurable que Yonah en phase terminale, et d'un coup par un sacrifice dont on ne connaît même pas les modalités elle pourrait se retrouver dans un corps en parfaite santé avec les déficiences génétiques liées à son Gestalt réparées ?
Et vous avez décidé de sacrifier le background du jeu et la relative cohérence du scénar sur l'autel d'une fin aussi conne ??

Bref, tellement TELLEMENT de possibilités avec le background qui avait été bâti, plutôt que de se retrouver avec une bête "quête des cristaux" - car c'est bien ça le problème : Nier personnage se fout de savoir que les Ombres sont anciennement des humains, il est incapable jusqu'au bout d'empathie avec Nier Gestalt (alors qu'il voit bien que l'autre Yonah est une fille normale) et du coup Cavia a, d'un côté, pris le parti de ne nous faire jouer l'histoire que de son point de vue, tandis que de l'autre côté, ils ont décidé de raconter l'histoire du point de vue des Ombres.
A partir de là on aurait pu au moins s'attendre à une 3e fin qui puisse servir de consensus entre les deux (Gestalt/Replicant) ou au moins la réalité de la situation dans toutes ses nuances : que Yonah n'est pas guérie, et que sans Devola et Popola il n'y aura plus personne pour renouveler les Replicants.
Sans compte que le Grimoire Nier est blindé de petits détails glauques pour enrichir personnages et background : par exemple, le petit frère forgeron qui se mutile le bras (d'où son bras mécanique d'ailleurs) parce qu'il a arraché sans le vouloir celui de son frère mort.

Et au final, tout ça on s'en fiche, tout ça parce que Nier n'est pas foutu de voir plus loin le bout de son nez. Urg. C'est tellement, tellement dommage, pour un jeu avec tant de charme.