Le jeu vidéo se cherche (un peu comme le titre du billet), le jeu vidéo aurait déjà gagné, il se transforme en art ou en culture de masse. Autant d'affirmations qui sont toutes valables et fausses à la fois. Qu'est ce que le jeu vidéo ?


Non, vous n'aurez pas de réponse dans ce texte. Autant vous le dire tout de suite. Traiter de cette question nécessite une réflexion et un développement autrement plus velu que les quelques lignes que je vais écrire ici. Mais j'avais envie de faire un parallèle autre que le cinéma pour parler de jeu et casser quelques réactions épidermiques qu'on peut parfois lire sur notre loisir préféré.

Le jeu est un art majeur

Voici un titre qui pose comme une affirmation une idée séduisante. Dans le jeu vidéo, on trouve différents arts qui combinés ne pourraient que correspondre à la définition d'un art majeur puisque leur addition ne peut être que positive. Mais quels sont ces arts et pourquoi leur résultante resterait artistique ?

Faisons la liste de quelques arts majeurs que l'on retrouve dans le jeu vidéo. Pour ce faire, je me base sur la liste des 6 arts majeurs qu'Hegel a classifié au 18ème siècle.

L'architecture. Le premier des arts dans la classification et probablement le plus cartésien. Dans le jeu vidéo on peut aisément le mettre en parallèle avec le level design et le game design en général. Deux choses bien différentes, mais indissociables. Si l'élaboration « stratégique » d'un niveau nécessite cohérence et astuce afin de gommer certaines limitations techniques, l'architecture ludique du jeu peut générer des sentiments en posant une ambiance et en mettant en situation. Un jeu de survie par exemple, de par son principe de base met le joueur en situation de vulnérabilité et lui donne un sentiment d'urgence. A ce titre, l'architecture qui est classée première dans le système de Hegel gagne un caractère sentimental. Hegel avait effectué sa classification par ordre croissant en considérant les arts avec leur capacité à induire des sentiments.

La sculpture ne semble que peu se prêter à une association avec le jeu vidéo. Et pourtant, travailler les matières (bois, pierre, métaux) peut sembler proche des prouesses que cherchent à accomplir les programmeurs. Eux aussi doivent composer avec les contraintes de leur matière (les limitations techniques d'une machine) afin de parvenir à un certain résultat. Eux aussi doivent utiliser des outils et des techniques différentes en fonction de cette matière et du rendu qu'ils veulent obtenir. On a beaucoup parlé des difficultés de programmation de la PS3 au début de sa carrière. On parle maintenant aussi beaucoup des facilités supposées de développement sur Wii U.

Le lien avec la peinture est beaucoup plus évident, puisqu'on touche ici à un aspect très visible du média. Si on en reste à la peinture stricto sensu, il suffit de se reporter aux images fixes, aux menus et aux interludes de chargement des jeux. L'émotion qui se dégage d'aquarelles façon Muramasa et de pastels façon Flower témoigne de la capacité sentimentale de ces images. Évidement, dans le jeu vidéo les images restent rarement fixes.


C'est pourquoi l'émotion passe également par l'animation. Une animation qu'il est facile d'associer à l'art de la danse qui exprime des sentiments par le corps en mouvement. Dans les années 80 les sprites de notre jeunesse utilisaient des artifices surtout liés aux visages et aux yeux pour faire passer des émotions. Les techniques d'animation on évolué pour s'approcher de plus en plus d'une expression corporelle réaliste. Paupières mi closes, épaules baissées, démarche lancinante le personnage est triste, blasé et au fond du trou comme dans Heavy Rain. Même en s'éloignant du motion capture, l'expression d'un état d'esprit passe par la façon de bouger. Pour prendre un autre exemple parlant et peut être déplacé pour ce genre de réflexion, regardons du côté de Ryu Hayabusa (Ninja Gaiden). Il a logiquement le visage masqué, mais son état d'esprit est exprimé par les chorégraphies de ses danses macabres en combat. Il s'en dégage un sentiment de puissance, de maîtrise et de rage canalisée vers un seul but. Pourtant à le regarder courir en sautillant ses déplacements sont plutôt risibles.

Le cinquième art n'a pas besoin d'être longuement développé. Il suffit cette fois de citer des jeux comme Journey, Bastion ou de productions épiques comme Metal Gear pour s'en convaincre. Avec une note (elle est facile...) originale tout de même puisqu'un jeu vidéo n'a pas besoin que de musiques, mais également de design sonore pour faire parler aussi bien les décors que les personnages et leurs accessoires.

Le sixième art est probablement celui qui catégorise le plus le jeu vidéo. Celui qui va le faire passer de défouloir à « perle » ludique. Attention, cela ne signifie pas forcément que l'un soit moins intéressant ou ait moins de valeur que l'autre. C'est simplement ce qui va créer de la différence d'expérience.

L'art est une affaire de goût

Plonger au plus profond des sentiments pour en atteindre le cœur est en effet le but de la poésie. Aussi, lorsqu'un jeu est capable de faire la même chose et de générer du sentiment l'associe-t-on plus facilement à de l'art. C'est le cas de jeux comme Journey, Flower et même de productions dites triple « A » qui sont parfois rejetées par les gamers.


Il semble qu'il en soit ainsi pour le jeu vidéo autant que pour les autres formes d'arts qui ont succédées aux arts majeurs. Le cinéma, la télévision et la bande dessinée sont venus allonger cette liste. D'ailleurs si on continue à mettre en parallèle le septième art et le jeu vidéo, ce n'est pas par hasard. Ricciotto Canudo a qualifié le cinéma de septième art parce qu'il était une forme consommée des autres arts avec le langage, le son, le mouvement et l'interactivité. Une définition qui colle parfaitement à un jeu vidéo.

En cinéma, en télé ou dans la bande dessinée, se sont constitués des courants, des genres et des styles qui ne font pas forcément l'unanimité. On y trouvera des choses consensuelles, des expériences étonnantes, des divertissements faciles et des nanars plus ou moins assumés. C'est aussi ce qui fait la richesse et le sel du jeu vidéo et rends la critique difficile. Le troubadour doit rendre compte d'une expérience, d'un vécu, d'une histoire sur plusieurs plans. Le lecteur / joueur n'aura pas forcément les mêmes goûts et les mêmes aspirations, mais tenter de lui transmettre une idée la plus précise possible d'un jeu dans son contexte reste un échange intéressant.

Aussi, les réactions épidermiques et péremptoires sur le côté surfait d'un jeu (Limbo) ou le côté bourrin et éculé d'un autre (Modern Warfare par exemple) ont tendance à me hérisser. Le jeu vidéo est un art majeur et noble. Ne devenons pas aussi « bêtes » que les publics et les critiques de certains autres divertissements. Il y a de tout pour tous les goûts et pour tous les publics.