Bayonetta est un jeu, mais c’est aussi le nom d’un personnage. Tous deux ont fait parler d’eux pendant longtemps et qu’il s’agisse de suites ou de réassort, la licence engendre toujours des réactions sulfureuses. Pourquoi tant de tumultes ? Simplement parce que l’on vous présentera souvent le dilemme comme suit : Bayonetta, soit tu l’aimes, soit tu la détestes. Ses défenseurs vous soutiendront par exemple que si vous n’avez pas su apprécier les subtilités et la “profondeur” de Bayonetta, c’est uniquement parce que vous avez été trop cajolé par les ténors de l’abrutissement vidéoludique de masse que sont Assassin’s Creed et Call of Duty. En plus d’être très pratique, c’est un argument qui a l’avantage de balayer d’un revers de main toutes critiques constructives à propos du jeu. Cependant, le problème est définitivement ailleurs. 

Pauvreté artistique.

Le jeu est terne, affreusement terne. C’est tellement terne que la moindre couleur jure avec le reste. Bayonetta vous propose d’incarner une sorcière avec des pistolets attachés à ses pieds. Une sorcière qui peut ralentir le temps, se transformer en bête et invoquer des monstres gigantesques. Malgré la folie de la proposition de départ, il faudra se contenter de cette pauvre présentation graphique. Si un certain effort au niveau de la modélisation peut être constaté, les décors n’en restent pas moins fades et tristes. On peut percevoir un autre effort, artistique cette fois puisque aucun des monstres du jeu n’a été bâclé. Ils ont tous reçu un travail qui les rendent uniques. Malheureusement le chara-design général et les choix artistiques m’ont laissé complètement de marbre. Les monstres ennemis m’ont sorti du jeu à chaque apparition. Effort ne rime pas toujours avec qualité. C’est malheureusement le cas ici. La direction artistique générale du titre est simplement ratée. Bayonetta elle-même présente un design qui laisse circonspect. Sur une note plus légère : si vous êtes de ceux qui fantasmez sur les personnages de jeu vidéo et que vous trouvez Bayonetta à votre goût, il peut être temps de vous poser des questions sur vos orientations. Une grande dame, aux grandes mains, en combinaison SM qui présente une coiffure de drag queen et une poitrine aussi ferme que des tomates de super marchés devrait éveiller les soupçons. Entendons-nous bien : il n’y a aucun mal à préférer les transgenres, le tout c’est de le savoir. Elle est au moins bien animée, pour ce que ça vaut. 

L’autre problème c’est que le jeu vous propose d’affronter des anges. Mais ce que vous verrez à l’écran ne sont pas les anges immaculés et majestueux tel qu’on se les imagine d’habitude, ce sont juste des démons que l’on a rebaptisés, parés de blanc et que l’on a fait passer de l’autre côté de la barrière. Comme si le fait de se battre contre des anges à la beauté sculpturale n’était pas assumé par les créateurs. C’est d’ailleurs une constante du jeu vidéo : il faut que les ennemis soient moches ou russes/arabes pour que l’on puisse leur tirer dessus en toute quiétude. Tirer sur quelqu’un dans un jeu est banal et visiblement, tout doit être mis en oeuvre pour que ça le reste.

Jeu de beauf, fait par des beaufs.  

Dès les premières minutes, Bayonetta trace un pentagramme dans le ciel, puis bondit à l’intérieur pour tabasser des monstres ailés avec des becs d’oiseaux. Sans plus d’explications, un black tatoué au long manteau bordeaux sort d’un cercueil et s’allume un cigare avec son pouce. Pendant ce temps Bayonetta se fait un costume avec ses longs cheveux dans une mise en scène qui rappelle les heures les plus sombres de l’histoire des dessins animés. Vous vous demandez où est ce que vous êtes ? Bienvenue au royaume du mauvais goût à la sauce jeu vidéo, un univers parallèle où l’on pardonne tout à n’importe qui et surtout à n’importe quelle proposition sous prétexte que ce n’est “que” du jeu vidéo et qu’il ne faut pas tout prendre au premier degré. 

Lorsque vous faîtes l’effort de créer un univers, il faut aussi donner envie à votre cible de s’imprégner de celui-ci et de s’immerger. Pour cela, il faut aller doucement et mettre en place certains repères. Il faut poser des bases subtilement pour que la cible puisse se passer d’explications ou de logique. Ça demande un savoir-faire, un effort mais ça demande surtout de savoir à quel genre de personnes votre univers est destiné. Le problème c’est que dans Bayonetta, comme dans beaucoup de mauvais jeu vidéo, vous êtes projeté violemment contre les excentricités/bizarreries de cet univers avec le seul choix d’y croire et de ne pas vous poser de questions. On vous considère conquis d’avance, prêt à tout pardonner parce que vous considérez que le jeu mérite largement votre clémence. Les créateurs pensent savoir qui vous êtes : Quelqu’un sans beaucoup d’exigences. Un simple bourineurs de boutons. Il se peut qu’ils aient raison, mais dans ce cas, pourquoi proposer de très longues cinématiques, des personnages secondaires, un fil rouge, un univers avec ses codes et pourquoi avoir caché des bouts d’explication dans les niveaux ? On pourrait me reprocher de prendre le jeu au sérieux, mais le jeu laisse l’impression que ce sont les créateurs qui ont manqué de recul en pensant sincèrement que ces aspects du jeu méritaient l’attention des joueurs et le temps conséquent qu’ils leur ont consacré.

Le jeu est à la gloire du personnage principal, personne d’autre n’a de place dans l’aventure. Les personnages secondaires existent uniquement dans le but de mettre en valeur les qualités de Bayonetta. Bayonetta est belle, Bayonetta est forte, Bayonetta est importante et elle est indépendante. Bayonetta est surtout complètement unilatéral, triste et représente tout ce qu’il y a de plus mauvais dans la représentation féminine du jeu vidéo. C’est une femme forte pensée par un homme, pour les hommes. Si elle est forte, elle doit être grande, mais surtout pas musclée. Sacrilège pour une femme. Si elle est indépendante, elle doit être racoleuse et bornée, forcement. Une facilité que l’on retrouve dans les poses suggestives, parfois ouvertement explicitesdes personnages féminins. Là encore, il s’agit de jouer sur les plus bas instincts des joueurs pour arracher des réactions que les créateurs ne peuvent pas soutirer par leurs talents narratifs, artistiques ou scéniques. Pourtant, les scènes les plus “réussies” - ou du moins les moins ratées - sont celles où Bayonetta est confronté aux humains et échange avec eux d’égal à égal. Notamment celle où elle voit la petite fille pour la première fois, ou celle où elle décide d’apparaître devant Luka. Le personnage sort de la volonté déplorable des créateurs d’en faire un personnage unilatéral et triste pour s’autoriser des réactions crédibles et intéressantes. N’allons pas trop loin non plus, ces scènes seraient passées inaperçues ailleurs. On les remarque ici seulement parce qu’elle tranche avec la pauvreté du reste du traitement des personnages.

Ralentis, saltos arrière et poses affriolantes sont les maîtres mots de la mise en scène. Vous ne verrez et ne retiendrez presque que ça. Sans verser dans le puritanisme, c’est très gênant à regarder. On croirait avoir confié la réalisation des scènes animées à un enfant turbulent qui redouble de “pam” “boom” “pfioursh” pour donner vie aux scènes de bataille dont ses figurines articulées bodybuildées sont les héros. 

La culture de l’échec et de l’amateurisme. 

Le “witch time” - envoûtement en français - est définitivement la mécanique clé du jeu. Cette mécanique consiste à ralentir tout ce qui vous entoure sauf votre personnage. Elle se déclenche si vous évitez un des coups de vos ennemis au dernier moment. Vos excellents réflexes et votre vision du jeu sont donc récompensés et le jeu vous encourage à utiliser des deux atouts pour gagner un avantage certain sur vos adversaires. Il parait d’ailleurs désormais difficile de jouer à un Beat’em all sans cette mécanique tant elle apporte au genre dans toute sa globalité. L’interêt du jeu repose donc sur des enchaînement de coups et des esquives aux bons moments pour profiter des avantages du witch time, sauf dans la difficulté la plus haute. Viennent ensuite les possibilités de changer d’armes à la volé et de se transformer en animaux pour pouvoir profiter des capacités octroyées par ces changements de forme. 

Le jeu est considéré - à tort - comme étant un des plus difficiles du genre. Il faudrait qu’on reparle de la difficulté, même s’il faudrait un billet entier pour cela. Pour résumer ce que j’en pense : Bayonetta n’est pas difficile, il est juste gratuitement punitif et assez mal pensé. 

La camera est tout d’abord un des problèmes majeurs du jeu. Je ne compte pas le nombre de fois où la camera s’est complètement perdue à des moments clefs du jeu où le moindre égarement peut vous coûter la partie. La visibilité est mauvaise dans l’ensemble et le nombre d’éléments en mouvement à l’écran déconcentrent. A ces deux éléments rédhibitoires viennent s’ajouter un système de ciblage (lock) approximatif. S’il y a plus d’un ennemi à l’écran et que vous décidiez de le cibler, il deviendra très difficile d’avoir une vue d’ensemble. Ce qui vous laisse à la merci des attaques désormais situées hors de votre champ de vision. Ces problèmes sont exacerbés dans les plus hautes difficultés. 

Dans Bayonetta, si vous ne savez pas ce qui va se passer au préalable, il est impossible de réagir. Il arrive par exemple que l’attaque de certains ennemis vous tombe dessus dès que vous prenez le contrôle du personnage. C’est complètement gratuit et pervers. Les actions contextuelles arrivent également de manière inattendue, tout en vous laissant ¾ de secondes pour réagir. Encore une fois, c’est presque impossible à réussir sans avoir déjà échoué auparavant. Beaucoup de choses dans le jeu sont pensées de cette manière. Il faut avoir échoué, parfois plusieurs fois, pour savoir quoi faire. C’est complètement contre intuitif et ne récompense aucunement vos réflexes ou vos capacités à la manette, il vous faudra échouer et mémoriser la suite des événements pour avancer. Dans la plupart des jeux, vos ennemis sont des humains armés de fusils ou des squelettes armés de faucilles, vous pouvez concevoir grossièrement leurs réactions et réagir à l’instinct. Vous reposant ainsi sur vos réflexes et votre connaissance des mécaniques de base pour avancer naturellement dans le jeu. Vos capacités et votre logique de joueurs sont récompensées. Le design étrange des ennemis est aussi un facteur handicapant pour le joueur. Il est impossible d’anticiper à l’instinct leurs attaques ou leurs déplacements. Il faut obligatoirement connaître leurs réactions et leurs mouvements par coeur pour ne pas se faire toucher. Encore une fois, le jeu ne récompense pas vraiment le joueur. Il récompense davantage celui qui a passé le plus d’heures sur le jeu à tout mémoriser. Ou plus cruellement dit, il récompense l’échec et la passivité. Heureusement, il y a quelques ennemis qui ont des bras et des jambes, mais ce sont les seuls qui vous permettent de réagir naturellement. Même ceux qui ressemblent vaguement à des animaux connus ont des réactions difficiles à anticiper. De plus, les plus coriaces de vos adversaires marchent et se comportent souvent d’une façon très non-nonchalante. Ce, jusqu’à ce qu’ils vous attaquent de manière abrupte et illisible, ce qui est encore une fois difficile à anticiper lorsqu’il s’agit de votre première rencontre avec les monstres en question. 

A côté des problèmes inhérents à la jouabilité, les passages à moto, les séquences de surf, les faux passages de plateformes et les niveaux sous forme de stands de tir sont toutes des occasions réussies de vous couper complètement de l’action. Dans la pratique, le jeu se veut être une immense partie de matraquage de bouton, gonflé d’action et survitaminé. Pourquoi donc s’obstiner à nous couper de l’action par le biais des passages ratés, voir complètement risibles ? Certainement pour rallonger une durée de vie que les créateurs auraient beaucoup trop étalée sur la longueur s’ils ne s’étaient appuyés que sur le cœur du jeu : les combats.

Comme évoqué plus tôt avec le cas des anges ou les poses sexy, derrière ses faux-semblant subversifs Bayonetta joue la carte de la sécurité jusqu’au bout. Nous retrouvons donc tous les éléments dispensables qui constituent le jeu vidéo classique. A savoir, le cassage d’éléments du décor qui vous rapporte des objets utiles, le découpage en mission, un double saut et du ramassage d’anneaux. Vous avez bien lu, vous ramassez des anneaux dans Bayonetta. Comme dans Sonic. Clin d’oeil de l’éditeur à sa mascotte, c’est juste d’une profonde tristesse. Rappelons que tout est possible dans le jeu vidéo, il n’existe plus vraiment de limites créatives. Pourtant, il semblerait que l’on s’obstine à cajoler un certain type de joueurs nostalgiques de l’époque où les plombiers en salopette et les hérissons bleus représentaient le fleuron de l’art vidéo ludique. Un type de joueur qui n’existe peut être même plus d’ailleurs. Je passe évidemment sur les énigmes pour enfants, le recyclage de boss tout au long du jeu et sur les compétences supplémentaires qu’il faut acheter avec des anneaux. 

Les combats contre les boss du jeu sont en revanche très bien conçus et rattrapent péniblement à eux seuls tous les mauvais points que la jouabilité accumule. Ils ne sont pas de simples sacs à PV comme dans la plupart des autres jeux. Les combats contre les boss sont divisés en plusieurs parties et chaque partie est ponctuée de plusieurs phases de jeu. Il vous faudra vous adapter, réagir et réussir les séquences de jeu proposées pour vous défaire d’un boss. De plus, aucun des combats de boss principaux ne se ressemble. L’effort pour renouveler expérience au fil des combats a nécessité un grand travail et ça se ressent. C’est probablement un des meilleurs traitements du cas des boss de tout le genre. Un traitement de qualité qui vient rehausser le ressenti global sur le jeu.   

J’ai beaucoup aimé MGRising, Vanquish est à mon sens le meilleur TPS jamais sorti et Devil May Cry premier du nom est dans mon top 3 personnel. J’imagine faire partie du public ciblé par la proposition de Bayonetta. Pourtant, j’ai trouvé le jeu médiocre à plusieurs niveaux.

Bayonetta reprend le pire de la série Devil May Cry et le pousse à son paroxysme : la trame du premier, la direction artistique du second et la mise en scène du troisième. Sur le plan artistique et narratif, le jeu est un échec incontestable. Bayonetta dans toute sa globalité transpire tout le mauvais goût que l’on peut supposer aux inventeurs du Bukkake. Si vous avez suivi l’histoire du jeu de bout en bout et si vous avez regardé toutes les cinématiques en entières, vous vous sentirez sali. Je dis ça sans rien exagérer. C’est tout simplement une honte, le travail est tellement mauvais que ça en devient gênant. En tant que joueur, c’est le genre de travail que je conspue totalement, le jeu vidéo n’en est plus là depuis bien longtemps. A quoi bon faire tant de référence au jeu vidéo si c’est pour le souiller de la sorte ?

Le gameplay du jeu est l’aspect le moins raté. Néanmoins vous vous battrez davantage contre l’amateurisme des développeurs et le manque de soins apporté à des éléments essentiels de la jouabilité que contre des ennemis difficiles. Comment un jeu aussi punitif peut il proposer une camera volatile et un tel manque de visibilité globale ? C’est une aberration de conception que vous allez subir pendant toute la longueur du jeu. Surévalués ou mal évalués, Bayonetta n’est pas un bon jeu.  Que ce soit sur la conception globale ou les finitions apportées à la jouabilité, le jeu est un concentré de mauvais idées et de manque de précisions. Un jeu à déconseiller.