Les versions étant similaires, les tests le sont également.

Dans le train qui le conduit à Armadillo à New Austin, juste au nord de la frontière mexicaine, John Marston écoute d'une oreille distraite la discussion de deux vieilles dames. L'une d'elles, une certaine Madame Bush, n'est pas peu fière de la réussite de sa famille et des terres confisquées aux natifs qui, en contrepartie, "ont gagné leur ticket pour le Paradis". Le sujet glisse rapidement sur les élections du gouverneur, et si "l'argent ne peut pas acheter certaines choses", déclare l'interlocutrice de Mme Bush, cette dernière s'empresse de répondre "que les voix des électeurs n'en font pas partie". Et aussitôt, on retrouve le ton subversif de Rockstar qui ne s'empêche pas des parallèles savoureux avec l'histoire contemporaine... Pour autant, Red Dead Redemption joue la carte de la reconstitution à tendance historique, cette fois, et se propose d'embarquer le joueur dans un scénario prenant qui lui fera vivre, comme jamais, le Far West, avec ses duels, ses attaques de diligences, de trains, ses assauts sur des repaires de bandits, ses troupeaux de vaches à ramener à l'enclos par temps orageux ou encore ses sanglantes révolutions mexicaines.

Totale immersion

Impeccablement écrits, les dialogues et les personnages hauts en couleurs que l'on sera amenés à croiser dans Red Dead Redemption appuient un narratif qui justifie à lui seul la plongée qu'on nous propose au coeur de cette production pharaonique. Sur des thèmes tels que la rédemption, bien sûr, mais aussi les prémices de l'industrialisation, les valeurs changeantes d'une civilisation née d'événements ancrés dans la violence, l'honneur discutable des institutions naissantes mais déjà corrompues, l'impact de l'homme sur la nature, évidemment, et beaucoup d'autres choses qui se mélangent pour brouiller les pistes et donner corps et substance à ce qu'il convient d'appeler une maturité véritable, et trop rare dans le jeu vidéo - c'est-à-dire une maturité qui ne repose pas que sur des effusions de sang. Même si elles restent omniprésentes dans un tel univers. Car violent, il l'est, ce Red Dead. Un peu comme à l'époque, est-on tenté de conjecturer (car perso, je n'y étais pas). Les femmes y sont souvent horriblement maltraitées, les prostituées parfois égorgées par des brutes en pleine rue, tandis que les fusillades se déclarent souvent pour un rien en laissant moult innocents sur le carreau. Un tableau du Wild West sauvage et cru, duquel se dégage immanquablement pour les joueurs une beauté parfois malsaine, peut-être, mais bien réelle, et qui transporte de bout en bout car elle ne cesse de se renouveler avec des découvertes variées, à tous les niveaux.

Pas le temps de s'ennuyer

Qui n'a jamais joué aux cow-boys et aux indiens ne serait-ce qu'une seule fois ? Quels autres jeux dressent un portrait réaliste de l'ouest sauvage de 1910 ? Mais au-delà de l'histoire de rédemption de John Marston, il y a mille autres choses qui émerveillent et motivent le joueur à se fondre dans cet univers criant de crédibilité. Depuis la myriade d'espèces animales, à chasser pour le profit des peaux, plumes, crocs et autres, jusqu'aux crimes omniprésents dont on pourra d'ailleurs tout à fait être la victime, en passant par des mini-quêtes secondaires par douzaines, la découverte de nouvelles tenues (octroyant parfois des bonus spéciaux) pour notre héros, ou encore des mini-jeux susceptibles de passionner des heures durant (le texas hold'em, le poker menteur ou le blackjack) ou de vous distraire quelques minutes (le bras de fer, le jeu du couteau, le lancer de fer à cheval), la débauche de contenu atteint des sommets. Et elle emporte avec elle l'intérêt de l'ensemble au firmament. Ne serait-ce que contempler les levers et couchers de soleil, en s'imprégnant des nombreux bruits de la nature environnante, découvrir des dizaines de lieux cachés par les escarpements de falaises épiées par les vautours, ou pousser par jeu un ivrogne tentant de tenir debout au bas des marches d'un saloon, Red Dead Redemption surpasse de très loin GTA IV par la qualité de son immersion, quasi totale, mais surtout par la quantité de choses intéressantes à faire en marge de l'histoire de Marston. Qu'il s'agisse d'événement aléatoires (j'en ai croisé plus d'une trentaine différents en un jour de temps de jeu), ou de mini-quêtes tantôt amusantes, tantôt mystérieuses, il est presque difficile de suivre l'histoire principale tant on est tenté de s'éloigner de ce chemin pour poursuivre des objectifs mineurs "tant qu'on y est".

Devenir une légende de l'Ouest

Vous vous imaginez déjà en justicier de l'ouest, prêt à défendre la veuve et l'orphelin des brigands et autres bandits terrorisant les innocents ? Ou peut-être pensez-vous plutôt à enfiler votre foulard pour poursuivre des intérêts très personnels sans regard pour la souffrance d'autrui ? Voire le faire à visage découvert, pour que le nom de Marston trône tout en haut des primes les plus élevées imprimées sur les affiches "Wanted" ? Quel que soit votre vision de l'aventure western, Rockstar a pensé à vous avec un double système d'honneur et de réputation. L'honneur est une échelle symétrique (négatif, vous êtes un criminel, positif, un héros), et la réputation une accumulation de hauts-faits indépendante de leur moralité. À mesure qu'ils évoluent, l'univers suit de manière cohérente. Si vous bafouez la loi, une prime est placée sur vous. Plus elle est élevée, plus vous attirerez forces de l'ordre et autres chasseurs de prime, jusqu'à trouver la prison... ou la mort. Pour vous éviter ces tracas, une poignée de dollars ou une lettre de pardon suffira, mais votre honneur, lui, ne peut être racheté qu'au travers de bonnes actions. Et plus vous serez connu, plus les autorités seront indulgentes envers vos écarts... ou trop effrayées pour oser vous en tenir rigueur. Pour devenir connu, il y a bien sûr la complétion des quêtes, et des missions de l'histoire, mais aussi une tonne de défis se débloquant successivement. Botaniste, chasseur, as de la gâchette ou chasseur de trésors, chacun pourra remplir, niveau après niveau, les différents défis de ces catégories pour le plaisir, bien sûr, ou la réputation qu'ils apportent. En un mot comme en cent, je suis encore abasourdi par la quantité faramineuse de contenu et de mécaniques de jeu dont regorge Red Dead Redemption. Et pour l'instant, je n'ai parlé que du solo...

Chevauchée avec ses potes

Depuis GTA IV, Rockstar travaille à l'intégration de multijoueurs dans ses jeux open-world. Et là encore, Red Dead Redemption s'impose comme le plus abouti de leurs titres. Après avoir sélectionné le multijoueurs, on se retrouve en mode Exploration. On peut ouvrir sa partie à tous, ou sur invitation pour jouer entre amis uniquement. Dès lors, seul en attendant jusqu'à 7 autres joueurs ou avec eux s'ils sont déjà connectés, le monde entier de RDR s'ouvre à vos chevauchées. Des défis spécifiques au multi vous engagent à accomplir certaines tâches et à réussir certains hauts-faits, lesquels vous rapportent des points d'expérience qui propulsent votre personnage de niveau en niveau et lui permettent ainsi d'accéder à de nouveaux costumes, de nouveaux chevaux, de nouvelles armes, mais aussi des parties plus difficiles. On peut choisir de nettoyer en bande des repaires de brigands, ou d'aller en ville pour se lancer dans des parties jusqu'à 16 en "free for all" ou en groupe, dans des modes classiques avec fusillades, ou équivalent de la capture de drapeaux (remplacés par des sacs d'or). Par-dessus, une autre couche de défis liés au Rockstar Social Club (inscription gratuite) mettent à contribution l'ensemble de la communauté, par exemple en ramenant suffisamment de peaux ou en œuvrant de concert pour des objectifs divers, souvent récompensés par des objets utilisables dans le PlayStation Home. Ça ne manque donc pas de choses à faire de ce point de vue non plus, et le trip bande de cow-boys, les duels à plusieurs en début de partie, ou les fusillades jouissives garantissent, si besoin était, une durée de vie d'autant plus grande à RDR, que Rockstar semble déterminé à animer sa communauté bien après la sortie du jeu avec des nouvelles petites choses - notamment des missions en co-op gratuites prévues pour Juin. Nous n'avons malheureusement pas pu goûter à tout ça en "conditions réelles", vu le faible nombre de personnes connectées à partir de cette version du jeu (tout juste avons nous pu passer une matinée en compagnie d'un développeur de Rockstar Vancouver en plus des parties que Traz a menées et décrites dans ses impressions), mais il ne fait aucun doute que de ce point de vue aussi, RDR n'a pas fait les choses à moitié.

Je pourrais continuer des heures à décrire l'immensité de la tâche et de la réussite accomplies par Rockstar San Diego sur son Red Dead Redemption. C'est certain, il y a bien des petits bugs ici ou là, bien souvent plus drôles qu'handicapants, mais c'est un véritable miracle qu'il n'y en ait pas plus compte tenu de la quantité de systèmes complexes qui régissent l'écosystème de cet univers époustouflant, et promettent aux joueurs inventifs des heures de fun avec un gameplay émergeant complétant à merveille l'épine dorsale que constitue l'histoire. Des détails de gameplay d'importance (siffler votre cheval où que vous soyez pour le voir arriver), aux idées d'immersion brillantes (les éditions du journal pour suivre ce qui se passe), RDR raffine un concept architecturé autour d'une structure déjà connue (celle de GTA), en lui apportant le nécessaire pour la transcender. Certains trouveront peut-être que le rythme de l'ensemble paraît binaire (de morceaux épiques de l'histoire en trekking de longue haleine à l'initiative du joueur), mais c'est bel et bien à eux que revient la tâche de vivre cette expérience dans les conditions qui leur siéront le mieux - et on ne peut pas reprocher à Red Dead Redemption de ne pas fournir le maximum d'outils ludiques pour qu'ils y parviennent. Brillant.