Pour ceux qui auraient réussi l'exploit de passer à travers la communication bien huilée du titre, rappelons que 12 Minutes prend la forme d'un thriller narratif qui emprunte largement ses mécaniques au genre du point and click. Comme au théâtre, l'intrigue s'ouvre sur une soirée a priori bien banale, puisqu'un type lambda s'en retourne chez lui pour retrouver son épouse, sans se douter de la tournure dramatique que vont rapidement prendre les évènements.

En-tête d'affiche

Les premières bandes-annonces n'en ont d'ailleurs pas fait mystère : le jeu de Luis Antonio raconte depuis le plafond d'un petit appartement la fin de journée perturbée d'un couple, qui voit sans ménagement débarquer un individu prétextant être de la police, qui s'en vient prestement mettre notre dulcinée aux fers. Sale histoire. Comme dans une pièce du gars Poquelin, les protagonistes n'ont (pour un temps) pas d'autre descriptif que celui de leur pure fonction : mari, femme et policier, donc, forment ainsi un trio narratif d'une richesse insoupçonnée, qui va se révéler au fur et à mesure des boucles qui s'enchaînent, et lèvent le voile sur un sombre passé.

Avec 12 Minutes, c'est un peu comme le Port-Salut : les évènements se décomposent à travers une boucle évolutive d'une durée éponyme, mais encore faut-il pour en découvrir les ressorts faire preuve de curiosité, et de pas mal d'ingéniosité. Car à chaque échec, tout recommence : qu'il soit mort d'étranglement, d'électrocution ou d'une bonne vieille plaie à l'arme blanche, notre mari de héros recommence sa soirée à la seconde même où il franchit le pas de sa porte. L'occasion de changer le cours des choses pour le meilleur, et peut-être pour le pire...

Et on danse pour s'en sortir

Si l'aventure a largement su capitaliser sur le prestigieux trio d'acteurs qui insuffle la vie à ce trio aux visages rarement identifiables, c'est toute l'ambiance sonore du titre qui brille par son souci du détail. Le jeu criant de réalisme de Daisy Ridley, Willem Dafoe et James McAvoy profite non seulement d'une adaptabilité sans faille aux nombreux événements ramifiés de l'intrigue, mais profitent également d'une palette de filtres qui offre toujours plus d'indications sur la spatialisation des personnages, mais permet également de jouer... à l'oreille. Quitte à connaître certains dialogues par coeur ? Tout à fait.

Les bruitages, qui font également preuve d'un soin méticuleux, sonnent après quelques essais comme une mélodie dont on connait déjà le tempo, et qui permet d'évoluer au moins durant quelques minutes en terrain connu, avant de tenter de nouvelles choses, parfois à l'aveugle, soyons honnêtes. Entre les conversations étouffées des voisins, l'arrivée de ce fichu orage (qui donne une indication précise sur les quelques minutes déjà écoulées, le son joue assurément un rôle déterminant dans votre progression. La musique n'est évidemment pas en reste, malgré sa discrétion : si elle se manifeste sous forme de jingle, ou dans la diégèse de 12 Minutes, c'est également pour signaler l'imminence de certains marqueurs, et accentuer la pression alors que la boucle s'approche une fois encore de sa conclusion. Qui aurait cru que le son pourtant si inoffensif d'un ascenseur puisse générer autant de stress ?

Outer Gouaille

Formé à l'intestable école Jonathan Blow, Luis Antonio (artiste sur The Witness, excusez du peu) s'amuse avec son thriller narratif à laisser les joueurs expérimenter selon leur bon vouloir, mais compte surtout sur leur expérience cumulée. 12 Minutes est également un point and click, et il propose à ce titre bon nombre d'interactions avec et entre les objets du décor, mais aussi avec le duo d'interlocuteurs en place : d'abord à tâtons, on explore le cadre de prime abord restreint de cette intrigue encapsulée, histoire de se familiariser avec notre nouveau terrain de jeu. Tout est là, sous nos yeux, mais encore faut-il comprendre ce qui se joue. Heureusement, même les plus distraits finiront bien grâce à des jeux de lumières et de couleurs savamment travaillés par détourner leur regard, et laisser leur curiosité dicter les mouvements. Le jeu nous fait même une ultime fleur en listant automatiquement certaines lignes de dialogues une fois le sujet découvert, que l'on y ait ou non prêté attention.

L'interface n'est pourtant pas des plus pratiques sur console - la faute à un menu qui disparaît trop vite tout en plaçant systématiquement son curseur en première position -, mais l'on s'amuse entre deux K.O. techniques à interagir avec les items les plus banals d'un appartement occidental de notre époque, sans forcément comprendre le rôle qu'ils pourront jouer dans l'intrigue. À l'instar du brillant Outer Wilds, la structure volontairement répétitive de l'action permet pourtant de prendre petit à petit un coup d'avance sur la suite des événements. Alors on teste, on tente des choses. Encore. Et encore. Quitte à passer dix minutes à écouter en boucle la musique d'attente horripilante d'une mutuelle lambda.

La montre de Tchekov

C'est évidemment là que le souci maladif du détail qu'Antonio semble avoir emprunté à son mentor trouve tout son sens : la (toute) petite équipe a pensé à TOUT. En accumulant les erreurs, mais aussi les indices, on comprend peu à peu la complexité de 12 Minutes, qui parvient à raconter d'une façon morcelée et pourtant passionnante, une bien curieuse enquête. Car contrairement à l'autre chef d'oeuvre édité par Annapurna Interactive, il est ici impensable de courir tout droit vers la ligne d'arrivée : ce n'est qu'à force de tâtonnements que l'on parvient à emprunter de nouvelles voies, et progresser dans sa réflexion. Si rien ne viendra véritablement vous indiquer la marche à suivre, l'écriture s'avère suffisamment fine pour parsemer les dialogues d'indications, de suggestions et de pistes qui finiront à force de répétitions par vous mettre la puce à l'oreille. Le reste suivra, tout naturellement.

La progression passe évidemment par l'examen, l'emploi ou la combinaison d'objets comme tout bon point and click qui se respecte, mais les dialogues s'enrichissent également au fur et à mesure de vos découvertes : si l'on tentera lors des premiers runs de convaincre sa chère et tendre de la boucle infinie qui semble inlassablement se répéter, les questions se multiplient au fur et à mesure de la progression, mais encore faut-il trouver le bon moment pour les poser. Car 12 Minutes est régi par un implacable réalisme, et ce n'est pas parce qu'un sujet nous brûle les lèvres qu'il faut pour autant l'aborder de but en blanc.

Ce n'est sans doute qu'après de nombreux essais que l'on comprend finalement l'absence d'une option permettant de rapidement relancer une nouvelle boucle... Il serait non seulement très facile de poursuivre encore et encore dans la même voie sans se rendre compte que les embranchements sont (très) nombreux, et tous riches d'indices, mais la perspective d'un run raté (ou qui ne se déroulerait pas exactement comme prévu) s'avère bien souvent salvatrice, puisque c'est à ce moment-là que l'on tente le tout pour le tout, quitte à sombrer dans l'improbable, pour découvrir avec émerveillement de nouvelles interactions.

12 Minit

C'est bien simple : tous les cas de figure semblent avoir été envisagés, et les options deviennent tellement nombreuses qu'elles en donneraient carrément le tournis. Qui pourrait croire qu'une porte fermée ou qu'une lumière éteinte puisse à ce point changer le cours des événements ? Ou que le même appel téléphonique ait des répercussions si différentes à seulement quelques minutes d'écart ? Proche d'Her Story, ou plus modestement d'un Normal Lost Phone, la sauce prend tellement bien que les heures (et les nuits) s'enchaînent sans que l'on ne voit le temps passer, trop occupés que l'on est à surveiller le chronomètre interne de 12 Minutes, réglé avec la précision d'une horloge suisse. Le moindre run destiné à vérifier une hypothèse génère immédiatement plus d'une variation dans la tête du joueur un tantinet curieux, et l'on ne se pose même plus la question de poser la manette tant les questions se bousculent, et que la vérité émerge immanquablement.

À l'instar de l'inoubliable expérience ludico-philosophique du maître Blow, 12 Minutes ne cesse d'ailleurs pas d'exister au moment où il faut malheureusement aller grapiller quelques heures de sommeil : impossible de ne pas réfléchir à ce que l'on pourrait faire différemment une fois rentrés, et l'aventure se transforme alors en véritable obsession. On y pense en cherchant les bras de Morphée, dans les transports, à la machine à café, ou en faisant semblant d'écouter les élucubrations alambiquées de son rédacteur en chef (Pro tip : pensez à prendre un calepin avec vous, vraiment). La marque des grands, assurément.