Préambule

André
Gunthert, Maître de Conférences à l'EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences
Sociales) précise, en introduction de ce séminaire,  que l'invitation d'Alexis Blanchet est le
fruit d'une association entre le séminaire "Mythes, images, monstres" et le
séminaire "Histoire culturelle du cinéma", animé par Christophe Gauthier, Anne
Kerlan-Stephens et Dimitri Vezyroglou, pour une séance spéciale. En effet,  le Jeu Vidéo a été oublié dans un colloque en
janvier au Quai Branly. D'autres associations sont à suivre.

Introduction

Alexis
commence son intervention en la décrivant comme bicéphale. Elle sera séparée en
deux parties. Il y aura tout d'abord un regard du Jeu Vidéo dans la Recherche
puis il parlera de l'intersection entre Jeu Vidéo et Hollywood depuis ses
débuts jusqu'à aujourd'hui, en se concentrant sur la 1ère période,
de 1971 à 1983.

La place du Jeu Vidéo dans la Recherche

Dans
le monde académique, au milieu des années 2000, l'image du Jeu Vidéo était
celle d'une industrie du divertissement pour enfants, trois points ne jouant pas en
sa faveur auprès des chercheurs. L'argument décisif fut l'état de l'art dans la
Recherche française. En 2004, seuls quelques textes étaient publiés par des
chercheurs français. La majeure partie était anglo-saxonne et scandinave, pays
dans lesquels les recherches sur le sujet débutèrent au début des années 90.
Depuis environ 2000, apparaissent des doctorants, des docteurs et quelques
Maîtres de Conférences français dans le Jeu Vidéo. Cela commença dans le
domaine de la psychologie, avec le thème de la violence depuis les années 80 et
celui de l'addiction dans les Meuporg MMORPG (Massively Multipayer
Online Role Playing Game ou Jeu de Rôle en Ligne Massivement Multijoueur dont
l'exemple le plus connu est World of Warcraft ou WOW).

Cependant,
au niveau de l'image du Jeu Vidéo, le lancement de la PlayStation 2 (PS2)  a marqué les esprits (NdA : venant de
dépasser les 150 millions d'exemplaires, elle est la console de salon la plus
vendue de tous les temps). Selon Alexis, un changement de perception eut lieu
alors chez les journalistes généralistes et des articles économiques se sont
mis à apparaître en dehors de la période de Noël et les sociologues ont
commencé à s'emparer du sujet.

Une approche historique

La
présence de textes académiques étant, comme il a été dit plus haut, sporadique,
écrire une histoire du Jeu Vidéo demande la consultation de livres
anglo-saxons, la lecture d'articles de presse et des entretiens avec des
passionnés. Cependant, beaucoup des ouvrages disponibles décrivent cette
histoire à travers les grands personnages de ce médium. Or, Alexis souhaitait
dépasser cette « théorie des grands hommes » et saisir les mouvements
culturels, industriels et sociaux depuis les années 70 et la commercialisation
des premiers jeux vidéo. De même que pour le terme cinéma qui regroupe aussi
bien la salle, l'industrie ou la pratique, celui de jeu vidéo peut représenter
à la fois les pratiques ou l'objet. Le terme « jeu vidéo » vient de
l'anglais « video game ». Dans les années 70, le premier terme
utilisé était plutôt « electronic game » pour passer, dans les années
80 à « computer game » avant de se fixer sur l'expression actuelle à
la fin de la décennie 80.

Il
n'est jamais aisé de donner une date débutant un domaine. Cependant, comme le
cinéma avec la 1ère projection des frères Lumière en 1895, on peut,
pour le Jeu Vidéo, prendre la première exploitation commerciale d'un jeu en
1971 : Computer Space, par Nolan Bushnell. Par ailleurs, il est
intéressant de remarquer que, depuis lors, la perception du Jeu Vidéo a évolué.
D'un côté, le teme « jeu vidéo » était utilisé dans un sens péjoratif
comme l'illustre la critique du film « La Momie » par Télérama. De
l'autre, les politiques, en 2007, étaient souvent présents dans « Second
Life », application qualifiée de jeu vidéo.

Mais
qu'est-ce qu'un jeu vidéo ?  Dans
son « dictionnaire mondial des images »,  Laurent Gervereau a retenu la définition
proposée par Alexis Blanchet dont voici un extrait :

Jeu vidéo : n. m.

Activité ludique régulée par un ordinateur ou un circuit
électronique qui combine un appareillage audiovisuel - un écran souvent
accompagné d'un dispositif sonore - avec une interface physique sur laquelle
agit le joueur (manette, joystick, clavier d'ordinateur, microphone,
écran tactile...) Les actions du ou des joueurs sur le périphérique de jeu
engagent des changements de paramètres pris en compte par le programme
informatique et traduits à l'écran par des modifications de l'image diffusée.

Il
faut ensuite envisager le contexte global. Ce secteur a une mémoire de poisson
rouge : aucune archive de ce qui a été produit n'a été constituée. Alexis
a demandé une liste des jeux sortis sur leurs machines respectives à Nintendo,
SONY et Microsoft. Les deux derniers ne lui ont pas répondu et Nintendo France l'a
redirigé vers le site www.jeuxvidéo.com !
En cherchant sur internet, il a réussi à trouver une liste des jeux Nintendo
sur le site américain de la firme. Au début, les contraintes technologiques
imposait aux industriels de recycler les mémoires. De plus, au fil des fusions
et acquisitions, le travail était perdu comme Infogrames demandant aux employés
de l'une des sociétés qu'elle a acquises de vider leurs armoires (NdA : ou
Nintendo Japon qui fit mettre à la benne une grande partie des siennes en 2006.
Cf Florent Gorges dans l'un des podcasts Gameblog auxquels il a participé). Il
existe néanmoins quelques ressources institutionnelles. Depuis 1992, la BNF
(Bibliothèque Nationale de France) a un dépôt légal des jeux vidéo auxquels les
éditeurs sont censés envoyés chacun de leurs jeux en deux exemplaires (complet
avec jeu, boîte et notice), un pour la conservation et l'autre pour la
consultation. Cet envoi n'est malheureusement pas assez respecté. L'expertise
existe heureusement auprès des passionnés, des fans, auprès de la presse
spécialisée et économique, avec les publicités et dans les rapports d'activité
(ceux de Warner contient beaucoup d'informations sur Atari au début des années
80).

Il
faut faire attention aux mythes, présents dans toute histoire.

La légende raconte que, lors de
l'introduction de la première borne d'arcade Pong au « Andy Capp
Tavern » aux Etats-Unis, le gérant de l'endroit appela rapidement la
société car la machine ne fonctionnait plus. Il se trouve que c'était en fait
le réceptacle à pièces, trop rempli, qui l'empêchait de fonctionner.

Or,
on retrouve cette même anecdote avec Pac-Man dans la page Wikipédia FR sur
l'âge d'or des jeux d'arcade ou encore se déroulant en France, à Paris, dans La
Saga des Jeux Vidéo de Daniel Ichbiah.

Stephen
Kline détaille une idée selon laquelle le Jeu Vidéo a trois composantes :
une partie technologique, avec les ingénieurs et les fabricants, une partie
marchande avec le marketing et la publicité et une partie culturelle pour son
utilisation. Elles sont en constant frottement et il faut composer avec. Il en
est de même avec le cinéma.

On
peut recenser 3 périodes concernant la relativement courte histoire de ce
domaine. Il y a tout d'abord un âge d'or américain, de sa création (1971) à la
crise de l'industrie en 1983, puis la période des « Nintendo Kids »
(1983-1994) dominée par Nintendo et SEGA. Enfin, la période actuelle de
démocratisation du Jeu Vidéo avec l'arrivée de nouveaux acteurs issus de
l'électronique grand public et du logiciel « généraliste », SONY et
Microsoft.

Focus sur la période 1971-1983

Cette
époque fut dominée par la première major du Jeu Vidéo : ATARI. Durant ces
années, ATARI définit la direction du marché et réussit à imposer Pong comme
étant égal, dans les esprits, à Jeu Vidéo. En effet, entre 1971 et 1974, tous
les jeux qui sortent sont des équivalents plus ou moins complexes du jeu
d'ATARI.

Deux
modes d'exploitation opéraient à l'époque. 
Celui de l'arcade soutenait le Jeu Vidéo par son aspect de démonstration
technologique puis s'est mis à péricliter quand les consoles de salon furent à
même d'offrir un aspect technique sensiblement similaire. Et donc, l'autre mode
de consommation est le marché domestique, initié par Ralp Baer et son Odyssey.
L'idée de M. Baer part de la constatation qu'en ce début des années 1970, 80%
des foyers américains ont une télévision. Il réussit à faire en sorte qu'elle
serve d'écran pour sa console en détournant l'utilisation de la prise antenne
pour y brancher l'Odyssey. Il y a donc là un véritable « hacking » au
sens premier du terme, un détournement, concept consubstantiel au Jeu Vidéo
depuis ses origines jusqu'à aujourd'hui qui s'accompagne d'un geste assez
révolutionnaire pour l'époque désacralisant l'objet « télévision »
puisque Ralph Baer fait débrancher le câble aux américains pour y mettre celui
de sa console !

Prenant
conscience du succès grandissant de ce nouveau secteur, le New Hollywood (terme
donné à la réorganisation des majors du cinéma en conglomérats hétérogènes dans
les années 60/70 puis vers un rassemblement vers le divertissement) intervient.
L'origine de cet intérêt vient en partie du fait que l'année 1971 est l'une des
pires en terme de fréquentation des salles à cause de la télévision. Il faut
donc un moyen aux studios de minimiser les risques. De ce constat, on arrive à
des « pre-sold projects », du cross média (l'adaptation en film
d'un livre à succès garantit presque un succès pour le film) et de produits
dérivés.

Selon
Alexis, le film est le logiciel qui viendrait nourrir un matériel de plus en
plus variés : la salle au début puis la télévision, la cassette VHS, le
DVD et maintenant les consoles de jeu avec la VoD (video on demand).

Le
rachat d'ATARI par la Warner fait donc partie des moyens de limitation des
risques par les majors du cinéma. Fondé avec 500$ en 1972, Nolan Bushnell vend
ATARI au conglomérat Warner Communications en 1976 pour 30 millions de dollars.
En 1981, ATARI représente 30% du conglomérat WBCI entier. Le Jeu Vidéo grignote
des parts de marché et du temps d'activité au cinéma et à la télévision.

Les monstres

Petit
aparté : Comment expliquer la présence des japonais dans le secteur
vidéoludique dès 1975 ?

Alors
que jusqu'à présent, les négociations avec les acteurs japonais étaient
toujours extrêmement longues, avec le succès aux USA des robots en fer blanc,
le gouvernement japonais prit conscience que 80% de leur production étaient
exportés vers les Etats-Unis. Par conséquent, il fit en sorte que les contrats
puissent être signés plus rapidement. De plus, en intégrant des composants
électroniques dans ces robots, les compagnies japonaises de ce domaine, qui
deviendront en grande partie celles fabriquant les consoles et ordinateurs
japonais, purent ainsi avoir une meilleure connaissance du marché américain. Ce
fut leur porte d'entrée.

Les
créateurs de jeux vidéo sont, à la base, des techniciens et des ingénieurs. Ils
puisent leur inspiration pour leurs créations dans leurs imaginaires peuplés,
notamment, de monstres. Il y a donc recyclage des monstres dans le Jeu Vidéo,
surtout ceux provenant des films datant de 1931 à 1934, période dominée par
Universal et ses « Horror Movies » comme Dracula, Frankenstein ou les
momies (que l'on retrouve respectivement dans Kid Dracula de Konami,
Frankenstein de Bandai ou DecapAttack de SEGA). D'ailleurs, le premier jeu à
exploiter le thème du Western est japonais, c'est Gunfight par TAITO. Ils
utilisent ainsi un folklore connu mondialement afin de pouvoir exporter ce
produit en dehors du Japon.

Le
premier film adapté en jeu vidéo est « Jaws » (Les Dents de la Mer)
de 1975, réalisé par Steven Spielberg. Suite à un refus de la Warner d'en céder
les droits à ATARI, Bushnell réalise en quelque mois cette adaptation détournée
dans laquelle le joueur contrôle un plongeur devant attraper des poissons tout
en évitant le requin. On remarquera surtout, sur la borne, la mention
« Shark » en petit, presque pas visible par rapport à celle de
« Jaws ».

 

Circulation intermédiatique : le cas
des zombies

Le
corpus de jeux vidéo utilisant des figures monstrueuses inclue les Vampires
(125 jeux), les zombies (114), les momies (environ 100),... Alexis s'est plus
particulièrement intéressé ici aux zombies.

Ce
mythe haïtien du XIXe siècle est tout d'abord adapté en film en 1932 dans White
Zombie dans lequel les zombies sont des « non morts ». Puis, en 1968,
George A. Romero réalise « Night of the Living Dead » (La Nuit des
morts-vivants) où, à travers la Science, les zombies sont plutôt considérés
comme des infectés. En jeu vidéo, on peut citer Dead Rising (2006) de Capcom
s'inspirant de « Dawn of the Dead » (Zombie dans sa version française
- 1978) du même Romero. Finalement, c'est Capcom qui fait revenir sa licence
Resident Evil aux sources du mythe avec son Resident Evil 5 (2009) se déroulant
en Afrique.

Donkey Kong : une œuvre
« patchwork »

Le
jeu Donkey Kong est édité par Nintendo en 1981. Ce nom est une référence à King
Kong, personnage d'un film d'horreur de 1933 qui a été l'objet d'un remake
seulement 5 ans avant l'arrivée de Donkey Kong.

Petit
retour sur l'histoire de cette borne d'arcade. Nintendo veut conquérir le
marché US et, à cette occasion, crée Nintendo of America, société à la tête de
laquelle le président, Hirosho Yamauchi, placera son gendre, Minoru Arakawa.
Voulant surfer sur le succès japonais du jeu Radar Scope, Nintendo exporte près
de 3000 bornes vers les Etats-Unis. Mais plusieurs mois s'écoulent et le jeu
est déjà obsolète à son arrivée. Yamauchi dépêche alors l'ingénieur Gunpei
Yokoi  (les Game & Watch, la Game
Boy,...) et le designer Shigeru Miyamoto (Mario, Zelda,...) afin d'utiliser le
hardware de Radar Scope pour créer un nouveau jeu qui permettrait de rattraper
l'échec commercial de ce dernier tout en trouvant une thématique adaptée au marché
américain.

La
première idée est d'utiliser la licence de Popeye que Nintendo a déjà acquise
et de profiter aussi du film live de 1980 avec Robin Williams. Malheureusement,
les ayant-droits refuse le projet car ils trouvent que le personnage n'est pas
assez ressemblant. Le triangle amoureux Popeye/Olive/Bluto (Brutus) se
transforme alors en Jumpman (Ossan, nom d'origine au Japon qui deviendra plus
tard Mario)/Pauline/Donkey Kong

Influences

La
première des influences de Donkey Kong est évidemment le singe géant si connu.
King Kong a été l'objet d'un film japonais, King Kong contre Gozilla (Kingu
Kongu tai Gojira, 1962) mais il existe aussi un film de 1932, véritables
prémices de King Kong, intitulé Murders in the Rue Morgue dans lequel du sang
de jeune vierge est injecté à un grand singe afin de créer le chaînon manquant.
S'élevant une certaine conscience, le singe tombe amoureux de l'héroïne et la
kidnappe. On notera alors plusieurs points communs avec Donkey Kong : le
sauvetage de la fille en détresse, un grand singe patibulaire et des
personnages qui grimpent. C'est cet imaginaire qui est draîné avec King
Kong : la verticalité, les grattes-ciel et les structures métalliques
rouges, que l'on retrouve dans des œuvres du milieu du XXe siècle comme la photographieLunchtime atop a skyscraper  (Charles Clyde Ebbets, 1932) ou le cartoon
Bad Day at Cat Rock (Chuck Jones, 1965).

Cependant,
le grand gagnant est Mario. Nintendo investit énormément dans ce personnage
depuis sa création et, en 1990, une étude américaine (Q ratings) montre que les
enfants reconnaissent plus Mario que Mickey Mouse. La figure de Mario a
d'ailleurs été dictée par les contraintes techniques de la borne dont le jeu,
bien qu'inventé par Miymoto et Yokoi, a été codé par une société externe. La
moustache permet de marquer une séparation entre le nez et le menton, les
proportions rappellent celles du dessin SD (Super Deformed) japonais car la
tête du personnage compte pour le tiers de sa taille totale. Ce corps est à
rapprocher de celui de Buster Keaton et son univers où les similitudes sont
nombreuses : cabrioles, cascades, mouvements, courses, cadrage, obstacles,
environnements (voir le montage à ce propos de Manuel Garin).