"18 mai, Paris. La pluie n'a pas cessé de tomber depuis ce matin. Mon imper était bon pour passer le reste de la journée à sécher sur le fauteuil du salon. 40 dollars dans une échoppe du VIIIème, et ça n'arrivait pas à empêcher les gouttes d'eau de ruisseler le long de mes bras. J'entrais dans ce magasin culturel à la marque jaune, et me précipitais à l'étage, au rayon des jeux. Des badauds parcouraient les allées et beaucoup étaient à la recherche de leur Saint Graal: une boîte de jeu avec une tête de démon rouge. Il était aussi moche que le gars que j'avais refroidi la semaine dernière, mais au moins, ce gars-là avait encore un paquet de blondes entier dans sa poche. Je souriais.

Mais ce n'était pas cette boîte de jeu rouge sang qui m'attirait, mais plutôt l'autre, celle avec des couleurs aussi chaudes qu'une nuit d'été dans un bordel. Les nouvelles aventures de Max Payne. Ça me faisait peur, ce troisième épisode. Rien qu'à la jaquette, je voyais pas la ressemblance avec ses petits frères. L'ambiance noire, sombre, poisseuse, ça n'avait pas l'air d'y être. Mais c'était quand même ce bon vieux Max, et les gars aux commandes étaient derrière deux autres pépites, deux merveilles qui trônaient fièrement à côté de ma réserve de bouteilles de vodka. A croire que je pouvais pas faire l'un sans l'autre. Je tendis la boîte au caissier, qui avait l'air d'y connaître un rayon dans ce milieu. Enfin, il avait seulement l'air. Il a regardé la boîte puis a monté son regard vers le mien, tentant de me convaincre de passer du côté "diablolique" et de me laisser aller vers une meilleure alternative. J'avais 37 raisons de lui prouver le contraire, mais mon regard noir a suffi à le convaincre de lâcher l'affaire. Petite nature...

Chez moi, je regardais par la fenêtre. Les gouttes de pluie tombaient encore, telles des lames acérées et glaciales, venant prouver à la France que ce mois de mai sera définitivement pourrie. Bah, maintenant, on est habitué. Comme ils disent aux infos, mieux vaut que toute la merde tombe en une seule fois pour être tranquille les mois suivants. Pas sûr qu'il y ait assez de mois pour couvrir toute cette crasse. 
J'insérais la galette dans la console. Deux disques, deux pour le solo, et un avec le multijoueur. Le bougre avait l'air d'être généreux. C'était pas de refus par les temps qui courent. Je me versais un coup de gnôle dans le premier verre qui me passait à portée de main et lançait ma partie. Max Payne était là, devant moi, ruminant de tout son saoûl tout en tentant de garder l'équilibre dans un appartement miteux. Les sous-titres étaient petits, mais je m'y habituerais. N'empêche, c'était petit. Ce bon vieux Max, toujours pessimiste. La mort de sa femme et de sa fille ne l'avaient toujours pas quitté, et il était devenu une véritable épave. Un vieux croulant attendant sa mort en se noyant dans le whisky. Un merveilleux point de départ, qui laissait penser que l'aventure n'allait pas être une sinécure... 

Max s'est fait alpagué par son pote Passos, qu'il connaissait à l'académie, et qui est venu le chercher à New York pour jouer le garde du corps d'une riche famille brésilienne. Sacré Max, toujours à se faire prendre pour un pigeon. Si ce n'est que la famille Branco qui l'embauche est plutôt pas mal. Le vieux Rodrigo s'est fait une midinette du coin, plutôt jolie dans son genre. Un genre à facilement se faire kidnapper. Ça ne rate pas: il suffit d'une soirée dans un club branché de Sao Paulo où la coke est aussi facile à trouver que dans un distributeur de chewing-gum pour que la donzelle se fasse enlever par un gang du coin, probablement pour récupérer une rançon. Professionnel comme il est, Max se précipite à sa poursuite, mais il n'arrivera pas à les rattraper, probablement trop bourré pour faire quoi que ce soit. Mais le bonhomme sait y faire, et gavé de whisky ou d'analgésiques, il parvient à jouer des flingues pour allumer et détruire la moitié du club. Une mise en bouche pas désagréable. Avec deux premiers chapitres au compteur, on s'est déja farci quelques petits merdeux qui trouvaient marrants de jouer aux gangsters. Max, lui, ne faisait aucune différence entre ces gars et des dealers de drogue du fin fond du New Jersey.

En tout cas, ça m'a rassuré. Au fur et à mesure de l'histoire, on est dans du Max Payne pur jus: des vieux tripots miteux, des bordels sales et poisseux, et la lumière du soleil qui arrive à nous faire désespérer du temps qu'il fait dehors, IRL comme disent les petits jeunes d'aujourd'hui. L'histoire et l'intrigue sont diablement intéressants, et les chapitres sont généreux et long: facilement une heure pour chacun d'entre eux, avec à chaque fois un lieu différent, et le jeu ne s'adresse pas aux petites filles. Pas d'autoregen, comme dans le temps, uniquement les fameux painkillers qui m'avaient bien manqué. Et c'est ça la grande force de Max Payne: on se planque dans une pièce avec ces adversaires, on analyse tout ce qui se passe et on plonge pour mettre quelques pruneaux dans la tête de celui qui aura le malheur de regarder ce qu'il se passe. Brutal, parfois suicidaire, j'aime cette façon de penser, ce carnage prévisionnel qui permet de la jouer tactique mais aussi sans pitié. 

Sans pitié, c'est comme ça qu'on pourrait le surnommer, ce putain de jeu. Il n'y a qu'à voir ces malheureux se prendre des bastos dans la figure. A chaque dernier ennemi abattu, la caméra passe en rapproché et permet de voir les conséquences de son tir, tout en continuant à tirer. Jamais vu des impacts de balles aussi violent dans toute la chienne de vie. Et j'en ai vu, des choses. Là, on aurait presque pitié pour le pauvre bougre qui ne trouvera pas la paix avec trois balles dans la figure. Mais Max garde la classe, quoi qu'il arrive. Même avec ce nouveau truc qu'il fait, là. Il fonce au corps à corps sur l'ennemi, lui donne un coup de crosse pour le mettre à terre et l'achève avec son flingue dans un silence presque religieux. Avec leur nouveau moteur physique, ils ont un peu modifié ses fameux plongeons: Max se cogne contre les murs, il faut mieux calculer son coup, et peut même reste au sol à l'infini pour continuer à mitrailler. Il recharge à une main, se relève avec classe. Y a pas à dire, Max bouge sacrément bien, les saligauds de chez Rockstar savent comme faire bouger un gars qui a du style.

Faut ajouter à ça les trucs habituels, comme le ralenti classique, et même la possiblité de mettre pause et de tourner la caméra pour admirer son oeuvre. Et de voir à quel point ce jeu est sacrément bien foutu techniquement: le mobilier vole en éclats, les feuilles s'envolent dans tous les sens, les murs et les planches en bois volent en éclats sous les balles comme les dents d'un petit voyou qui les a trop longues. Le jeu arrive même à en mettre plein la vue dans certains niveaux, comme les grands panoramas des favelas ou encore ce niveau sous la pluie dans les marais. J'en ai lâché mon verre de cognac. Et on a même des petits pauses, histoire de se faire plaisir: je me souviens de cette arrivée dans les favelas, où Max ne tire aucun coup de feu et se contente de chercher son chemin entouré de tous ces badauds qui voient en lui qu'un américain qui pense que le capitalisme est la meilleure chose qui soit arrivé dans ce monde. La petite ville vit, bouge, et est bourré de plein de petits détails de partout: des gamins qui jouent au foot, des femmes qui discutent à volets interposés... Que ce soit dans les décors ou dans les personnages, Max Payne possède un univers incroyablement riche et bien foutu. Pour un jeu d'action, c'est assez balèze pour le noter. Le jeu l'est aussi d'ailleurs. Pas d'autoregen, des ennemis qui flinguent très facilement. On prend son temps, mais j'ai dû buter sur un ou deux passages, en plus de la fin, où le jeu demande d'être précis et rapide. La difficulté Moyenne est déja délicate, mais je vois trois niveaux encore au-dessus, ce qui risque de prendre pas mal de temps. A noter que le jeu propose une sorte d'autolock comme dans Red Dead, mais je ne peux pas juger de l'efficacité, j'ai préféré miser sur la visée libre.

Max Payne est un gars qu'on peut peut-être ne pas vouloir voir en tableau. Ce Max-là est une vraie épave. Les principaux personnages qui l'appréciaient ou étaient de son côté ne sont plus là, Max est tout seul, dès le début. Du coup, il se saoûle, il ne fait que ça. Il a un appart pourri, et le seul autre endroit où il va c'est un bar en bas de chez lui. Dans les deux, il ne fait que boire et se réveiller complètement ivre. On aurait dit un animal pratiquement mort, attendant qu'une chose, que quelqu'un l'achève. Pourtant, cette mission va lui apporter quelque chose: un but. La mort de sa femme et de sa fille sont toujours dans sa mémoire, il ne parvient pas à l'enlever, ça s'accroche aussi fort qu'une moule à un rocher, je connais bien ça. Il va tenter de sauver les membres de cette famille pas vraiment parfaite, mais qu'il apprécie peu à peu, surtout envers son boss dont il respecte sa philosophie, et son pote Passos, qui l'a sorti du trou alors que personne croyait en lui. Max Payne 3, c'est l'histoire d'un homme complètement perdu, qui va se trouver malgré lui dans une sordide histoire de kidnapping et... de bien d'autres choses, que vous verrez par vous-mêmes...

Reste qu'effectivement, l'histoire est bien là, surtout avec des cinématiques. Ça a énervé pas mal de gens dans le coin, y a même eu violence, mais tout s'est bien fini. Faut dire qu'ils en balancent des séquences. Perso, ça m'a pas gêné, j'étais tellement dans le trip de l'histoire. Et puis ça permet de mettre en scène des sacrés séquences de mise en scène, où le jeu reprend le contrôle pendant une séquence spectaculaire et où on mitraille à tout va. C'est tellement classe que je me suis fait dans le froc: Max qui fonce sur un chariot et dégomme des militaires sur le toit d'en face, Max qui saisit une chaîne et dégomme les gars au ralenti. Y a pas à dire, les gars ont poussé le bouton "Hollywood" par rapport aux deux autres, mais ils ont quand même réussi à avoir une intrigue solide et un côté Michael Mann ou Tony Scott pas déguelasse. Les musiques y jouent beaucoup.

Et puis y a ces sous-titres. Ça allait dans les autres Rockstars, mais bordel, celui-là, il remporte le concours! Ils auraient dû mettre une consultation gratuite chez un ophtalmo dans la boîte tellement c'est petit! Sur un écran HD, ça passe pas trop mal, mais si vous être encore sur une cathodique, vaut mieux lâcher l'affaire. J'ai pas testé, mais je ne prévoit rien de bon. Et les gars de Rockstar ont voulu aussi montrer que Max était drogué et alcoolisé, alors ils hésitent pas avec des effets à la con de distorsion d'écran et de changements de gamma. De mon côté, ça allait, mais je peux comprendre que d'autres pourront trouver ça lourd. Enfin ça reste de petits défauts devant l'énorme plaisir qu'on a à se frayer un chemin dans ces putains de séquences d'actions, où les débris volent dans tous les sens. Probablement les meilleurs séquences d'action dans un jeu depuis un bail, même s'il a l'excuse de l'ancienneté. 

Je sortais la galette. Le solo m'avaient bien tenu la jambe pendant une douzaine d'heures. Pour un jeu du genre, c'est quand même plutôt long. Le multi est assez excellent aussi, se mettre sur la tronche à plusieurs est bien fichu, et tous les trucs de Max sont finement intégrés en multi. Evidemment, comme tous les autres, il est tombé dans le piège du leveling, un peu trop à la mode ces temps-ci. Il serait peut-être judicieux de songer à trouver un autre système parce qu'un gars qui fait du multi d'un peu partout, se retrouve toujours à recommencer son parcours à chaque nouveau jeu. Certes, c'est les règles du jeu, mais un peu de récompenses pour les consommateurs serait appréciable.

Bref, Max Payne 3, c'est un putain de jeu. Le multi fera des heureux, mais le solo plongera ce bon vieux Max dans l'enfer du Brésil, et n'hésitera pas à faire parler la poudre pour connaître le fin mot de cette histoire plutôt passionnante. Y aura des rabougris qui pesteront contre la difficulté ou l'absence d'autoregen, moi, je félicite Rockstar pour avoir tenu bon et délivrer un bon vieux jeu plus harcore que la moyenne, et qui est complètement dans l'esprit de ses aînés. Ceux qui ont retourné les deux autres s'y retrouveront sans problème. Parce que Max Payne, c'est un peu comme un vieux bourbon qu'on adore: on le met en cave pour plus tard, et quand on le ressort, on le respire, on le goûte, on sourit et on a l'impression que c'est encore meilleur qu'avant."