Le 20 décembre 2010 :

Je manque le staff, de par la neige qui tombe à gros flocons (ceci est la raison officielle).
Quand j'arrive au bureau des chirurgiens vasculaires, je vois l'équipe en grande discussion. Je reconnais sous le masque mon co-externe, Nicolas S. Il m'explique qu'avec les vacances de Noël, le service a été à moitié fermé et par conséquent, le nombre d'opérations prévues a lui aussi fondu.

Une thyroïdectomie totale commence. Deux externes pour ça, c'est un peu beaucoup... Voyant que c'est la charmante Amélie (cf. semaine dernière) qui opère, je passe mon tour pour m'habiller et préfère aider les opérateurs à distance. Je reste un peu pour ne pas voir grand-chose, jusqu'au moment où un des anesthésistes dit aller s'occuper d'une carotide totale. Chouette !
C'est Laurence, l'interne belge, qui doit s'occuper de ce patient.

Nous attendons un long moment, durant lequel un patient a été révoqué pour un INR trop bas, un autre décalé pour une échographie cardiaque pas encore faite, et un autre repoussé à la dernière minute pour cause de petit déjeuner pris. Hmm...
Enfin, aux alentours de dix heures, le patient est enfin installé.

Il a fait il y a quelques jours un AVC ischémique ; lors du scanner de contrôle, il a été constaté une sténose carotidienne d'origine athéromateuse qui explique l'accident. Une endartériectomie est donc prévue par le CCA, Frédéric (qui a de faux airs de François Baroin).
Le procédé est quasi-similaire à ce que je vous ai décrit la semaine dernière : on clampe la carotide primitive, puis les branches externe et interne, pour ensuite ouvrir dans le sens de la longueur.
Le docteur nettoie la plaque lipidique à la spatule. Celle-ci suinte de gras. Eurk. Et nous remarquons un autre problème ensuite : des cristaux jaunes sont insérés dans des couches bien plus profondes de l'artère. Ce sont des micro-calcifications, signe d'une plaque d'athérome de stade avancé.

Avec une paroi aussi fragilisée, on peut oublier la pose d'un simple patch. On passera donc au pontage ! On coupe donc la section d'artère abîmée, de la carotide primitive à la carotide interne, pour la remplacer par un morceau de tube en PTFE qu'on suture de part et d'autre.
La carotide externe sera quant à elle fermée, elle n'est pas indispensable (bien qu'elle vascularise la face, le chirurgien me l'assure) et le clampage a déjà duré trop longtemps. On referme le cou est c'est fini !

Frédéric m'a bien expliqué l'opération, bien qu'il se soit plus dédié à prodiguer des conseils à Laurence. Ce qui est parfaitement logique.

Au moment où je m'apprête à emboîter le pas de Laurence, l'infirmière me dit que l'externe doit rester tant que le patient n'est pas dans son lit. Tiens, c'est nouveau, ça...

Bonne journée, pour une fois !

Le 21 décembre 2010 :

Comme le dirait une bonne amie, le karma s'équilibre toujours. Aujourd'hui, il ne neigeait pas. Je suis même arrivé un peu en avance. Bref, la journée commençait bien.

Au programme : thyroïdectomie et carotide. Ayant déjà vu la seconde la veille, je la laisse à Nico. C'est donc avec Laurence, encore une fois, que je vais assister à la première opération. Qui opère aujourd'hui ? Amélie... Dès que je l'ai entendu, un funeste frisson a parcouru mon échine.

Je ne raconterai pas les opérations. Deux thyroïdectomies, c'est couper deux fois l'un des lobes de deux thyroïdes de deux patients différents pour être analysées deux fois en anatomo-pathologie pour vérifier deux fois la présence ou non de tumeurs malignes.
Non, j'ai envie de décrire le calvaire qu'elle m'a fait subir.

Déjà, elle m'a dit que je dois m'habiller avant elle pour préparer la table. Passe encore. Mais qu'elle me dise que je dois apprendre par cœur le nom de chaque ciseau tordu, j'avais envie de lui répondre cause toujours...

Les questions pièges. « C'est quoi ça ? » *montre un truc qui ne ressemble à rien*. Bien sûr, je me plante. Et elle me décoche aussitôt un cinglant : « Tu sais, il faudrait revoir l'anatomie des opérations auxquelles tu assistes... ». Oui, tu vois, je vais arrêter mes révisions de partiels pour voir des variations anatomiques qui ne serviront sans doute jamais, à part pour impressionner une chef de clinique revêche.

Les questions sur les patients que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam. « Tu sais, il faut lire le dossier des patients... ». Je le ferais, si quelqu'un ne me demandait pas de préparer la table ou que les anesthésistes ne l'utilisaient pas... Tu crois qu'en ortho, j'allais cueillir des fleurs ?

Les remarques agréables. « Arrête de soupirer, c'est désagréable. » Je ne soupire pas, je RESPIRE ! Tu as envie que je m'écroule en m'évanouissant sur le champ stérile ?
« Tu es trop lent ! » lorsque j'ai le malheur de mettre plus de deux secondes à prendre le bistouri électrique, et j'en passe.
« Il faudrait t'investir plus si tu veux apprendre quelque chose... » Maîtrise. Contrôle de soi. Zen.

Et qui s'en va en tournant les talons, le patient même pas refermé, sans au revoir ou un « à plus bande de nazes »...

Il est 14h15, on attend les résultats d'anapath, Amélie est partie, on attend là comme des cons. Je pense à mon après-midi studieux qui s'envole au loin... Me voyant m'impatienter, l'interne d'anesthésie croit intelligent de me dire que « l'ECN, c'est facile, on est bien classé en travaillant régulièrement, c'est pas sorcier ». A ce moment précis, j'aurais pu renverser la table pour l'étouffer avec son stéthoscope.

Heureusement que Laurence m'a sauvé, de par sa gentillesse et sa bienveillance. Sans ça, j'aurais craqué avant 11 heures.
Et j'ai appris qu'Amélie était militaire. Non, non, le hasard n'existe pas...
Pour parachever le tout, mon bus emboutit un scooter, ce qui interrompt le trafic.
Vite, dormir, dormir pour oublier.

Le 22 décembre 2010 :

Voyons le bon côté des choses : aujourd'hui ne pourra pas être pire qu'hier. Après le staff, je constate que les chirurgiens ont commencé bien en avance par rapport à d'habitude. Daniel, le praticien attaché suisse, pose un patch en compagnie de Youssef, l'interne libanais, et Laurence. Vu qu'ils étaient trois sur un pauvre cou, je ne me suis pas habillé.

J'en ai appris un peu plus sur Daniel : venu en France pour progresser en vasculaire, spécialité peu développée dans son pays, il prévoyait de retourner en Suisse l'an prochain [NDL : 2011, donc]. Mais les conditions d'installations sont telles (dans le privé, un chirurgien doit en remplacer un autre pour avoir le droit de s'installer) qu'il prévoit finalement de rester un peu plus en France, avec sa femme qui atteint son septième mois de grossesse.

Pour revenir à la carotide, celle-ci était très sténosée, avec une plaque plus étendue que prévu... Il s'est donc contenté de curer le sinus de sa graisse, avant de l'ouvrir et d'y greffer un patch. A noter que le malheureux patient s'est réveillé à plusieurs reprises durant l'opération.

Après ça, la fistule artério-veineuse au programme a été annulée. J'ai donc pu rentrer chez moi à une heure décente. Ouf...

Le 23 décembre 2010 :

Aujourd'hui, je me sens tellement léger que RIEN, ni PERSONNE ne pourra me gâcher ma journée. Ça tombe bien, personne n'a voulu essayer.

Vu qu'aujourd'hui, c'est visite à l'étage, pas de staff : j'arrive donc comme une fleur au bloc septique où une opération doit avoir lieu. Nicolas S. me rejoint un peu plus tard, éconduit du bloc B par Amélie.
Nous aidons à l'installation de la patiente, une octogénaire parkinsonienne totalement désorientée, avant l'arrivée de notre interne, Romain, et de Daniel, venu le guider. Pour quoi faire ? Une amputation de la jambe gauche, dont le pied est en nécrose avancée.

Nous voicîmes donc à quatre, avec moi aux instruments et Nico en tuteur de jambe.

C'était assez impressionnant à voir, surtout à la fin de l'opération où Romain a fini la jambe au couteau de boucher, pour ensuite me la remettre. Je suis resté interdit de longues secondes, à réaliser ce que je tenais.
Ensuite, Daniel a laissé Romain refermer le moignon et est parti.

Nous étions chauds (une fois n'est pas coutume) à enchaîner avec une seconde, mais l'opération a été retardée pour un problème d'héparine arrêtée trop tard.

Bon, tant pis. Ma semaine au bloc s'achèvera ainsi.

Le 24 décembre 2010 :

Pour cause de neige et de crise de panique au réveil (les deux ne sont pas liés !), j'arrive en stage à 10h.

Et dans le bureau m'accueille Philippe, Romain, Marie et Morgane, tranquillement installés au bureau des internes. En effet, il n'y a quasiment rien à faire en cette veille de Noël. On passera donc deux heures à se raconter des plaisanteries obscènes et à se poser des questions gênantes.

Ça m'a fait un bien fou.