Présentation.

 

 

 

Une erreur courante, chez les scénaristes de RPG, est de chercher à donner de la personnalité à leurs protagonistes. Mais si on va par-là, pourquoi pas un background, aussi, tant qu'on y est ?

 

C'est qu'elle est finie, l'ère des jeux de rôle à papa : plus de place aujourd'hui pour les clichés du rodeur, du barbare, du chevalier, du voleur, de l'elfe, de la magicienne ! Le merveilleux façon Tolkien, ça va bien cinq minutes, mais depuis, du temps à passé, les romans Warhammer ont révolutionné le genre et démontré qu'il n'est plus besoin d'aligner des phrases correctes, de conjuguer les verbes, d'accorder les noms et les adjectifs... et encore moins d'imaginer des intrigues inédites, ou de se donner la peine de créer des personnages intéressants pour faire rêver l'amateur de Fantasy. Il suffit désormais de lui présenter une couverture kitsch, flashy, et de faire figurer les mots « trône », « héritier », « chaos » et « ombre » dans des titres à rallonge en comic sans ms.

 

La Fantasy a évolué, elle a gagné en maturité. Pour maintenir l'attention de l'amateur, elle n'a plus besoin de tous ces artifices faciles qui faisaient ses beaux jours, jadis : ces destins d'exception, ces complots dans le complot du complot, ces secrets dans le secret du secret qui évitaient habilement la caricature... tout ça, c'est bon pour les vieux de la vieille. Aujourd'hui, ce que l'amateur désire, c'est de la Fantasy next door : accessible, disponible, gironde, au plus près de ses propres préoccupations - les filles, le foot, le skate et les shorts asymétriques à bretelles. C'est précisément en ce sens que Final Fantasy X est une réussite totale. Certes, le titre manquait encore de boobs et d'alcool, mais personne n'est parfait. Le X-2 aura par ailleurs admirablement corrigé ces détails (avec quel dévouement !).

 

C'est justement parce que nul n'est parfait qu'il faut à tout prix éviter de donner du caractère (ou même : une identité) aux héros d'une licence, car comment le joueur pourrait-il s'identifier par la suite, lui qui n'a souvent ni l'un ni l'autre ? Et comment ces héros rivaliseraient-ils avec les créations décérébrées dont il aime à peupler ses MMO ?

 

Lui proposer des personnages intéressants, charismatiques, complexes et intrigants, c'est encore le meilleur moyen de le vexer ou de l'envoyer s'allonger sur le fauteuil du psi (et plus si affinités) en le plaçant face à son propre vide intérieur, et en l'amenant à chercher la valorisation par tous les moyens dont ils disposent (webcam incluse). Avisez-vous de lui proposer, par exemple, un prince en exil qui aurait renoncé à son trône pour vivre une existence d'ascète et en retour, il marmonnera que « c'est bien beau, tout ça, mais que lui, en 2010, eh ben il a fini premier au grand concours de gobage de flan annuel du camping paradis » (« et y'avait du niveau, cette année-là, moi je vous l'dis ! »).

 

Au contraire, donc, réduisez le fossé susceptible d'exister entre le gamer et son alter ego in-game en mettant l'accent sur des compétences à son niveau : si votre héroïne doit chanter, pitié, évitez l'Opéra, c'est élitiste et discriminatoire. Faites-en plutôt une Pop Idol spécialisée dans l'animation de kermesse et les soirées karaoké, ça parlera à tous. Collez-lui une jupe courte en prime : pendant que le public masculin tentera d'apercevoir sa culotte, il sera moins sensible à la liquéfaction de ses tympans ensanglantés. Mieux : il pourrait être tenté d'acheter le single, c'est dire si c'est tout bénéfice pour l'éditeur (single Square Enix officiel : 20 euros pièce, plus 40 euros de frais de port. Commande maintenant, le jeune, ce sont tes arrière-petits-enfants qui le recevront. Peut-être).

 

 

AVANT

 

 

 

C'est pompeux, c'est daté, c'est chanté en Italien et y'a pas de boîte à rythme...

 

 

 

APRES

 

 

 

 

Voilà, ça, c'est bon, Coco ! C'est frais, c'est jeune, c'est hype ! Epic Win !

 

 

 

 

Les avis sont unanimes.

 

 

Ou faites lui faire la majorette avec un sceptre en plastoc, à votre héroïne. Ce sera toujours plus people que d'en faire une peintre surdouée, capable de donner la vie à ses œuvres (et sur fond de soleil couchant, ça vous poutrera la rétine sévère). De même, préférez le water-polo au théâtre Elisabéthain. Au moins, dans le water-polo, il y a un ballon, c'est une valeur universelle. Et puis c'est plus actuel, comme hobby. Et donc plus réaliste. Et le réalisme, c'est mature (sources : cahier psycho d'Ici Paris, mars 2011).

 

 

 

On sent qu'ils ont créé Tidus parce qu'ils ont toujours regretté de n'avoir pas exploité "tout le potentiel de Zidane".

 

 

Car c'est la crédibilité-même de votre titre que vous jouez ici : quoi de moins plausible, en effet, qu'un groupe d'aventuriers qui seraient exceptionnels, tous, chacun à leur manière ? Tous différents, uniques, complémentaires, et poussés sur les routes par une quête personnelle ou un passé tragique ? Soyons sérieux : les aventuriers, la plupart du temps, ils sont comme vous et moi. Ils veulent castagner du monstre, trousser de la gueuse et boire de la cervoise gratis, point à la ligne. Et si parfois, il y en a un qui se démarque du lot parce qu'ilest le fruit d'une union coupable entre une prêtresse de la Grande Frite et un esprit de la Patate Bouillie, quelle probabilité a-t-on de rencontrer cette perle rare et de parvenir à le convaincre d'intégrer notre groupe de beaufs ? Et quand bien même y réussirait-on, quelle probabilité aurait-on, à nouveau, de pouvoir en réunir ne serait-ce que dix de cette trempe ? Alors qu'il est si simple (et ô combien plus reposant pour les neurones des créateurs comme de votre cœur de cible) de constituer un boys-and-girls band, dont l'identité s'exprimerait par la coupe de cheveux, et qui placerait la coolitude en tête du top des qualités intrinsèques du héros, devant la bogossitude (en 2) et la chevalerie (en 38) ?

 

 

 

What else ?

 

 

Ce qu'en tant qu'éditeur, vous devez intégrer, c'est que le joueur ne veut pas des personnages intéressants, il veut des personnages qui-lui-re-ssemblent ! Car il ne trouvera rien de plus intéressant que son reflet sur une surface lisse et réfléchissante (en termes de lumière, hein, pas de compétences cérébrales). C'est humain. Ayez soin de proscrire les réflexions existentielles ou les piques bien tournées, qui seraient invariablement taxées de « WTF » : l'ère est au kikoolol. Pourquoi faire preuve de finesse et d'esprit, quand il suffit de gratifier votre leader du sens de la répartie du légendaire Général O'Neil, de Stargate SG1 (série excellente qui devra vous servir de modèle sur bien des points) ?

 

Pour ne pas ensevelir le client sous une avalanche d'informations qu'il devra intégrer en faisant fonctionner sa tête (et donc, lui éviter la migraine), veillez à ce que le caractère des protagonistes soit aussi archétypal que possible, réduit à un seul trait de caractère et/ou à une capacité spéciale. Surtout, surtout, ne soyez pas tentés par l'idée d'étoffer un peu ! Ce qui distingue avantageusement un Zell d'un Mash Figaro, c'est son look de kéké, son absence de background et le fait qu'il soit rigolo (comprendre : qu'avec quelques rires préenregistrés à chacune de ses apparitions, il pourrait intégrer le cast de « Ma Famille d'Abord », même si la couleur de sa peau aurait pu soulever quelque interrogation). Idem en ce qui concerne Irvine Kineas et Vincent Valentine. Vincent, il a été trahi, floué, on a épousé la femme qu'il aimait, on l'a utilisé comme cobaye pour des expériences sordides, on l'a placé dans un sommeil artificiel et quand il en émerge, il apprend que son âme-sœur est passée de vie à trépas dans des circonstances troubles... Epic fail, j'ai envie de dire. Alors qu'Irvine, il a des flingues, un chapeau de cow-boy et les hormones qui le titillent. C'est tout.

 

Et c'est bien suffisant.

 

 

Cloud Strife aurait pu élever le niveau, c'est vrai : il est fade, il est creux, il ne parle pas, il se laisse porter par l'intrigue... mais là où les concepteurs commettent un faux pas impardonnable, c'est en légitimant son attitude et son absence de persona par un twist de l'intrigue (développer une intrigue, c'est déjà limite-limite, comme faute de goût. Le joueur lambda ne peut pas à la fois suivre ce genre de choses et faire joujou avec un sphérier, il lui faut choisir). Alors que Squall, lui, reprend à son compte toutes les qualités de son prédécesseur, à ceci près que s'il est muet (ou si peu s'en faut), c'est juste parce qu'il est nouille (désolé, je voulais écrire « introverti »), qu'il a deux de tension, qu'il terrasse des dinos mais qu'il a peur des filles.

 

 

Du vécu.

 

 

Si avec un perso pareil, les geek-nolife-otaku ne s'identifient pas, c'est qu'on n'a rien compris. Oh et en plus, il se bat avec une Gunblade, rendez-vous compte. Une épée ET un flingue. Un flingue-épée. Best background de character EVER !Ajoutez à ça une veste en cuir, un médaillon gothique et un col à fourrure, et vous dispensez votre héros d'avoir la moindre once de charisme. Ses accessoires se chargent de tout.

 

 

 

Clique pour agrandir, si tu l'oses.

 

 

Afin de ne pas bousculer votre cœur de cible dans ses habitudes (ce serait regrettable, n'est-ce pas, dans un titre d'Heroic Fantasy), n'hésitez pas à non plus à recycler ce qui fonctionne - et notamment à toujours resservir le même personnage populaire : pour donner l'impression qu'il est complètement inédit, changez juste le nom, la coiffure, la couleur des cheveux, et raccourcissez ses vêtements si c'est une demoiselle.Prenez une Yuffie, appelez-là Selphie ou Rikku, ou Vanille, et hop ! Malin, non ?

 

 

 

Je sais, c'est vache. Pour la méduse.

 

 

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Enfin - et c'est fondamental -, faites qu'un individu de chaque sexe se détache du groupe proposé (en essayant de lui donner, par exemple, un vague semblant d'identité, en plus de ses capacités spéciales), de manière à ce que le consommateur sache d'un coup d'œil à qui il doit s'identifier. Combien de victimes du sixième opus, en effet, sont devenus plurimultischizophrènes à force de chercher un héros ou une héroïne sur lesquels l'attention se concentrerait.

 

 

Tâchez d'appliquer ces mêmes principes lors de l'élaboration de votre super-vilain : là où, une nouvelle fois, Final Fantasy VI se fourvoie en permettant de suivre l'évolution de son Kefka en parallèle de celle de Tina et consors, l'épisode VII rectifie habilement le tir, en réduisant un bad boy quasi-Lovecraftien à un simple bishonen-fils à maman. Faites simplement en sorte qu'ils soient beaux, interchangeables, méchants-mais-parce-qu'au-fond-d'eux-ils-ont-trop-trop-souffert (notez que le manichéisme, c'est encore plus sympa quand c'est antimanichéen) et qu'ils aient des gros sorts bourrins. Ho, et un thème musical à eux, aussi. Qui fasse « Tintintintin » dans les oreilles.

 

 

ça, c'est fait.

 

 

Astuce de professionnel (1) : en cas de panne d'inspiration, sachez que la couleur de peau de votre protagoniste peut faire office de trait de caractère ou de repère identitaire. Etre de couleur noire, notamment, dispense d'avoir une quelconque personnalité. Comme dans les séries TV américaines des années 90. Ou Stargate SG1.

 

 

 

ça, c'est fait aussi.

 

 

 

 

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