Leçon précédente.

 

 

Attention, néophytes !

 

 

Beaucoup de scénaristes inexpérimentés établissent une distinction fautive entre « scénario » et « background », en écrivant une histoire qui, elle-même, s'inscrit dans l'histoire-avec-un-grand-H du monde qu'ils ont imaginé. Le caractère redondant du procédé sautera aux yeux des lecteurs les plus sagaces. A quoi bon une histoire, quand on a une Histoire ? Cela ne peut que perturber, encore, un joueur habitué à lire du Fleuve Noir ou, pour les plus intellectuels d'entre eux, du Bragelonne.

 

A l'opposé, comme beaucoup de rôlistes, efforcez-vous à créer votre univers dans les plus infimes de ses particularités :ses ethnies, ses mythes fondateurs, ses cultes, ses coutumes, sa géographie,ses factions politiques, sa faune, sa flore, ses conflits d'intérêts, ses guerres, ses codes vestimentaires, sa météo, ses lois de la physique, sa carte du ciel, ses sciences et techniques, ses figures célèbres, ses sports collectifs, ses services au client,la forme de ses pains au raisin, les tarifs de sa piscine municipale, la vitesse moyenne de ses tortucéros au galop par jour de grand vent et en côte à 70°, le deuxième prénom de l'arrière-arrière-petit-cousin-par-alliance-du-beau-frère-du-grand-père-de-la-demi-sœur-du-palefrenier-du-roi, la répartition des secteurs urbains en fonction de la nature des terres constructibles et des fluctuations économiques du marché du logement, des années 672 à nos jours (liste non exhaustive). Ceci fait, arrêtez-vous là. Concentrez-vous bien sur les éléments annexes, afin d'être sûr de négliger les points essentiels. Cela vous dispensera d'avoir à écrire une intrigue digne de ce qualificatif, à laquelle ce monde(-ci servirait de décor. Car quelle meilleure façon de mettre en valeur votre toile de fond si soignée, que de latendre au premier plan ? Les consommateurs seront tellement éblouis par le luxe de détails « vivants » dont vous les assommerez consciencieusement qu'ils ne pourront que louer la richesse de votre travail d'orfèvrerie. Car l'important, ce n'est pas que les trames de type « le prince machin veut envahir le royaume du régent bidule » soient tellement éculées qu'elles ne peuvent plus se suffire à elles-mêmes, non. L'important, c'est que le prince machin veuille envahir le royaume du régent bidule parce qu'au 3ème siècle de l'ère micélanienne, leurs deux domaines ne faisaient qu'un et que c'est la montée des eaux subséquente aux déluges des années 456 et 628 avant Gemrick le Sage qui a amené la duchesse Constantina Valdita à trahir son époux et à se compromettre avec la lignée de Béors, afin de prendre le pouvoir sur le pays tout entier et de permettre l'expansion du culte de Gombark, très prisé à l'époque.C'est toujours aussi éculé, mais ça ne se voit pas et c'est à cela qu'on mesure le talent d'un scénariste aguerri.

 

 

Astuce de professionnel (2) : dans la mesure où vous avez passé trois ans à imaginer votre monde sous toutes ses coutures, des graduations du système métrique au patois frontalier, en passant par la symbolique des écussons royaux, donnez accès à la totalité de ces informations en cours de jeu, sous forme de pavés de textes indigestes, qu'ils soient placés dans la bouche de villageois anonymes ou tartinés sans fin dans les livres sacrés de la grande bibliothèque de Sarman la Sublime. Alors que les protagonistes explorent la ville et demandent leur chemin, n'hésitez pas à leur soumettre des réponses comme : « Tournez à droite et vous y êtes. Vous pourrez pas vous tromper : repérez-vous à la statue en bronze massif 24 carats de St Fulminien le 3ème, le beau-fils de la sœur du père de la mère du père du voisin du palefrenier de la sœur du beau fils de St Fulminien le 2nd qui, en son temps, s'est illustré lors des luttes qui ont déchiré les peuples du nord, lorsque le commerce de l'épice a pris l'essor que nous connaissons aujourd'hui, sous l'impulsion de Rodrick le Fouinard qui, lui-même, en son temps... ». C'est un minimum syndical. N'oubliez pas : une narration pesante et saturée de références annexes pour faire « couleur locale » est le signe d'un scénario non maîtrisé et/ou inexistant, et donc le gage d'une réussite indiscutable.

 

 

Si toutefois vous désiriez marquer les esprits en développant un scénario complexe et, ainsi, gagner votre place à droite de David Cage au panthéon des grands intellectuels de ce siècle, contentez-vous de construire l'intrigue la moins cohérente et la plus débile possible, pleine de rebondissements sans queue-ni-tête, de références mystiques absconses, etlaissez le joueur conclure que s'il n'arrive pas à mettre les pièces de ce puzzle en ordre, c'est parce qu'il n'est cérébralement pas équipé pour - et non parce que ces pièces ne pourraient pas s'emboîter, quand bien même éprouveraient-elles une intense attraction sexuelle les unes envers les autres. Laissez les combler vos lacunes et trouver du sens où il n'y en a pas : non content de travailler pour vous sans demander un centime, ils trouveront l'expérience magique et se répandront en éloges à longueur d'articles internet à la syntaxe approximative... le mieux étant bien sûr que vous écriviez une histoire à laquelle vous-mêmes, vous ne pigerez rien : réussite garantie. Car c'est connu, une histoire complexe ne se comprend pas - et quoi de moins compréhensible qu'une histoire incompréhensible ?

 

 

 

 

Square Enix : Trolling Square Enix since 2001.

 

 

 

Astuce de professionnel (3) : afin de retourner la tête de votre cœur de cible avec un rebondissement à la Shyamalan, sans avoir à creuser la vôtre, attendez la toute fin du jeu pour extirper de votre chapeau un boss inattendu, dont vous vous serez appliqué à ne rien révéler jusque-là (pas même un petit peu). Car si une vile sorcière en décolleté plongeant fait un antagoniste tout à fait honorable (sa personnalité résidant dans son décolleté, vous avez compris le principe), vous surprendrez tout le monde en révélant qu'en fait, ce n'était pas une vile sorcière, mais une gentille sorcière contrôlée par la véritable méchante sorcière du jeu (prévoyez-lui un décolleté aussi, histoire qu'elle aussi, elle ait de la personnalité). Aux plus audacieux d'entre vous de multiplier ces twists à l'envi, en posant par exemple que la méchante sorcière contrôlant la gentille sorcière est en fait contrôlé par un canard géant, lui-même domestiqué par une race de poireaux extraterrestre venus pour éradiquer toute espèce de salade dans le grand livre de recettes du monde. Quant aux professionnels, aux vrais, ils ne s'embarrasseront plus de principes et présenteront le boss final... après ce qui était supposé être le dernier affrontement...

 

 

 

Necron : Best Tape-l'incruste EVER. Et l'équipe de Zidane qui n'a même pas pensé à emporter des Ben & Nuts...

 

 

 

Genre : « je traînais par-là, j'ai vu la lumière... », en somme.

 

 

 

 

ça capte pas, entre deux dimensions. Sinon vous pensez bien qu'il se serait pris

un forfait bloqué et qu'il passerait le temps en appelant des numéros au hasard...

 

 

 

 

N'hésitez pas non plus à vous inspirer de ce qui se fait déjà en la matière. Et quand j'écris « inspirer », je veux bien sûr dire : décalquer sans vergogne, ça va de soi. Pourquoi se limiter à quelques emprunts ça et là, quand on peut présenter un gros méchant aux ordres d'un maléfique empereur, vêtu d'une armure intégrale, noire comme le jais, qui s'avère être le frère du héros, sans que cela ne fasse tiquer personne ?

 

 

 

 

George Lucas doit tout à Scoobi-Doo, au passage.

 

Surtout dans sa nouvelle version de son épisode VI.

 

 

Dès lors, on peut aussi bien réécrire Evangelion et retitrer la chose Final Fantasy VII (après tout, à la même époque, la société Sunrise puisait allègrement dans le sixième volet pour nourrir son Escaflowne, alors c'est de bonne guerre), la seule limite étant de bien veiller à le faire « mal ». Ce en quoi FF VII échoue à nouveau lamentablement.

 

 

 

Sephiroth n'a jamais supporté de n'être que première Dauphine, il en est devenu fou.

 

Tout est parti de là, en fait.

 

 

 

Espérons que les concepteurs de Type-0 ont eu la main plus heureuse dans la façon dont ils se seront approprié Harry Potter.

 

 

 

 

Force est de constater que ça s'annonce plutôt pas mal.

 

 

 

Astuce de professionnel (4) : avant de vous mettre au travail, revisionnez l'intégrale de l'Evangelion susmentionné, et débrouillez-vous pour ne rien comprendre non plus (se focaliser sur les références bibliques et y chercher une révélation religieuse constituant le meilleur moyen de passer à côté).

 

 

 

Astuce de professionnel (5) : pour être sûr que votre scénario ait l'air complexe (et l'air d'un scénario), pensez à inclure des voyages dans le temps et/ou entre les dimensions. Quoi de plus simple, pour retourner la cervelle (hypothétique) du client, que d'envoyer son personnage dans le passé d'un monde parallèle y tuer l'ancêtre de son double maléfique, puis de lui révéler qu'en réalité, c'est lui le double maléfique et qu'ils ont tous deux été intervertis à la naissance ? Prenez juste garde à traiter le propos (et les paradoxes associés) avec la finesse d'un Toriyama (arc « Perfect Cell »), sans quoi on se retrouverait avec un nouveau Chrono Cross sur les bras (ou pire, un autre Chrono Trigger), et personne ici ne veut ça (les bons jeux, c'est surfait, ça ne paie pas).

 

 

Astuce de professionnel (6) : insistez sur le fait que vos protagonistes ne sont PAS amnésiques « parce qu'il n'est pas dans votre genre d'avoir recours à de pareils clichés ». En attirant l'attention publique sur les clichés que vous évitez (et en omettant de considérer que le problème éventuel ne viendra pas du cliché employé, mais de la façon dont on l'emploiera), vous devriez pouvoir la détourner sans peine de ceux que vous utilisez.

 

 

 

Appliquez-vous, aussi, à ce que votre histoire soit la plus anonyme, la plus conventionnelle, la plus consensuelle possible, de manière à la rendre universelle et vous garantir des ventes conséquentes sur tous les territoires. Les barrières culturelles, c'est bon pour les gens cultivés, et ce n'est définitivement pas votre cœur de cible : appuyez-vous a contrario sur ce qui plaît au plus grand nombre, reprenez à votre compte les codes du cinéma hollywoodien et ne vous en écartez pas, sous aucun prétexte. Gardez à l'esprit que c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes, et que la soupe a de cela de commode, pour le consommateur, qu'on peut l'avaler sans avoir à la mâcher - c'est-à-dire sans efforts. Ne soyez pas tentés de bouleverser les habitudes mentales de vos destinataires : vous risqueriez de les perdre en route ou de les condamner à la dépression. Ne soyez ni trop japonais, ni trop français, ni trop américain, ni trop, ni trop, ni trop. Soyez comme une poitrine refaite sur Hollywood boulevard : lisses et dénués d'aspérités.Ainsi, vous aurez l'assurance qu'on sera plus ému par un tas de pixel qui se jette d'une falaise ou un playmobile planté par derrière que par les larmes en soixante millions de couleurs d'une Yuna photoréaliste.

 

 

 

Astuce de professionnel (7) :

 

Ne perdez pas de vue que l'amour est une valeur sûre, à plus forte raison dans un milieu où les gens éprouvent tant de difficultés à ne serait-ce qu'approcher un être de sexe opposé (comme tout grand héros à col de fourrure qui se respecte).

 

 

 

Par contre, tout le monde n'a pas forcément bien compris le concept.

 

 

 

Alors ne vous faites pas prier, allez-y à la louche : ne cherchez pas à faire dans la nuance ou le non-dit (comme dans Final Fantasy VI, pour ne citer que lui), ne vous contentez pas de sortir les violons, optez pour l'orchestre symphonique entier et déguisez ses musiciens en chamallow géants ! Il faut que ça dégouline, que ça sente le sucre, que ça colle aux chicots. Une histoire d'amour qui ne sent pas la guimauve, c'est de l'amour sans amour. Et l'amour sans amour, ce n'est pas de l'amour. Ou pas assez. Il faut qu'au premier regard, les deux amoureux puissent être étiquetés comme tels : que ça rougisse, que ça se fuie, que ça se cherche, que ça s'ignore, que ça se courtise gentiment... et puis, bien entendu, que ça s'embrasse, sur fond de coucher de soleil ou de machin phosphorescent (peu importe, il faut que ça brille), avec une jolie chanson assortie pour bien dissiper tout ambigüité, des fois qu'il y aurait des individus un peu trop nouilles (comprendre : introvertis) qui pourraient se dire que la demoiselle a juste un cil dans l'œil.

 

Il faut qu'avant même qu'on devine les premiers sentiments, le joueur sache que les deux têtes d'affiche s'exploreront un jour mutuellement les amygdales. Dès les premiers artworks, il faut pouvoir se dire : l'un est le héros, l'autre est l'héroïne, ces deux-là sont faits l'un pour l'autre (en plus, ils ont le même coiffeur et la même absence de goût côté habillement, tout les unit).

 

Mais comme une histoire d'amour convenablement traitée peut donner du relief à une intrigue, faites en sorte que la vôtre n'ait aucun intérêt, qu'elle ne véhicule aucun enjeu narratif, aucune tension, aucune ambigüité, que tout soit cousu de fil blanc et n'ouvre sur aucune problématique étendue, histoire que votre destinataire n'ait qu'à s'acheter une décalcomanie de son personnage préféré et la floquer sur son vieux polochon pour vivre une passion toute aussi tumultueuse.

 

 

Dawson AIME ça.

 

Evitez de réduire vos efforts à néant en proposant un dénouement dramatique et poignant, à l'image de celui de l'opus X, votre création pourrait in extremis gagner en qualité (faire un sans-faute sur 80 heures de jeu potentielles pour se prendre les pieds dans le tapis à quelques minutes du générique de fin, voilà un échec à méditer : alors qu'on peut croire avoir réussi le jeu raté du siècle, la moindre étincelle d'inspiration et/ou d'intelligence, et c'est le drame. Tenez-vous le pour dit !).

 

 

Astuce de professionnel (8) : afin de surprendre le consommateur et d'atténuer un peu le manichéisme ambiant, établissez des couples secondaires improbables, sur la base du principe qui veut que « les contraires s'attirent ». Cela donnera l'illusion que vous n'êtes pas de ceux qui foulent les sentiers battus et que, de surcroit, vous avez longuement réfléchi et analysé les rapports humains et les tréfonds de l'âme (hypothétique) de vos semblables (n'hésitez pas à vous documenter en consultant le presse spécialisée, notamment le cahier psycho de Marie-Claire).

 

Par conséquent, présenter une bluette-surprise entre un athlète rustique et une emo hyper-sophistiquée ne manquera pas d'entraîner moult esbaudissements de la part de vos supporters. Tant qu'ils ne se demandent pas de quoi ces deux-là peuvent parler lorsqu'ils sont en privé, ou ce qui peut bien cimenter leur couple, à nouveau, c'est gagné pour vous.

 

 

Astuce de professionnel (9) : pour que la jauge du potentiel guimauve atteigne son maximum, il vous faudra à tout prix intégrer une séquence roucoulades au début de l'ultime tiers de votre jeu, juste avant que les choses ne se corsent pour vos personnages. Et pour être sûr qu'elle soit réussie, la séquence, n'ayez aucun remord à la copier-coller à partir de films peu connus (comme ceux de Danny Boyle) et mettant en scène des acteurs de faible renommée (comme Guillaume Canet, Virginie Ledoyen, Leonardo Di Caprio...). Ainsi, personne ne relèvera le subterfuge.

 

 

 

Un génie, cet Albert, moi je vous dis.

 

 

 

La preuve par la vidéo :

 

 

Vous connaissez tous ça (et certains d'entre vous le regrettent amèrement) :

 

 

 

Mais vous n'aviez pas pied, vous, avant ?

 

Et on vous prévenu que l'être humain, de temps en temps, il a besoin de respirer, ou pas ?

 

 

 

Mais connaissez-vous ça, mmmmh ?

 

 

 

 

ça commence à 1'21, et y'a du Boobs après (Martinman, interdit de cliquer !), que demande le peuple ?

 

 

 

ATTENTION : il est indispensable que vous ne tuiez pas votre héroïne à la fin du premier CD (et surtout, avant le bisou), sans quoi vous iriez à l'encontre de toutes les règles en la matière, et pire : vous vous montreriez créatif. Ce qui est bien évidemment à éviter quand, comme vous, on ne s'intéresse qu'aux bénéfices financiers.

 

 

 

Leçon suivante.

 

 

 

 

 

ALL PICTURES AND (REAL) ARTWORKS ARE COPYRIGHT SQUARE ENIX

 

ALL RIGHTS RESERVED