La quatrième et dernière partie de ce périple, vous pouvez retrouver les épisodes précédents :
Passons à Nightmare Creatures II
L'équipe de développement était-elle plus importante que lors du premier épisode ?
Oui l'équipe était plus importante et est monté à une quarantaine de permanents. C'était un projet très (trop) gros à gérer. Certains provenaient de l'équipe de NC, d'autres apportaient un sang neuf.
Le beta test se passait avec des cd gravés et des Playstation pucées me semble-t-il ? SCEI ne fournissait pas de quoi bêta-tester sans recourir à cette méthode peu orthodoxe ?
Attention à ne pas donner une fausse image de Sony. D'abord, nous travaillions avec SCEE (la branche européenne) qui nous fournissait tout ce dont nous avions besoin, certes pas gratuitement, autant en documentation qu'en hardware, ce qui n'était pas forcément le cas d'autres constructeurs (feed the troll). Mais le métier était en train de changer, et les méthodes de productions s'organisaient. Nous avions pour la première fois des processus de "qualité", à savoir des capacités de tests importantes. De plus le jeu utilisait une technologie nouvelle à l'époque: le streaming. Pour faire simple, au lieu de tout charger en mémoire au début du jeu, les données, essentiellement graphiques, étaient chargées pendant que l'on jouait, ce qui permettait une plus grande variété. Il fallait donc s'assurer qu'à aucun moment les temps de chargements ne soient trop longs, et que le joueur ne se retrouvent pas face au vide. Le mieux, et le plus économique reconnaissons-le, était d'utiliser les consoles de série, que nous devions patcher pour qu'elles fassent tourner nos CD gravés.
Avez-vous utilisé le profiler ?
Oui, c'était un outil qui commençait à se démocratiser au moment de NC2. Le moteur en a beaucoup bénéficié.
L'intrigue se passe combien de temps après le premier épisode ?
Si mes souvenirs sont exacts, l'action se passe un siècle après le premier épisode. Crowley est toujours vivant et tente un come-back, tel une Jeanne Mass maléfique.
Justement, j'allais te demander si Adam Crowley était toujours dans le coin.
Oui, c'est la colonne vertébrale de la série (colonne que l'on peut voir à certains moments). Il a retrouvé un Glyphe (une sorte de symbole) que Nadia et Igniatius lui avaient escamoté entre NC1 et NC2. Et là, autant dans le premier il faisait l'apprenti chimiste, un peu oculte, autant là il fait dans le mystique. Il y a là beaucoup de références à l'univers de Lovecraft et l'influence de Mike Mignola (Hellboy, B.P.R.D..) n'est sûrement pas loin.
Qui est le héros ?
Le Héros, c'est Wallace. C'est un personnage torturé. Je veux dire vraiment torturé, avec des cicatrices et des bandages, pas juste une de ces héros à barbe de trois jours qui a vaguement un traumatisme passé. Dans sa tête c'est un peu les soldes aussi. Et c'est en ayant une vision des héros de NC1 du fond de sa cellule de HP qu'il comprend qu'il faut arrêter Crowley, maintenant en possession de tout le nécessaire pour fusionner avec une indicible entité démoniaque. Nous avons voulu un héros un peu ambigu, et quand il lâche les élastiques, il fait des finish d'une sauvagerie qui fait passer Mortal Kombat pour un jeu de communiantes.
Une dernière chose sur NC2 ?
Il n'y a pas grand chose à en dire (qui ne soit pas déjà dans le HS de IG) si ce n'est qu'il n'est pas sorti au bon moment, et qu'il n'a pas été fait sur des bonnes bases. Nous l'avons commencé en pensant que NC1 n'avait pas plu. Donc nous avons dépensé trop d'efforts à tout refaire, alors qu'une simple suite serait sortie un an plus tôt et aurait ravi les fans.
Quelques mots sur Nightmare Creatures 3 ?
Je n'ai pas participé à NC3, j'étais sur d'autres aventures, notamment sur internet qui me paraissait être la plateforme de l'avenir. NC3 était prévu sur Xbox, et il faut avouer que le travail s'annonçait grandiose. On pouvait enfin faire de la foule, ce qui était notre principal regret sur NC1 & 2, qui donnait une ambiance très intéressante. On peut voir une capture du début du jeu sur Youtube, malheureusement filmé avec les pieds, mais qui montre l'héroïne et le moteur graphique.
Vidéo de la version XBox
Quelques questions sur Kalisto maintenant.
Parfois, je croisais des mecs se déplaçant en rollers dans les locaux, normal ?
Les mecs en rollers, ça c'était normal. Ceux attachés à un fauteuil dans l'ascenseur (Garry, si tu me lis...) ou emballés dans un carton comme la nièce de la DRH, cela pouvait surprendre. Le level designer sur Pac in time venait bosser en pyjama, et le programmeur était en caleçon dès que la température passait les 25°. Les blagues perdaient certainement en finesse ce qu'elles gagnaient en spontanéité, comme le fauteuil marécageux ou le faux caca en petit beurre. Le grand sport consistait à accrocher dans le dos des autres les choses les plus improbables. Des visiteurs repartaient avec une sculpture phallique de 50cm taillée dans du polystyrène, accrochée dans le dos. Un graphiste a une fois traversé la ville en scooter avec un 45 tours de la compagnie Créole flottant dans le dos... Nous tentions surement, quelque part de compléter l'œuvre d'Henri Bergson, qui n'était pas non plus le dernier pour la déconne :). (https://sergecar.perso.neuf.fr/oeuvre/Bergson_le_rire.htm)
Des gens de Konami bossant sur Vagrant Story sont passés chez Kalisto. Pourquoi ?
Pourquoi ils sont passés, je ne me souviens pas exactement, mais nous étions des développeurs, et les éditeurs passent voir les développeurs. Comme nous voulions faire une bonne impression, et que la finesse de notre humour perd pas à mal à traduction, il ne nous restait une valeur commune au monde entier à nous, hommes du bordelais: la picrave! Et hop, les nippons dans l'auto et on fait la tournée du 12° dans les vignobles de St Emilion. Il faut croire que les caves et les rues de St Emilion les ont marqués, parce que les levels de Vagrant Story en sont plus qu'inspirés.
Bon, nous sommes sur Gameblog, alors la question que tout les Gameblogueurs attentent : Y avait-il des filles chez Kalisto ? Combien ? A quels postes ? Numéro de t... oups, pardon.
Des filles... Bon il faut être honnête, elles ne martelaient pas la porte pour bosser chez nous. L'ambiance était plutôt masculine. Mais quelques unes ont réussi à infiltrer les équipes de dev. Pour ce qui est des postes, il y a eu à peu prés tout: des animatrices, des graphistes, je me souviens de 2 programmeuses. Elles ont eu pas mal de mérite. Certains couples se sont même formés. Il faut dire qu'elles avaient le choix.
Tu as passé 10 ans chez Kalisto, une belle et longue aventure, qu'en retires-tu ? Comment as-tu vécu la triste fin ?
C'était une formidable aventure, que j'ai eu la chance de vivre du début à la fin. Ce qu'il y a de plus triste sur la fin de Kalisto, c'est qu'elle n'est pas due à la qualité des jeux, ou à des ventes décevantes, mais à un ensemble de circonstances indépendantes du travail fourni. Bien sûr nous n'avons pas fait que des chef d'oeuvres, mais à bien y penser, même si nous avions sorti tous nos jeux à l'époque, en avance, avec le triple de qualité et des budgets divisés par deux, cela n'aurait rien changé. L'éclatement de la bulle internet a rendu très vulnérable toutes les sociétés cotées en bourse dans les nouvelles technologies.
Mais ce que l'on a fait pendant cette période reste, au moins dans la mémoire de certains. Et ce fut, comme je l'ai déjà dit, l'occasion de rencontrer des gens incroyablement talentueux, artistes, musiciens, entrepreneurs, avec qui j'ai toujours l'honneur de travailler.
Pour finir, quelques questions plus légères, mais indispensables ;)
Tu dis avoir bossé avec quelques sales cons, tu veux les balancer ici ? T'inquiète, on caftera pas.
J'ai confiance dans l'humanité et j'aime à penser que le temps qui a passé les a rendu plus ouverts et plus tolérants. Je précise quand même qu'il y en avait encore moins que des filles.
Un petit mot sur La classe américaine ?
Ben d'abord respect pour son réalisateur, nominé aux oscars pour The Artist. C'est ça la puissance intellectuelle! Bac +2 les enfants.
La classe américaine a longtemps tourné en boucle dans les studios de dev. Amusant pour un film qui n'est jamais réellement sorti. Après les oscars il y aura peut être une vraie sortie enfin.
Oooh, ça sent la pluie ça...
Une dernière question, si je te dis 42 ?
Héhé. Ok, peu l'ont remarqué mais la plupart (tous?) des jeux de Kalisto avaient une référence cachée au chiffre 42. Pour ceux qui sont passé à côté, c'est une allusion au livre de Douglas Adams, le Guide du routard galactique.
Merci Cyrille pour nous avoir fait partager tes souvenirs.
Vous pouvez retrouver Cyrille sur son blog : Le Garage Vidéoludique, en plus, il y parle de l'excellent Legend of Grimrock !
Nous voici à la fin de cette aventure, merci pour votre attention et à vous, Cognacq-Jay ;)