Sur Steam, on trouve toutes sortes de JRPG. 

Il y a d’abord des jeux à grand ou moyen budget, des ressorties de jeux console dans la plupart des cas : Final Fantasy, Tales of, Grandia, Ys, Disgaea et j’en passe. Ce sont ceux-là qui rencontrent le plus grand succès, quoi que ça puisse, parfois, paraitre injuste au vu des efforts misérables qui y sont consentis.

Ensuite, il y a les jeux créés via RPG Maker, qui prennent, mine de rien, pas mal de place dans le catalogue. Ce sont ceux-là qui rencontrent le moins de succès, quoi que ça puisse, parfois, paraitre juste au vu des efforts misérables qui y sont consentis.

Et puis, il y a ceux qui se trouvent dans l’entre-deux, qu’on ne sait trop dans quelle catégorie ranger, si ce n’est dans celle des indépendants, comme le récent Indivisible, par exemple, ou le jeu qui nous intéresse aujourd’hui.

Shadows of Adam est le fruit d’un projet kickstarté par le studio américain Something Classic, petite équipe de cinq personnes, qui aura vu le jour en 2017 sur PC, Linux et Mac dans un premier temps, avant de bénéficier d’une sortie sur Switch deux ans plus tard, en Mai 2019. Mais comme ce classement ne comporte aucun jeu paru en 2019 (restons fidèle à notre ligne éditoriale), c’est bien de la version PC / Steam dont il va être ici question.

Depuis que s’est achevée la Guerre Spectrale (traduisons ainsi "Wraith War"), toute magie s’est dissipée et une paix fragile s’est installée, grâce, notamment, aux efforts du héros Orazio. Hélas, quand surgissent à nouveau les ténèbres, voilà plus de dix ans que celui-ci a disparu, sans laisser derrière lui que son fils biologique, Kellam, et sa fille adoptive, Asrael, tous deux résidents d’Adam, un petit village isolé du reste du monde d’où va bientôt renaître l’espoir…

Le synopsis est très classique et, comme nous n’allons pas tarder à le voir, autant que tout le reste. Shadows of Adam est un RPG résolument rétro, fortement influencé par les RPG de l’ère 16-bit et de la Super NES en particulier. L’amateur de Final Fantasy VI aura peut-être déjà établi un parallèle entre celui-ci et cette histoire de magie disparue, dont la protagoniste peut néanmoins faire usage, s’attirant de ce fait stupeur et convoitises. À commencer par celles de Malvil, sorte de bouffon royal dont le thème musical vous évoquera peut-être, lui aussi, de vieux souvenirs.

Mais ce n’est pas tout ; on y retrouve également la trace d’un autre RPG de la Super NES, moins connu : Mystic Quest Legend, ou Final Fantasy Mystic Quest aux US, source de moult imbroglios, puis qu’il ne faut pas le confondre avec le jeu Mystic Quest, sur Game Boy, qui n’est autre que le premier Seiken Densetsu – le prédécesseur de Secret of Mana.

Il en reprend notamment les codes pour ce tout ce qui tient aux combats, comme les rencontres fixes, visibles sur le terrain, qu’on peut éviter, certes, mais qu’on ne doit pas éviter parce que, ben... ça bloque le passage et qu’il faut bien passer, ma bonne dame.

On y trouve aussi des références à FFIV, ou au mythique Gilgamesh de FFV, par le biais d’un voleur multi-bras exubérant qui me rappelle, vous savez, tous ces sosies d’Elvis Presley ou de Johnny Hallyday. C’est touchant, mais en même temps, je ne peux m’empêcher d’éprouver à leur égard ce petit je-ne-sais-quoi de navrant.

Là-dessus, je vais tout de suite attaquer un point qui me fâche, et qui fait que j’ai choisi de parler de ce RPG plutôt que d'un autre. Ce sont les clins d’œil complices, les références qui fleurissent en tous sens ; qui témoignent, certes, peut-être, d’une affection toute légitime que les développeurs pouvaient porter sur leurs modèles, mais qui, à mon sens, prennent trop d’espace.

C’est un RPG qui se borne à rendre hommage et, bien que je comprenne le caractère assumé de la démarche, je la trouve dommage.

Parce que le jeu a des qualités indéniables ; déjà, les graphismes en pixel art sont tout à fait charmants, c’est soigné, coloré, cohérent. Les combats n’ont rien de révolutionnaire, mais proposent quelques idées appréciables, bien que limitées, comme la jauge d’AP, qui remplace la barre de MP, en se voulant davantage flexible et plus facile à recharger, ce qui fait qu’on peut utiliser les compétences spéciales de chaque personnage sans trop de réserve. Et puis, en matière de level-design, c’est propre, les énigmes qui jalonnent les donjons ne sont ni trop simples, ni trop dures, ce qui est assez gratifiant.

On ressent également l’influence des Final Fantasy IV à VI jusque dans l’animation des personnages, qui sont animés avec le même genre d’exubérance expressive qui permet à quelques pixels de véhiculer des émotions. Ce n’est pas figé et ça, mine de rien, c’est très important, je trouve. Même si les dialogues ne sont pas super bien intégrés et qu’on a souvent du mal à savoir qui parle, mais ça, c’est un défaut mineur.

Seulement voilà : en dépit de tout ce que je viens de dire, de ces moult bons points que je viens d’énoncer, le jeu n’a jamais réussi à m’enthousiasmer. Il m’a fallu dix petites heures pour en voir le bout et, très sincèrement, je les ai traversées mi-intéressé, mi-ennuyé. J’ai pas trouvé ça chiant, j’ai pas trouvé ça nul, mais j’ai traîné mon demi-blase tout du long.

C’est trop formulaïque, trop banal.

Ça manque de fougue, d’ambition, d’ampleur. Les enjeux sont basiques, déjà-vus, ça ne descend ni ne monte bien haut. Ce n’est pas mal-rythmé, on avance assez vite, les phases de combats et d’énigmes alternent bien, le scénario n’est pas foncièrement incohérent, ça essaie même de surprendre un poil sur la fin mais, globalement, ça me laisse froid – tiède ?

Qui plus est, le jeu peut se targuer d’avoir 93% de critiques positives sur Steam à l'heure où j'écris ces lignes, sur plus d’une centaine d’évaluations, soit 1% de plus qu’un Ys SEVEN, par exemple. Je ne suis pas homme à donner de l’importance aux chiffres, encore moins à chercher qui c’est qu’a la plus grosse, mais quand même, ce constat m’attriste un chouïa.

Faut-il y voir un excès de bienveillance, une mansuétude exacerbée par le fait qu’on ait là affaire à un jeu indépendant ? Y a-t-il une forme d’indulgence vis-à-vis de ces jeux à petit budget qui parviennent à sortir du lot de jeux bas de gamme faits à l’arrache sur RPG Maker ? C’est déjà l’impression que j’avais au sortir d’Ara Fell, 95% d’avis positifs, dans le haut du panier des jeux issus du logiciel susmentionné, clairement, mais que je n’ai pas même réussi à terminer tellement je m’y ennuyais – scénario insipide, quêtes fedex à foison, combats mal-fichus…

Je dis ça, mais si je devais m’adonner au petit jeu des évaluations, j’opterais surement pour un pouce vert au détriment du rouge – pour Shadows of Adam, en tout cas.

Mais je reconnais les efforts, la passion et le soin dont ces jeux ont fait l’objet, et si les gens trouvent ça bien, qui suis-je pour les en dissuader ? Comprenez-moi bien, je ne cherche nullement à leur enlever ce mérite, mais plutôt, à interroger sur ce qui fait le succès critique de ces petits jeux. Alors, s’il vous plait, prenez ça en considération avant de me taxer d’immonde connard sans âme qui vient piétiner le travail des honnêtes petits artisans du jeu vidéo, merci.

Ceci étant dit, si ce que vous cherchez, c’est un petit trip rétro-nostalgique dans les JRPG des années 90, Shadows of Adam apparait comme un choix solide et recommandable, pour toutes les qualités qu’on lui aura trouvées. Est-ce à dire que moi, à titre strictement personnel, je vous le recommande ?...

Non.

Parce que pour moi, le JRPG des années 90, ça n’est pas que ça.

Ça ne se complait pas dans le clin d’œil et le référencement à outrance.

Imaginez qu’un jeu comme Final Fantasy VII aie fait la même chose, c’est-à-dire, placer autant de références que possible au JRPG des années 80 ? On aurait pu remplacer Jénova par un sosie du Dragonlord, le boss final du premier Dragon Quest, virer le sage Bugenhagen pour y mettre Lord British, alias Richard Garriott, le créateur d’Ultima, qu’on aurait rebaptisé, pour l’occasion, Lord French, j’en sais rien, ou encore remplacer tous les mini-jeux du Gold Saucer par des bornes d’arcade virtuelles contenant des classiques du genre comme Hydlide, Dragon Slayer ou Danchi Tsuma no Yuwaku – Seduction of the Condominium Wives, un ancêtre partagé du JRPG avec… le jeu érotique.


"Madame, bonjour !, que diriez-vous d'essayer notre nouveau préservatif à énergie Mako ?"

J’exagère, bien sûr.

Il y a toujours une part d’inspiration qu’il est difficile d’éviter, mais un RPG tel que Chrono Trigger, même s’il possède la touche Toriyama au design qui suscite d'immanquables comparaisons avec Dragon Quest/Ball, construit son identité en cherchant à les dépasser, en développant des gimmicks, un élan narratif, un univers, visuel et sonore, qui lui sont propres – ainsi donc, aujourd’hui, on n’en retient pas simplement que les personnages ont été dessinés par le même artiste que Dragon Quest/Ball, on retient, en plus, la bande-son, l’histoire, et une expérience générale qui ne ressemble qu’à elle-même.

Surtout, l’impulsion peut venir d’ailleurs. On sait l’affection que porte un Sakaguchi pour le septième art, d’où les multiples procédés cinématographiques que l’on peut retrouver dans les jeux Final Fantasy. Un RPG comme Illusion of Time, lui, va puiser dans les mystères du monde, les plaines de Nazca, les pyramides, le continent de Mû, et s’en fait tout un lore, comme on dit, lequel constitue d’ailleurs les fondements de la trilogie Gaïa (avec Soul Blazer et Terranigma, que je recommande vivement, pour le coup, surtout le deuxième). Earthbound lui, cherche du côté de la culture américaine des années 50, 60, 70, quitte à trancher, non sans panache, d’avec le règne écrasant du genre fantasy/SF…

Et c’est ça, pour moi, au fond, un JRPG des années 90. C’est un jeu qui s’inspire, certes, mais qui développe une identité forte.

Ce n’est pas que Shadows of Adam n’en possède pas une, d’identité, mais celle-ci possède, à mes yeux, la musculature d’un agent administratif qui n’aurait pas fait de sport depuis plus de vingt ans. Alors soit, ça essaie de frapper directement au cœur de la nostalgie, ça y parvient, ça n’y parvient pas, tout dépend de la cible, mais ça manque d’impact, ça ne met pas au tapis, et quand bien même fallût-il compter jusqu’à dix, on ne s’en relèverait pas, on attendrait que ça passe, et on passerait à autre chose, en oubliant sitôt l’intervalle qui sépare l’entrée de la sortie de ring.

Et ça m’ennuie d’autant plus de le critiquer qu’au fond, j’avais envie d’apprécier ce jeu.

Si t’es pas content... t’as qu’à faire mieux !C’est une réflexion que je me suis faite, en effet.

Est-ce que j’aurais fait mieux ?

Je ne vais pas revenir sur l’article que j’avais posté ici-même, fin 2018, quant à mes déboires d’aspirant créateur. Faire un RPG, ça n’a rien de simple, et rien que pour ça, les créateurs de Shadows of Adam ont tout mon respect ; maintenant, si j’avais eu, ou si je m’étais donné des moyens similaires, oui, j’estime que j’aurais fait mieux.

En toute humilité, n’est-ce pas ?

Ce n’est jamais qu’une conviction personnelle, mais dans la création, à mon sens, il faut de l’audace, et l’audace passe par une forme de vanité. Oui, ce n’est pas dit que je fasse mieux, mais je peux faire mieux. La nuance est importante : elle ne vise pas à réduire le travail des autres, mais à stimuler la vision qui nous est propre, la nourrir, la faire grandir. Et ça, d’un point de vue strictement créatif, je crois que c’est primordial. Parce qu’admettre qu’on ne puisse pas faire mieux, ça en revient, au fond, à désavouer tous les efforts que l’on met en œuvre pour concrétiser nos projets les plus ambitieux.

Par contre, au secours !, pourquoi j’ai dit ça, moi, je me rajoute de la pression pour rien ! @_@

Non, j’assume.

La preuve, vous l’avez lu.

Enfin, j’espère.