Dans un article précédent, je vous avais révélé que mon premier contact avec la série de jeux Ys s’était fait d’avec The Oath in Felghana, sur PC, en 2013. Je me suis trompé, en toute bonne foi, je vous l’assure, car il s’agissait en réalité du MMORPG, Ys: Call of Solum ; un oubli légitime, puisque je n’y aurais joué que deux ou trois jours, à peine, fin 2009, avant que moi et mon camarade d’aventure à l’époque ne finîmes par nous résigner, n’ayant trouvé, pour toute compagnie, que l’écho retentissant de nos propres chuchotements.

Pourquoi je parle de ça ?

Parce qu’en réfléchissant à ce que j’allais vous énoncer dans ce petit paragraphe introductif, je m’apprêtais à vous dire que mon premier contact d’avec Shin Megami Tensei s’était fait d’avec Persona 3, sur PSP, en 2013. Sauf que, là encore, j’eus fait fausse route ; car c’est six ans plus tôt, en 2007, que pour la première fois, je rentrais dans l’univers post-apocalyptique de la franchise emblématique d’Atlus, via son épisode en ligne baptisé Shin Megami Tensei: Imagine. Et là encore, je m’en excuse (non, non, je ne vous demande guère votre avis, je m’accorde moi-même mon pardon, excusez-moi) car je n’y serais resté qu’une poignée d’heures, à peine le temps d’un speed-dating avec Jack Frost et sa bande.

Ce parallèle et ces moult similitudes m’amusent d’autant plus qu’elles concernent deux séries que j’adore et que j’ai découvert, hors-ligne, sur le tard. La même année, qui plus est.

Mais laissons Ys de côté cette fois, pour nous attarder sur SMT, et son spin-off emblématique, que j’ai donc à demi découverts avec Persona 3.

Il y aurait beaucoup à en dire, mais dans une volonté de rester concis, j’évoquerai juste brièvement cette ambiance glauque-nihiliste fantastique, ce rythme narratif lent, certes, mais manié avec talent pour conduire à une apothéose finale réussie, ces divers niveaux de lecture, ces combats certes rébarbatifs mais bien pensés, qui font la jonction entre éléments scénaristiques et éléments de gameplay (les fameux Social Links). Sans oublier l’exceptionnelle B.O. de Shoji Meguro, qui insuffle au jeu une fougue jubilatoire, et dans la tête du joueur quelques babybaby si entêtants que l’ONU dut mettre en garde Atlus contre l’usage prohibé d’une telle arme de destruction massive cérébrale – d’où son titre, surement. Enfin, c'est ce qu'on dit. Ça doit donc être vrai.

Bref, c’est peu dire que j’apprécie ce RPG, et qu’il compte parmi mes préférés.

Persona 4 m’aurait laissé sur un enthousiasme similaire, si ce n’eut été pour son manque de race. Passer le cap des soixante heures pour se trouver gratifié d’une conclusion incomplète et frustrante, tout ça parce qu’on n’aura pas su répondre correctement à six boites de dialogue successives, ça fait enrager – pire encore, rigoler.

Cependant, je riais un peu moins lorsque, six mois plus tard, Shin Megami Tensei: Lucifer’s Call me rejouait ce mauvais tour, en parachevant mes efforts d’un coup de pied au derche – mais qu’ai-je donc fait pour mériter ça ? À deux boites de dialogue, tu n’as point su répondre, me rétorque alors le Divinternet. Amen.

Quant à Persona 5, euh...

Il a pris son petit numéro, et il patiente bien sagement dans la salle d’attentes, voilà.

Monsieur Persona 2, c’est à vous. La PSP va vous recevoir.

Car oui, incroyable mais vrai !, avant Persona 3, il y eut deux autres jeux – et même trois !

Outre le tout premier, qui n’aura foulé nos terres que récemment, par le biais de la Playstation Classic, et auquel je n’ai pas joué, le second opus se décline en deux versions, deux sous-titrages : Innocent Sin, sorti en 1999 sur PS1, et, un an plus tard, Eternal Punishment, ce dernier étant la suite du premier, qui nous intéresse aujourd’hui via son portage / remaster sorti en 2011 sur PSP – Japon, US et Europe.

On y incarne Tatsuya Suou, lycéen taciturne manifestant davantage de considérations pour sa bécane que pour son avenir. Alors que lui et son amie Lisa Silverman, alias Ginko, se disputent avec un loubard excentrique d’un lycée voisin, Eikichi Mishina, alias Michel (sic), un défi est lancé, qui consiste à composer son propre numéro de téléphone en vue d’appeler le Joker, une étrange entité capable, selon la légende urbaine, d’exaucer un rêve. Mais ce petit jeu dégénère bien vite quand, sous leurs yeux incrédules, la figure blême se manifeste en effet, moins dans l’intention de jouer au génie de la lampe que dans celle de leur casser la gueule, pour une félonie que les trois individus susnommés auraient commis par le passé – à leur franche stupeur. Décidés à lever le voile sur les mystères qui entourent ce Joker et à l’empêcher de semer davantage le chaos, le trio sera rejoint plus tard par Yukino Mayuzumi, alias Yukki, et Maya Amano, photographe et journaliste pour un magazine local, qui cherchent, elles aussi, à élucider les causes d’un étrange phénomène qui plane sur la ville de Sumaru, où les rumeurs prennent corps pour se faire vérités

C’est peu dire qu’à partir d’un tel pitch, le scénario prend des tournures rocambolesques. Imaginer tout et n’importe quoi à partir d’un postulat aussi simple que « les rumeurs deviennent vraies », c’est à la portée du plus grand nombre ; mais combien seraient en mesure d’en tirer une histoire riche et si profondément ancrée dans l’humain ? C’est pourtant le tour de force que réalise cet innocent péché, dont l’écriture, bien que surement imparfaite, m’inspire le plus grand respect.

Mais je suis tiraillé entre l’envie de vous en dire plus et la peur de trop en dire.

Ce qui est sûr, c’est que la structure narrative diffère grandement d’avec celle instaurée par Persona 3. Ici, pas de calendrier, de journées à remplir ni de liens sociaux à établir ; le scénario avance au gré des événements, comme la plupart des RPG classiques, et non au gré du temps. Forcément, si l’on appréciait cette composante simulation & tranche de vie des opus suivants, difficile d’en accepter l’absence sans y voir l’impression de régresser. Ceci dit, à l’inverse, si l’on pouvait déplorer l’emphase posée sur le quotidien scolaire, et ses tropes inévitables ayant trop longtemps fermenté dans les sources d’eau chaude, on trouvera ici matière à se réjouir puisque, passées les premières heures, et le fait que trois des cinq personnages soient des lycéens, le reste s’éloigne bien vite des salles de classes, des sorties pédagogiques et du sempiternel bachotage, pour nous emporter aux quatre coins de la ville et de ses nombreux quartiers. On sèchera donc les cours pour s’en aller visiter usines désaffectées, musées, immeubles, magasins de musique, forêts montagneuses et autres temples japonais.

Tout ça sur fond d’occulte et d’ésotérisme, bien sûr, car ce sont là les ingrédients essentiels qui donnent aux SMT une onctuosité sans pareil, un petit goût de fantastique urbain dont je reprendrais bien, épuisé que je suis par le genre fantasy classique...

À ce titre, Les deux Digital Devil Saga sur PS2 m’attendent dans un coin, mais je m’abstiens encore d’y jouer parce qu’à vouloir tirer trop vite et trop fort sur les pies, on finit par les compromettre. Cependant, c’est clairement ce genre de RPG qui soulève au mieux mon enthousiasme ces derniers temps.

Je me suis même acheté une PS Vita exprès pour refaire Persona 4 (Golden) au propre, et j’ai aussi dans l’idée d’aller choper un Strange Journey, voire un SMT IV sur DS et 3DS...

Euh, c'était qui la vache à lait, déjà ?...

Quoi qu’il en soit, je me refuse à en dire plus sur l’histoire. Si vous en avez l’occasion et l’envie, faites-le, et découvrez vous-même. Pour peu que vous parveniez à passer le cap des premières heures…

Parce que moi, j’ai lâché au bout de trois. En majeure partie, pour une raison que j’évoquais plus haut : le changement de direction radical quand on est habitué aux épisodes suivants. Assimiler de nouvelles mécaniques, ça requiert parfois du temps, de la patience et des efforts, que je n’avais pas su trouver d’abord. Ce n’est qu’après avoir mis le jeu de côté plusieurs jours que j’ai trouvé l’envie d’y revenir – sans regret.

Je me dois cependant de vous mettre en garde sur un point : si vous comptez faire le jeu pour son histoire, sachez que la fréquence des combats aléatoires est proprement démentielle – mais que ce n’est pas forcément un écueil rédhibitoire.

En 2013, j’avais écrit un article qui fustigeait cette composante inhérente aux RPG, laquelle peut rendre l’expérience indigeste. Certes, mais au fond, il y a des jeux où la fréquence élevée est un problème, d’autres où ça ne l’est pas. Alors, où se joue la différence ?

Dans les combats eux-mêmes, je pense.

Quitte à manger la même chose sans arrêt, pourquoi ne pas trouver une recette propice à résister dans la durée à ces grumeaux de lassitude ?

C’est ce que fait Persona 2, à mon sens, et de son propre aveu. Passés quelques tutoriaux qui ne visent qu’à nous en expliquer les bases, on nous suggère sans détour de découvrir les finesses du système par nous-mêmes, en "expérimentant" – c’est le terme qui est lâché.

Et ce n’est pas la matière qui manque !

Quand on part de Persona 4, que l’on remonte jusqu’au 3, pour arriver au 2, on se rend compte que la formule a été, chaque fois, simplifiée par rapport à l’opus précédent. Persona 2 est donc celui des trois qui propose les mécaniques les plus complexes, en témoigne l’image suivante, listant les différents types d’éléments et d’attaques que ces jeux comportent.

Mais là où les choses ont vraiment été facilitées en allant, complexifiées en revenant, ce sont les attaques groupées. Dans P3/P4, il suffit de mettre tous les ennemis au sol pour qu’il nous soit proposé de déclencher un petit rush collégial. Dans P2, ça passe par une mécanique de "fusion de sorts", assez proche des techniques doubles et triples d’un Chrono Trigger. Il s’agit donc de mélanger diverses attaques pour en obtenir une plus puissante, ou juste différente : par exemple, un sort de vent, suivi d’un sort d’eau, suivi du sort Magarula (l’ordre est important), vous permettra de lancer Sonic Wave, magie de vent à la puissance élevée qui touchera, en outre, tous vos adversaires.

Mais nul besoin ici d’acquérir des points de compétence, ces "super-magies" s’obtiennent par la seule force de l’expérimentation, poussant ainsi le joueur à toujours tenter de nouvelles combinaisons dès que de nouveaux sorts lui sont accessibles. C’est un élément qui contribue grandement à rompre la monotonie et le caractère barbant des affrontements. 

Mais ce n’est pas le seul !

Car Persona 2 conserve une composante inhérente aux jeux de la saga principale dont il est issu : la possibilité d’interagir avec les démons, ou personas en l’occurrence, pour qu’ils effectuent diverses actions. Un petit diagramme permet à cet effet de vous révéler quelles émotions ressentent ceux-ci : Peur, Colère, Bonheur et Excitation. Effrayés, ils fuiront. Furieux, ils mettront fin aux négociations (et à vos vies, si possible). Heureux, ils proposeront de vous rejoindre. Enthousiastes, ils vous donneront des cartes en rapport avec leurs arcanes : Chariot, Diable, Tempérance, etc.
Té, le tarot de Marseille était déjà là ?
Oui, mais pas les fusions de créatures.
Hérésie !, scandale !, trahison !, Patrick Rouy !, c’est pourtant une mécanique qu’on trouvait déjà dans les premiers opus de Shin Megami Tensei !...Certes, mais ici, tout s’articule autour de ces fameuses cartes susmentionnées, lesquelles permettent d’invoquer des démons qu’on ne saurait acquérir autrement. D’où l’importance, là encore, de varier dans les combats, de choisir ces mots avec soin, de sorte à conduire le persona ciblé à vous donner ce que vous en attendez, selon vos besoins – sa coopération, des cartes, voire des objets, de l’argent, ou des informations.
Des informations ?...Bien sûr, des informations. C’est le thème central du jeu, alors rien d’étonnant à ce qu’on le retrouve intégré au gameplay. On l’a dit, nous sommes dans un monde où les rumeurs peuvent devenir vérités. Alors, pourquoi ne pas en profiter pour répandre des rumeurs qui soient à notre avantage ?
Ah ouais, et si on disait que tout allait bien, alors, tout irait mieux, et hop, THE END, thanks for playing, tout ça. Trop simple ce jeu !Oh là, n'allez pas me pourrir cette histoire avec vos idées saugrenues. Comme si c'était aussi simple. Pff.

Non, il s’agit d’être plus subtil. Comme, par exemple, accréditer la thèse comme quoi une vendeuse de ramens serait en réalité une ancienne espionne qui donnerait dans le trafic d’armes ? Au même titre qu’un hipster vendeur d'accessoires qui, en réalité, bosserait pour la mafia sicilienne ?

Mais pour propager ces rumeurs, il faut déjà les trouver. Les démons en sont une source, mais vous pourriez aussi aller trouver des colporteurs de rumeurs, afin qu’ils vous tiennent au jus des derniers on-dit. Ne restera plus, dès lors, que d’aller contacter une agence de détectives pour que celle-ci se charge de la propager…

Ce jeu est dingue.

Voilà vingt ans qu’il est sorti, et pourtant, les thèmes qu’il aborde, les vices de communication, la désinformation, la paranoïa complotiste, trouvent dans notre société actuelle une caisse de résonance stupéfiante. L’histoire n’a pas vieilli d’un poil ; elle en aurait presque rajeuni. Impossible de faire ce jeu sans le ramener au présent, aux fake news, aux colporteurs bien-intentionnés des réseaux sociaux, ou encore aux moult théories du complot qui fleurissent sur Internet – la terre plate, les reptiliens, les vaccins ou le fait, avéré bien entendu, que la Finlande n’existe pas.

Sur le sujet, je vous invite d’ailleurs à consulter la tier-list officielle des complots.

Ou encore cette parodie de C’est pas Sorcier par Ganesh2, qui me fait beaucoup rire.

Toujours est-il que, rien que pour ça, c’est un jeu à faire.

C’est d’une modernité déconcertante.

Ouais, OK, tout n'a pas super bien vieilli, c'est vrai.

Les interactions avec les démons peuvent devenir assez vite routinières une fois qu’on a trouvé comment bien leur parler. Même si on n’est jamais à l’abri d’une surprise, selon qu’il soit bien ou mal-luné, le démon pourra avoir deux voire plusieurs réactions différentes à la même approche.

Les combats, bien que riches et appelant à l’expérimentation, sont d’une lenteur désespérante pour qui n’en aurait pas la patience, et l’on aura vite fait de s’empêtrer dans une surabondance de menus et de sous-menus – quelques raccourcis permettent d’aller plus vite cependant, ajout de ce remake, sûrement.

En revanche, impossible de rater la bonne fin !

Il n'y en a qu'une, ce serait malheureux.

Et puisqu’on parle de ça, achevons cet article, le dixième et dernier de ce petit classement hasardeux qui ne l’était pas tant que ça. Car c’est, je pense, le RPG qui m’aura le plus marqué en 2019. Et je suis sûr que j’ai oublié d’en dire plein de trucs, comme d’hab’.

Tiens, la musique, par exemple. Excellente, une fois de plus. Qu’est-ce qu’il est fort ce Meguro, ah, non, attendez, c’est pas lui ? Comment ça ? Hé, pourquoi il est crédité comme directeur et pas comme compositeur ?...

Ceux d’origine, sur PS1, étaient trois : Toshiko Tasaki, Kenichi Tsuchiya et Masaki Kurokawa. Auxquels sont venus se rajouter, pour réarranger les 114 (!) pistes de l’OST, un autre trio : Toshiki Kenichi, Ryota Kozuka et Atsushi Kitajo. On peut choisir l’une ou l’autre de ces versions ; je suis resté avec les remix et j’ai trouvé ça très bon. Les thèmes de combats – standard, boss ou autres – sont une franche réussite, une chance vu leur fréquence d’écoute. J’apprécie beaucoup aussi les thèmes de Maya ou de Philemon. De la variété, de l’alternance, tout y est pour bonifier l’expérience dans sa globalité.

Bref, c’est un coup de cœur, avec ce que ça comporte de subjectif, bien entendu. Pas simple d’accès, mais tellement gratifiant une fois qu’on en a trouvé les clés.

Il paraîtrait même qu’en partageant cet article, un livreur Amazon viendra sonner à votre porte pour vous offrir, tout bien emballé dans un colis, le plus cher de tous vos plus grands rêves…

Ah, si seulement.