Initialement ce billet était en réaction à un post de Cronos intitulé « Le Règne des Joueurs » que je vous enjoins à aller le lire pour savoir d'où proviennent les quelques citations que je vais utiliser ici. Comme il a été écrit il y a quelques mois, les exemples du premier paragraphe ne sont pas les plus récents en terme de diatribe sur Internet. Il se trouve que pour une raison qui m'échappe, je n'ai pas posté l'article en Décembre dernier. Je le déterre aujourd'hui et j'y ai ajouté quelques phrases et paragraphes.

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Ce post de notre ami gamebloger fait état d'un phénomène très intéressant qu'effectivement j'ai également eu l'impression de voir s'envoler cette année en particulier : le bashage pour utiliser une francisation un peu lourde. Il mentionne lui-même les quelques délires qui nous ont donné de bonnes rigolades dans le meilleur des cas ou des envies d'homicides avec préméditation dans le pire. Mass Effect 3 et sa fin peu satisfaisante, Diablo 3 et son démarrage laborieux, le Doritosgate ou tout récemment la jaquette de Bioshock Infinite. Il y a eu en 2012 une tripotée d'occasions d'user d'Internet de manière pas forcément très intelligente (et parfois pratiquement obligatoire). Ceci étant dit, ce n'est pas à proprement parler de cette partie du billet que veut partir aujourd'hui. Je voudrais parler d'une phrase en particulier qui me semble mériter une interrogation. Cronos nous dit : « Si la saga a eu autant de succès, c'est que les joueurs ont apprécié et ont fait confiance à Bioware pour leurs histoires. Demander de changer la fin est clairement un manque de confiance, une volonté de vouloir ce qu'on veut sans respecter les décisions de ses créateurs.  » L'un des principaux soucis dans les différentes affaires qui nous intéressent ici, c'est que la cible des griefs qui ont trouvé, avec Metacritic et les divers forum de jeu vidéo, une tribune libre est loin d'être aussi évidente que ne le sous-entend notre ami gamebloger.

Puisque l'on en revient constamment à la comparaison entre jeu vidéo et cinéma (que je trouve pertinente sur bien des points) je vais faire appel à un exemple de l'année cinématographique passée. Le 25 Juillet 2012 sortait en France le troisième volet de la nouvelle trilogie dédiée à Batman et réalisée par Christopher Nolan. La plupart des reproches que j'ai pu lire sur le film portaient sur le scénario et/ou le jeu d'acteur d'une certaine comédienne, à qui on a eu tôt fait d'attribuer l'oscar de la mort la plus nase du cinéma. Les critiques peuvent être adressée à des personnes. Si le scénario ou la mise en scène ne plaisent pas, on dira que c'est Christopher Nolan qui en a trop ou pas assez fait. Si un acteur ou une actrice déclame son texte comme une patate, on dira qu'il ou elle n'a pas de talent d'interprétation. Si en revanche on aime ce que la réalisation donne et ce que les acteurs procurent, on suivra chaque membre de production avec attention. Ceux qui sont allé voir TDKR l'ont fait soit parce qu'ils aiment Batman, soit parce qu'ils ont aimé The Prestige, Memento, The Dark Knight ou Inception. Le fait que Nolan soit à la tête d'une nouvelle réalisation est en soit si ce n'est un gage de qualité, au moins une assurance d'une certaine continuité.

Qu'on aime ou pas l'interprétation de Nolan du personnage, il reste que les trois films ne sont pas plats et calculés comme n'importe quel block-buster.

Quand on parle en revanche du jeu vidéo, on pourra rarement parler avec la même assurance de qui fait les jeux auxquels on joue. Les grands noms du jeu vidéo sont rares. Pas simplement parce qu'on ne les met pas en avant mais également parce qu'intrinsèquement dans la façon dont ils sont conçus, il est rare qu'un jeu soit le projet d'une personne dont la seule contrainte est son producteur. Si les films de Hitchcock, Gondry, Cronenberg, Nolan, Burton, Gilliam, Mendes, Fincher, Lynch gardent une certaine cohérence qualitative (qu'on jugera haute ou pas) voir s'améliorent, ce n'est pas juste parce qu'ils deviennent meilleurs en temps que réalisateur, c'est aussi parce qu'ils deviennent de plus en plus maître de leur bateau. Et quand le bateau coule, on peut légitimement leur reprocher. Comme le disait Alexandre Astier dans l'émission #17 de J'irai loler sur vos tombes, un projet devrait être principalement la responsabilité d'une personne.

Dans le jeu vidéo, il y a un flou complet sur qui est le vrai maître à bord du bateau de la réalisation et de qui choisi quoi pour mener à bien le projet. Principalement la tension sera entre l'éditeur qui veut que ça vende et le développeur qui n'est d'ailleurs pas forcément mené par une tête pensante. Le Bioware de Mass Effect n'est pas le même que celui de Mass Effect 3 et n'est certainement pas le même qu'il était il y a des années avec Baldur's Gate parce que beaucoup de membres clés ne sont plus là et parce que la production a changé. Le problème, c'est que le type de jeu (rpg/action) est associé à un nom qui n'est pas le nom de ceux qui l'ont construit mais le nom de la boîte pour laquelle ils ont travaillé à un instant T.

 Que reste-t-til vraiment du Bioware de Baldure's Gate dans Mass Effect? Ou plutôt qui reste-t-il?

Pourquoi est-ce que chaque Metal Gear Solid est un gage d'une ligne directrice d'un épisode à l'autre (faute d'être une réussite complète) ? Parce que c'est UNE personne qui décide de comment évolue cette série à savoir Hideo Kojima. Ce n'est pas Konami, c'est Kojima Prod créé par l'homme qui a créé la série. Pourquoi les GTA depuis le troisième sont également dans la même configuration ? Parce que c'est Dan et Sam Houser qui sont en tête des projets de la franchise. Ces noms là ont un sens. Bioware n'est plus un nom qui a un sens puisque les têtes de cette société de développement ont changé. Au passage, si l'on revient sur le développement de Mass Effect 3, il faut bien comprendre que si cette fin est une déception, ce n'est pas simplement parce que c'est la fin et que de base le public est entraîné à déverser sa haine quelque soit le produit fini. Non, le problème c'est que le scénariste original et le chef de projet des précédents opus n'ont pas participé pleinement à ce troisième volet.

Les œuvres de la littérature, de la musique ou du cinéma sont souvent associées à des personnes avec des sensibilités et des façons de voir les choses qui les distinguent du reste et qui leur permettent, si on leur donne les moyens de s'exprimer pleinement, de maintenir un cap en faisant fi des complaintes extérieures. Hans Zimmer n'arrêtera pas d'utiliser des percussions et ses cuivres du jour au lendemain parce que ceux qui n'aiment pas sa façon de faire le lui signaleront. Tant que le jeu vidéo restera dans l'idée de faire le travail sous la pression d'un chiffre de vente et donc d'une production qui veut entrer dans des calibres précis, on aura toujours cette tension entre la création et les attentes des joueurs. Quand on voit avec quelle fébrilité Ubisoft Toronto tente de convaincre en vidéo que son Blacklist est dans l'esprit des anciens Splinter Cell quand bien même ce n'est pas le cas pour la simple raison que les personnes travaillant dessus sont différentes, on a encore une fois un exemple de ce souci de personnalité.

Quand un film est raté ou que les spectateurs n'ont pas apprécié une direction prise pour une saga cinématographique, ils se plaignent de ceux qui l'ont fait. C'est George Lucas qui fait les frais de sa seconde trilogie Star Wars et pas Lucasfilm LTD ou la Twentieth Century Fox. Tout simplement parce que Star Wars : Episode I est (normalement) considéré comme une œuvre culturelle et pas comme un produit. Le jeu vidéo en revanche est considéré comme un produit ; cela rejoint ce que j'exprimais sur la façon dont il est considéré par la presse spécialisée. On a besoin de personnalité à la tête des jeux vidéo. De personnes qui prennent des décisions pas parce qu'ils pensent que cela rendra leur jeu plus vendeur, comme cela est le cas actuellement avec les éditeurs pour viser une cible, mais parce qu'ils pensent que ça rendra leur jeu meilleur.

 

On peut aimer ou détester Hideo Kojima...pourquoi? Parce qu'il a des idées, une vision du Monde, des envies particulières qui lui sont propres et qui font que chacun de ces jeux à un sens. 

Je préfère un jeu imparfait mais avec de la personnalité (Mass Effect, L.A Noire, Fallout New Vegas...) qu'un jeu calibré pour plaire mais sans direction (Call of Duty : Modern Warfare 2, Hitman : Absolution...). Si Kojima arrive à vendre sur son seul nom parce qu'on sait ce qu'il y a à la clé, je ne vois pas pourquoi d'autres vrais game-designer avec des idées tranchées ne pourraient pas émerger. Le problème est toujours l'argent et j'en suis bien conscient. Loin de moi l'idée de pousser cet inconnue hors de l'équation. Cependant au lieu de faire un jeu bankable parce qu'il répond à des critères de ventes, on pourrait aussi rendre des Designers bankables en leur laissant la chance de s'exprimer sur un ou deux jeux et de prouver qu'ils peuvent vendre au-delà de ce qui vend d'habitude.

Heureusement, la scène indépendante est là pour me faire mentir, ou plutôt confirmer mon point de vue. En enlevant (en partie) la contrainte de ''devoir'' plaire à un grand nombre, la scène indépendante du jeu vidéo est clairement en train de lui donner un second souffle quand les triple A s'embourbe dans des gameplay empruntés les uns aux autres. Braid par Johnathan Blow, Fez par Phil Fish, Super Meat Boy par Edmund McMillen et Tommy Refenes, Hotline Miami par Jonatan Söderström ou encore Minecraft par Marcus Persson, voilà des productions qui reposent sur une ou deux personnes qui sont contraintes à l'originalité pour émerger. Souvent l'originalité se trouve dans le gameplay et c'est tant mieux. C'est rafraîchissant d'être perdu dans cette mécanique qui mélange 2D et 3D dans Fez, de pouvoir construire sans limite dans Minecraft. Maintenant, ce que j'aimerais, c'est d'abord que ces noms se voient confier de plus gros moyens, pour voir jusqu'où ils peuvent aller et surtout, que d'autres travaillent plus sur des thématiques en ne laissant pas de côté ce que le gameplay peut apporter.

 

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Ce développement un peu décousu qui fait plus office de billet d'humeur que de réelle réflexion posée cherche simplement à exprimer qu'à mon sens, à l'avenir il va falloir que le jeu vidéo trouve l'équilibre qu'a trouvé le cinéma. Avoir des noms, des personnalités même pour les objets les plus grand public. Steven Spielberg a une patte à lui et ça ne l'empêche pas de vendre des millions de places et des millions de DVD et BR. À l'instar des autres réalisateurs que j'ai cité, c'est une personne qu'on pourra suivre de projet en projet et qui donnera à l'ensemble de sa carrière un goût particulier. Dans le cinéma, je suis même capable de vous donner des noms de directeur de la photographie, tant ce rôle a une influence sur ce que je regarde. Le jeu vidéo a aussi besoin de personnes avec une personnalité forte qui dirige des projets et pas que pour les indépendants. Il y en a marre des consensuels « Nous devons trouver un moyen de nous assurer que la créativité de ces jeux puisse toucher un public suffisamment large ». Faites des jeux, que vous auriez envie de jouer, qui disent des choses dont vous auriez envie de parler, qui expriment ce que vous aimez dans la pop-culture et vous verrez qu'ils seront si ce n'est meilleur, au moins mémorables. Et faire un jeu mémorable n'est pas antinomique avec de fortes ventes. Je ne remettrais jamais en cause l'idée d'un travail d'équipe, de très grandes équipes...mais au bout d'un moment, il faut un coach qui tienne la route.