Good morning Liberty City

 

Certainement un
des monuments de cette génération de consoles, GTA IV est devenu la référence
en terme d'environnement ouvert. L'envie de le passer au crible est d'autant
plus forte, afin de déterminer ce qu'a bien pu apporter ce jeu à l'industrie
vidéoludique au-delà des gigantesques panneaux publicitaires de Times Square ou
des polémiques de Nadine Morano.

 

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GTA IV propulse
le joueur au coeur de Liberty City, métropole américaine inspirée de New York. Les
clins d'oeil au modèle sont nombreux : la Statue de la Liberté devient la
Statue de l'hilarité, Broadway est rebaptisée Burlesque, et on pourra se
promener à pied sur le pont de Broker ( réplique quasi conforme du pont de
Brooklyn). De quoi amuser quiconque est déjà passé par la grande pomme. Le fait
que le protagoniste, Nico Bellic, soit un immigrant, entraîne en plus une
proximité entre le joueur et son avatar puisqu'ils découvrent la ville de
manière simultanée. De manière générale, Rockstar tente clairement d'offrir au
joueur un point de vue sur cet univers, que les épisodes viendront complètement
par de nouvelles perspectives. Une initiative interessante qui apporte de la
profondeur au background et donne la sensation que pour une fois, tout ne gravite
pas autour du joueur.

Le scénario lui-même
participe à cette impression. Les personnages sont nombreux et défendent tous
leurs propres intérêts, ce qui crée rapidement un enchevêtrement d'intrigues.
Finalement, Nico Bellic n'est qu'un pion sur l'échiquier du crime organisé, sur
lequel il devra sacrifier bien plus qu'il ne le voudrait. Si le scénario met du
temps à s'installer, il n'en est pas moins interessant, et prend toute sa
valeur dans l'un des meilleurs endings de jeu vidéo (à la fois pour son propos,
et pour la façon dont il prend à parti le joueur et ses actions). On note aussi
une approche plus réaliste que dans les autres GTA, une mise en scène très
cinématographique et surtout, des dialogues bien écrits et un doublage
excellent. Malgré les limitations techniques et des personnages semblables à
des pantins désarticulés (je renvoie ici les lecteurs à la définition de l'uncanny
valley, trouvable sur n'importe quel moteur de recherche), tous ont une voix et
une gestuelle qui leur sont propres, leur permettant ainsi de prendre vie à
l'écran.

 Mais c'est le sens du détail des développeurs qui
frappe le plus, et les efforts consentis pour rendre l'univers cohérent au-delà
de la présence du joueur. Si l'IA ne semble pas faire exister la ville beaucoup
plus loin que ce que l'on voit, l'illusion n'en est pas moins toujours
maintenue : les voitures circulent dans un flot continu, les passants font
leur jogging ou discutent un café à la main. Une véritable fourmillère s'active
dans les rues de Liberty City, dans laquelle le joueur peut se plonger à loisir
entre deux missions pour la mafia locale. Manger au restaurant, aller voir un
spectacle humoristique, ou encore payer pour une balade en hélico (et pour les
savoureux commentaires « réac » du pilote) ; autant d'activités dont
le joueur peut profiter seul ou accompagné des PNJ auxquels il se sera lié
d'amitié. Enfin, un contenu énorme a été créé pour donner à Liberty City
quelque chose d'essentiel à l'immersion : des médias. Internet avec ses
actualités, son ersatz de meetic, mais aussi les mails de présidents africains
qui requièrent votre aide pour sortir leur fortune de leur pays. La télévision,
avec ses documentaires people ou ses talk show. Et enfin, la radio, dont les
playlists iront de Queen à Justice en passant par LCD Soundsystem, le tout
présenté par des DJs aussi prestigieux qu'Iggy Pop, Juliette Lewis, Femi Kuti
ou Karl Lagerfeld. Bref, quoique de nombreux joueurs n'y verront pas grand
intérêt, Rockstar envoie du lourd et ancre par la même occasion encore un peu
plus son jeu dans le monde réel.

 

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Après cela, il est
difficile de parler d'un gameplay bien moins enthousiasmant. Des phases de
conduite d'abord, qui occupent bien sûr une place importante. Elles concernent d'une
part les déplacements à travers la ville (c'est là toute l'intelligence du
concept de GTA, des trajets rapides permettant un vaste environnement ouvert
tout en donnant un rythme soutenu au jeu), mais aussi les missions, où les
courses poursuites sont fréquentes, en particulier avec les forces de l'ordre. On
apprécie alors des commandes précises, et la possibilité d'orienter la caméra
avec le stick droit, ce qui permet de soigner ses trajectoires à travers le
trafic de Liberty City. Le comportement des véhicules est cependant marqué par
une forte inertie, volonté des développeurs pour pousser le réalisme. Le choix peut
se défendre, mais reste très discutable tant on y perd en dynamisme : alors
qu'on aurait aimé multiplier les dérapages controlés et les demi-tours surprise,
la meilleure stratégie est ici la prudence. Finalement, peu de folie et donc
de fun. En plus de cela, le moteur physique parfois surprenant (on peut par
exemple voir un Hummer stoppé net par un grillage), et le comportement aléatoire
et souvent idiot de l'IA, peuvent rapidement s'avérer exaspérants lorsqu'ils
entraînent l'échec d'une mission.

Tout autant
importants que la conduite, les affrontements contre les gangs ennemis se feront
souvent à pied. On taira les quelques combats au corps à corps en début de jeu,
qui heureusement disparaissent vite. Quant aux nombreux gunfights, ils prennent
la forme d'un Third Person Shooter classique (un pléonasme tant le genre est
sur-representé). La prise en main est marquée par les deux mécaniques suivantes
: un système de lock qui dispense le joueur du besoin de viser et permet
d'enchainer les headshot sans trop d'efforts, et un système de couverture qui
dynamise l'action tout en apportant un aspect cinématographique ingame. Malheureusement,
ce gameplay souffre de lacunes qui, malgré la faible difficulté, mettent
souvent le joueur en facheuse posture. Le lock, quoiqu'efficace, est aussi très
récalcitrant et va même jusqu'à nous empecher d'attaquer la cible que l'on
souhaite (y compris lorsqu'il s'agit d'un ennemi en train de nous canarder à
bout portant). Quant au système de couverture, il n'est pas assez réactif, peut
nuire aux mouvements du joueur, et même s'avèrer défaillant en nous laissant
exposé au tir ennemi. Enfin, on constate une certaine rigidité au niveau des
déplacements, amplifiée par une camera souvent mal placée. Bref, si les
gunfights sont généralement agréables et parfois même épiques (l'attaque de la
banque...), on n'est jamais à l'abri des défauts sus-cités qui, lorsqu'ils
surviennent, ruinent rapidement l'expérience de jeu. Frustrant.

Finalement, le
gameplay de GTA IV est très bancal pour toutes ces raisons. Il faut néanmoins
lui concéder qu'il est l'un des plus ouverts qui soit. Si l'IA des véhicules
est aussi mauvaise, c'est aussi parce qu'ils sont nombreux. Quant au système de
couverture, il faut bien penser que l'on est pas ici dans les couloirs de Gears
of War : chaque mur de Liberty City est une couverture potentielle, et il
est peu surprenant que ça ne fonctionne pas parfaitement. Bref, si la
jouabilité peut être exaspérante voire rédhibitoire pour les joueurs les plus
exigeants, elle est aussi le prix à payer pour ceux qui cherchent un
environnement libre et ouvert.

 

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Manette en main,
les lacunes du gameplay donnent l'impression d'un jeu moyen, ce qu'à mes yeux
la richesse de son univers et son aspect bac à sable peinent à compenser (malgré
leur intérêt certain). Pourtant, avec le recul, je retiens la maturité
exceptionnelle dont le jeu fait preuve, au-delà de sa violence et du langage
des protagonistes. Car bien loin de son image de titre polémique, GTA IV porte
avant tout un message et une réflexion, et constitue assurément en cela une
pierre angulaire dans l'histoire de ce medium.