Bonjour à tous ! J’inaugure avec ce post un peu particulier une nouvelle parution hebdomadaire (du moins je vais le tenter) où je publierai chaque semaine un chapitre d’une vieille nouvelle que j’avais écrit il y a facilement une quinzaine d’année maintenant. Le texte n’est pas recopié de manière brute mais très largement remanié pour être à peu près lisible et avenant ; car la première mouture que je redécouvre ces jours-ci me donne des sueurs froides (comment avais-je pu proposer ce texte à l’époque ?).

Comme l’indique le titre, l’intrigue de cette histoire en 13 chapitres (donc 13 semaines, je ne vous embêterai pas plus longtemps ^^) se déroule sur le Disque-monde, l’univers créé par Feu Sir Terry Pratchett, l’une de mes trois idoles d’adolescent des années 90 (avec Tome et Gotlib). C’est une saga littéraire assez peu connu j’en conviens néanmoins je ne passerai pas mon temps à expliquer chaque référence à l’œuvre originelle (qui compte plus de quarante romans). Si vous souhaitez en découvrir plus ou approfondir vos connaissances sur ce monde entre « Le Seigneur des Anneaux » et les « Monty Python » (pour faire court), je vous laisse à vos recherches sur la toile ou à vos lectures :)

Mais comme on est quand même sur Gameblog, je précise qu’il existe quatre adaptations vidéoludique de cette série romanesque pour les gamers qui voudraient en savoir plus. Un premier jeu textuel pas très affriolant sorti en 1986 sur PC de l’époque, suivi de titre dans le genre ‘Click&Play’, respectivement sorti en 1995, 1996 et 1999 sur diverses consoles et ordinateurs. Trois jeux sur lesquels je revenais dans cet article (cliquer sur le lien).

Dernière chose: je sais que nous sommes ici sur un site de jeu vidéo sur lequel la publication feuilletonnante d’une nouvelle n’a pas grand place à priori. Si jamais mes posts se révèlent inapte à parution en ces lieux, qu’on me le fasse savoir je vous prie. Pareil en ce qui concerne les ayants-droit de l’univers du Discworld, que je sais pointilleux sur leur licence, ne venez pas enquiquiner le site si jamais un problème se pose, mais moi-même (je ne gagne pas un kopeck à publier ceci soit dit en passant)

N’hésitez pas à faire des retours ! Si négatif, restez courtois ou alors bannissement. Dans le même genre malgré mes relectures des fautes sont inévitablement présentes. Je m'en excuse par avance et merci de me les signaler.

Bonne lecture !

 

"             !"

Une nouvelle du Disque-monde

Ankh-Morpork. La plus grande cité du Disque-monde. Comme à l’accoutumée elle bruisse du tumulte qui l’agite sans cesse. Le silence n’est plus entre ces murs depuis fort longtemps, chassé qu’il fut sans ménagement par l’urbanisation galopante, dévorant sans vergogne la moindre parcelle de quiétude présente jadis en ces lieux, quand tout n’était encore que balbutiement d’une civilisation. Désormais tout n’est que population grouillante, chantiers assourdissants et transports crottant. Avec en guise d’épices pour relever le tout fumées noires et odeurs âcres. Le progrès, comme il est de bon ton de le nommer.
En cette belle journée ensoleillée, de celles où l’astre de feu parvient suite à une âpre bataille à percer les épais nuages couleur charbon recouvrant habituellement la ville, se distingue cependant un autre son de cloche parmi le brouhaha permanent. De chaque place, de chaque rue, de chaque caniveau s’échappe ce qu’il semble être de la musique. Si l’on peut qualifier ainsi le tintamarre des instruments et les borborygmes des chanteurs. Les musiciens s’en donnent malgré tout à cœur joie, et la foule en liesse les accompagne en riant et en dansant, oubliant son dédain habituel à l’encontre des troubadours battant le pavé.
Certains de ces groupes rêvent de gloire, espérant être repérés par un directeur de salle qui leur permettrait de se produire sur une scène, une vraie. Mais pour la plupart c’est surtout l’occasion de s’égosiller jusqu’à plus soif autour d’ustensiles musicaux de fortune. Ce qui arrangeait bien les affaires des bistrotiers, voyant là une belle opportunité de s’en mettre plein les poches en ce jour de célébration des Petits-Dieux.

Madame Jude-Raizin n’avait quant à elle nullement l’intention de se rendre dans un débit de boissons. Fendant la nuée enthousiaste sans jamais faiblir, elle affichait la mine résolue des femmes issues de la haute société forcée de côtoyer la bassesse de l’ivresse prolétarienne. Elle hâtait le pas et jouait des coudes pour rejoindre au plus vite sa destination. À savoir la Grand-Place des Lunes-Brisées, où la chorale municipale n’allait pas tarder à donner une représentation en présence des plus hauts dignitaires de la ville.

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La fête des Petits-Dieux est depuis la nuit des temps une célébration populaire du solstice d‘été organisée par différentes congrégations druidiques influentes. Au contact taquin des citoyens morporkiens la coutume avait vite tourné en prétexte pour une journée de beuverie pleine d’allégresse. Et en bonne excuse pour la gueule de bois généralisée du lendemain.
Les festivités avaient cependant conservé au fil du temps ses coriaces symboles, en mettant en avant l’esprit de renaissance et de convivialité. Par le passé on y célébrait l’éclosion des jeunes pousses et l’épanouissement des jolies fleurs; on y dansait telles les nymphes emplies de joie à l’idée de gambader de nouveau sous le soleil et on y chantait voluptueusement tels les animaux en rut durant la parade nuptiale. Typiquement ce qu’on imagine des rituels ancestraux qui se tenaient il y a belle lurette, guidés par des druides lubriques réunis en conciliabule au milieu des bois avec pour seule compagnie leurs dévouées servantes, nubiles et innocentes.
La tradition évolua au cours des siècles mais composition florale, danses et chants restèrent d’actualité et parsèment désormais annuellement les moindres recoins de l’antique cité.

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Contournant un attroupement à forte composante féminine agglutiné autour d’un quatuor de jeunes musiciens cheveux au vent qui il est vrai avait l’air de posséder un certain talent - du moins connaissaient-ils un bon usage de leurs instruments - Madame Jude-Raizin arriva en vue de la place déjà noire de monde. Se frayant un chemin et aidé en cela par son imposante corpulence, elle parvint rapidement en tête de cohue, là où le guet municipal empêchait toute nouvelle avancée. Elle scruta alors les lieux de son regard inquisiteur, apercevant l’estrade des officiels qui se remplissait rapidement.
On y distinguait les chefs de guildes suffisants, les mages ventripotents, les administratifs méprisants et enfin les druides fantoches. Ces derniers effectuaient leurs invocations pompeuses, entouré de leurs disciples peu vêtues les admirant béatement. En contrebas de ce spectacle affligeant, les musiciens préparant leurs instruments et enfin la chorale en elle-même qui s’apprêtait doucement en effectuant quelques vocalises inaudibles depuis sa position. Composée d’une trentaine de personnes aux origines diverses mêlant sans a priori humain, nain, vampire et même une troll dénommée Rubis, Madame Jude-Raizin n’avait cependant d’yeux que pour une seule personne dans cette troupe bigarrée: sa fille Jadelia.

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Assis parmi les personnalités les plus influentes de la ville, Monsieur Cèperousse ne se sentait pas vraiment à son aise. Sa place était dans le décor douillet et ô combien éloigné des mondanités de son officine, un établissement respectable qu‘il tenait rue du Grand-Mur depuis sa lointaine jeunesse. Il n’aimait guère devoir assister à ces représentations il fallait bien le dire d’assez mauvaise facture. Mais comme tous les ans, l’invitation venait du Patricien en personne eue égard de son statut du plus ancien apothicaire encore en exercice et nul ne refusait une invitation du despote. Au risque qu’elle ne devienne la dernière que vous ne recevriez jamais plus.
Il faut dire que comparé à bon nombre de ses collègues, il possédait un principe sur son métier bien différent du leur: il pensait d’abord à soigner ses clients plutôt qu’à les extorquer. Ce qui fit que contrairement à ses confrères qui finissait inévitablement par revoir un patient malade depuis bien trop longtemps (et parfois bien plus qu’à l’origine) venant faire montre de son mécontentement parfois violemment, monsieur Cèperousse avait entretenu tout au long de sa carrière d’excellents rapports avec sa clientèle. Ce qui amoindrissait quand même grandement le risque de se voir disparaître sans laisser de trace ou bien de découvrir un beau matin sa devanture mystérieusement réduite en cendres.
Mais il avait de son point de vue largement fait son temps et il songeait de plus en plus à passer la boutique à son apprenti, ou la vendre le cas échéant. Mais le moment bien que proche n’était pas encore venu. Alors bon gré mal gré il se retrouvait assis là, entre les dirigeants de guilde, mages de haut rang, grands patrons et nobles inestimables. Le Patricien lui-même honorait de sa présence l’assemblée.
Une fois tout le monde suffisamment bien assis pour pouvoir piquer un roupillon sans éveiller les soupçons, le silence se fit dans la tribune. En face d’eux se tenait le modeste orchestre municipal derrière lequel se dressait la ronflante chorale officielle de la ville. L’honorable institution était devenue désuète depuis bien longtemps et se retrouvait désormais reléguée aux usages protocolaires de seconde zone où elle essayait tant bien que mal de tenir bonne figure. En réussissant par miracle à se hisser en point d’orgue des célébrations de cette année, elle espérait retrouver sa splendeur d’antan, de l’époque où chaque visite solennelle amie ou ennemie était invariablement accueillie par les chœurs triomphants des chanteurs agréés de la fière et glorieuse capitale.
Car étonnamment la formation vocale n’était que pour la première fois seulement l’invité d’honneur en sa propre ville. Sans doute qu’un quelconque rouage de l’organisation se rendit compte de l’oubli - volontaire selon l’avis de l’apothicaire tant le niveau de cette même formation était exécrable - et décida qu’il était temps de passer au supplice pour mieux s’en débarrasser. Cela dit, vu le niveau de médiocrité qui avait défilé ici même au fil des ans, cette dernière était largement à la hauteur.

Les instruments commencèrent leur litanie. La chorale entama son récital. Les spectateurs débutèrent leur sieste. Les paroles étaient en Latatien et pour ce qu’en comprenait Aristide Cèperousse, elles parlaient d’un vendeur de poisson frais exilé dans le désert d’Al Khali suite à une rupture. Il ne parvenait toutefois pas à saisir s’il s’agissait d’une rupture de contrat ou d’une rupture amoureuse, le texte semblait ambivalent sur le sujet. Sans doute était-il question d’un peu des deux. Son étude de cet ancien dialecte remontait à loin et était passablement rouillé, ce qui ne lui permettait pas de saisir les subtilités de cette langue morte depuis longtemps. De toute façon, le chant était horrible, les interprètes absolument pas en rythme et certains chantaient même faux. Cependant au milieu de toute cette infernale cacophonie persistait un son sublimement harmonieux. Une voix si belle et claire que celles de ses partenaires ne semblait être que des variations modulées de la sienne. Elle était la trame principale autour de laquelle tout le reste tentait de se greffer, sans succès. Il eut du mal à distinguer cette remarquable interprète mais il parvint à force de scrutation par la découvrir. Une jeune fille aux cheveux montés en un interminable chignon, avec ce qu’il semblait être une épingle en forme d’oiseau en son sommet. Le volatile factice lui sembla vaguement familier. Il n’eut pas le loisir d’en voir plus lorsque la foule laissa échapper un bruit d’effroi.

***

À quelques pas de Madame Jude-Raizin était soudainement apparu un homme qui jusque-là était passé totalement inaperçu au coeur de la foule. Mais à l’instant où il se débarrassait de son pardessus miteux, un appel d’air se créa autour de lui comme si ses alentours étaient subitement devenus maudits. Il faut dire que l’individu était en tenue traditionnelle - quoique sévèrement râpée - de mime. Et nul citoyen d’Ankh-Morpork n’ignorait l’aversion profonde que ressentait le Patricien envers cette indigne profession. À tel point que ladite activité avait depuis longtemps déserté les rues en devenant officieusement interdite, quoique très officiellement réprimé.
On murmurait néanmoins ici ou là qu’il demeurait l’un d’entre eux en ville. Et pas n’importe lequel. Le meilleur dans son domaine, la pointure du métier, le cador. L’autrefois célèbre et respecté Mime Pouet. Quasiment une légende. Du jour au lendemain il avait disparu, quand les premiers saltimbanques mutiques se firent arrêter puis envoyer à la Prâline dans la section spécialement conçue à leur égard. Certains prétendaient qu’il avait fui très loin sans se retourner, d’autres tout simplement qu’il avait abandonné maquillage et béret pour mener ici même une vie paisible de portier ou de vitrier. Il y en avait même pour croire qu’il s’agissait du Patricien lui-même qui gardait pour son ancienne passion adolescente une farouche rancœur. Quoi qu’il en soit le nom du mime se répandait dans la foule à la vitesse d’une flatulence sur une toile cirée tandis que le guet lui se rapprochait à grands pas.

L’artiste renégat fit alors dans un mouvement leste et élégant le geste typique de qui cueille une fleur, comme si de rien était et en ignorant totalement l’agitation alentour.  En se relevant de cette cueillette imaginaire, il arborait pourtant bel et bien une véritable fleur entre ses doigts, apparue on ne sait comment. Une rose. Noire. Puis il brandit subitement le poing au ciel dans un geste rageur, la rose à la main, et fixa du regard l’estrade des grands pontes qui se dressait devant lui. Personne ne douta un seul instant de celui à qui s’adressaient ces yeux débordant de défi. Puis en un instant il disparut sous une avalanche d’agent du guet avant d’être emmené manu militari hors de vue.
Durant tout ce temps qui parut interminable, et qui frôla de peu les dix secondes, la démonstration de chant de la chorale continua sans même se douter de l‘incident. Quant au Patricien, il n’avait pas bougé d’un cil.

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