Depuis quelques années maintenant, on entend parler de Pixel Art. Définir ce qu'est ce courant artistique n'est pas une mince affaire car cette tendance semble d'un premier abord peu homogène et les créateurs qui l'alimentent n'ont pas forcément de liens entre eux. Ce que l'on peut déjà dire c'est que le Pixel Art est avant tout une utilisation, comme matériau de base à toute création, de ce que l'on peut appeler le « gros pixel ». Les premiers jeux vidéo ont marqué les esprits par leur esthétique (sommaire et souvent symbolique plus que figurative), du coup le Pixel Art se positionne à la fois comme un hommage à cette ancienne manière de faire mais également comme un courant artistique atypique et original. Essayons, pour en parler, de faire le point sur les diverses tendances qui fourmillent au sein de cette même famille.
Thor en Pixel Art
I) Les peintures, les fresques et les sculptures
Se borner pour créer
Poétique d'Aristote
L'utilisation du pixel comme matériau de base est la contrainte que s'imposent les créateurs du Pixel Art. Les limites inhérentes au pixel (une couleur, des contours simples et grossiers) deviennent non plus un obstacle gênant et stérilisant toute création mais un moteur pour l'imagination qui doit s'efforcer de composer avec un matériau, a priori, peu engageant.
La borne imposée est une vieille pratique dans l'art. Par exemple, la littérature, et cela dès l'antiquité, s'est souciée de borner tout genre, toute forme. Aristote, dans Poétique, veut dégager des règles afin d'établir, d'une certaine manière, la recette de la meilleure tragédie (règles évoquées après examen de plusieurs tragédies). Les courants littéraires ne sont au fond que l'imposition de règles contredisant d'autres règles et donc d'autres courants. Que ces règles concernent l'écriture (versification, unité de lieu...) ou des thématiques (sujets sociétaux pour le naturalisme, éloignement du réel pour le parnasse...), on en revient toujours à des bornes qui structurent l'espace de la création.
Des tendances
En fait, si l'on affine un peu notre regard, on peut distinguer dans cette nébuleuse qu'est le Pixel Art trois tendances principales. Une première qui consiste à produire des réalisations planes, aucune impression de relief, on reste le plus proche possible du tableau ou de la fresque. C'est d'ailleurs en cela que cette branche du Pixel Art se rapproche, si l'on veut tenter un rapprochement avec un courant pictural plus conventionnel, de la mosaïque.
Le principe de la mosaïque est de créer une figure morceau par morceau. Chaque petit carreau de faïence permettant, au final, la réalisation d'une véritable image. C'est ce même concept qui sera d'ailleurs réutilisé par le Pointillisme, un courant pictural issu du mouvement impressionniste. L'idée ici étant alors de réaliser un tableau par petites touches de peinture, des points qui de loin forment également une image.
La parade, de George Seurat (détail)
Femmes au puits, de Paul Signac. Agrandissement d'un détail du tableau.
Un détail d'une mosaïque du Sacré-Cœur
Autre tendance à évoquer, proche de ce premier courant, les réalisations en relief. Il s'agit toujours d'utiliser le pixel mais non plus sur des surfaces planes. Sous la forme de cubes, le créateur réalise des installations ou des sculptures en gardant toujours comme matériau de base le pixel.
Une rupture dans la continuité
Bien que, par moments, dans la continuité de la mosaïque le Pixel Art réussit tout de même à se singulariser. La différence démarquant ce courant des autres précédemment évoqués réside dans le choix des sujets représentés mais également dans la volonté de ne point produire une œuvre raffinée aux couleurs multiples et complexes. Encore une fois l'idée de limitation s'impose. Peu de couleurs, des formes cubiques ou simplistes pour des sujets bien souvent en rapport avec le jeu vidéo.
Voici quelques exemples de sculptures dans le style Pixel Art
Le plombier Mario
Une plante issue de l'univers de Mario
A la frontière des réalités
Ce qui est intéressant dans ce courant du Pixel Art, c'est ce passage d'un fait numérique et donc virtuel à une réalisation concrète. Le pixel symbolise à la base la réalité virtuelle, non concrète, non palpable, mais avec le Pixel Art il devient réel d'une certaine manière. Autre élément intéressant, cette volonté de réaliser des œuvres à partir de "défauts". Les gros pixels sont des limitations technologiques, des éléments grossiers non taillés (comme une roche non traitée). On est donc à contre-courant de l'évolution actuelle du jeu vidéo qui tend à plus de réalisme, le fameux photo-réalisme si évoqué depuis l'apparition des consoles haute définition.
II) Le cas Space Invaders
Une invasion française
Space Invadersfut un des premiers jeux vidéo et surtout l'un des premiers gros succès du jeune média. Son empreinte est encore forte aujourd'hui, la licence continue son bonhomme de chemin sur nos consoles mais également dans l'art pictural. Depuis 1998, on a vu fleurir dans nos rues ces petites bestioles, des aliens issus du jeu d'origine, s'incrustant sur des édifices publics, des trottoirs ou même des murs. Le nom du propagateur de cette prolifération est inconnu, Space Invaders dirons-nous, on sait seulement qu'il est français.
Le bonhomme agit avec méthode. Il réalise la mosaïque (car il s'agit surtout d'une mosaïque d'un style pixel art), étudie le plan de la ville où il souhaite frapper puis cimente en une semaine ou une nuit les différents carreaux réalisant son œuvre. D'ailleurs ce créateur anonyme considère que l'ensemble de ces martiens constitue une œuvre globale. On peut le vérifier en prenant comme exemple, à une échelle moindre, la ville de Montpellier. Si l'on relie chaque alien de la cité on obtient un envahisseur géant.
Combiner le jeu vidéo et l'art pictural
L'idée est amusante car elle reprend le principe même du jeu d'origine, réalisé par Toshiro Nishikado, l'invasion de la Terre par les aliens. Partout dans le monde, dans des dizaines et des dizaines de villes, sont visibles ces envahisseurs. Notre créateur national pousse même le vice plus loin puisqu'il administre à chaque création un score, comme dans le jeu original. Au final, empruntant beaucoup au jeu d'origine, le créateur inconnu élabore un vaste jeu vidéo sur l'ensemble du globe où la mosaïque, le Pixel Art et le jeu vidéo viennent se combiner pour former une entreprise aussi folle qu'inutile.
Invasion à Istanbul
Invasion à Cologne
III) Les réalisations en 3D isométrique
LovePixel et Areva
Troisième grande tendance du Pixel Art, la création d'œuvres en 3D isométrique, comme dans le premier Sim City par exemple. Ici la contrainte est cette vue si particulière, de biais, qui fut popularisée, et est encore utilisée parfois, par le jeu vidéo.
Il y a quelques années, le groupe Areva a réalisé une publicité entièrement conçue de la sorte. De haute qualité, cette pub avait le mérite de montrer ce que le Pixel Art en 3D isométrique pouvait produire si on se donnait un peu de peine et pas mal d'heures de travail.
Autre exemple, la ville LovePixel. Un projet ambitieux consistant à réaliser entièrement en 3D isométrique une véritable ville grandeur nature. Les moindres détails sont retranscrits, de la maison à la gare en passant par les panneaux de signalisation.
Détail de la vile LovePixel
Le collectif Eboy
Le groupe Eboy est un collectif d'artistes connu pour sévir dans le domaine du Pixel Art en 3D isométrique. Voici deux réalisations pour illustrer leur travail.
Une vision de Marseille
IV) Le cas Paul Robertson
Difficile à ranger dans une des cases citées précédemment, Paul Robertson s'impose pourtant comme un artiste majeur du courant Pixel Art. Se définissant comme un créateur 8 bits, l'homme propose des images dans la veine des jeux d'antan mais également quelques petits films. Un artiste incroyablement talentueux à découvrir d'urgence. Robertson réutilise des avatars du jeu vidéo (les slims de Dragon Quest...), la limitation (pixelisation) des premiers jeux. Un exemple qui montre à quel point le courant du Pixel Art est vaste.
V) Conclusion
Il est difficile de trouver un lien entre les différentes tendances du Pixel Art. Difficile mais pas impossible. On voit en effet que dans toutes les œuvres de ces différentes écoles, on retrouve cette idée d'une création limitée par un matériel de base grossier (une palette appauvrie de couleurs, des détours grossiers...) et une inspiration forte des jeux d'antan (avatars repris, angle de vue particulier...). Faire de grandes choses avec des petits éléments qui ne payent pas de mine, une idée aussi simple que lumineuse qui s'inscrit autant dans la continuité de grands courants picturaux que dans des sphères nouvelles.
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